Kundera : L’Insoutenable légèreté de l’Etre (Analyse)

insoutenable legerete de l'être

Synthèse et commentaire de L’Insoutenable légèreté de l’Etre de Kundera

Milan Kundera est un des principaux écrivains contemporains. Auteur dont la vie a été tourmentée par le communisme, Kundera a quitté la Tchécoslovaquie pour se réfugier en France au milieu des années 70. La plupart de ses romans (La plaisanterie, La vie est ailleurs, Risibles Amours, Le livre du rire et de l’oubli, …) sont des romans que l’on peut qualifier de philosophiques : ils mettent tous en scène des individus aux prises avec l’histoire, la politique, leur destinée (comme en témoignent notre sélection des citations de Kundera). La principale difficulté rencontrée par ses personnages est celle de la création du sens : Comment donner un sens à son existence ?

C’est sans doute l’Insoutenable légèreté de l’être qui peut être considérée comme le plus sujet à l’analyse philosophique au sein de l’oeuvre de Milan Kundera.

Résumé de l’Insoutenable légèreté de l’être de Kundera :

L’Insoutenable légèreté de l’être se déroule principalement à Prague dans les années 1960 et 1970. Il explore la vie artistique et intellectuelle de la société tchèque au cours de la période communiste, à partir du printemps de Prague jusqu’à l’invasion soviétique de 1968. Les personnages principaux sont Tomáš, un chirurgien, sa femme, Tereza, photographe angoissée par les infidélités de son mari; Sabine, maîtresse de Tomáš, une artiste à l’esprit libre ; et Franz, un universitaire suisse amoureux de Sabine.

Chacun de ces quatre personnages incarne une figure métaphorique :

– Tomáš est l’ambiguïté, à la fois mari et volage, autrement dit, pour utiliser les catégories kierkegaardiennes, éthique et esthétique.

– Tereza est la morale, femme fidèle dévouée à son mari, prônant l’amour pur.

– Sabine est la légèreté, qui est selon Kundera le trait marquant de la modernité.

– Franz, comme Tereza, représente la pesanteur. Ce personnage est englué dans un mauvais mariage. Elle incarne le vieux monde.

Analyse de l’Insoutenable légèreté de l’être :

La richesse de ce roman est indiscutable. Kundera discute notamment avec les philosophes grecs et Nietzsche.

Kundera et l’éternel retour :

Face à Nietzsche et sa théorie de l’éternel retour, cette théorie qui pose le caractère cyclique de l’univers et de ses événements, Kundera oppose une vision de l’histoire unique, chaque personne n’ayant qu’une seule vie à vivre, devant saisir les opportunités qui ne se représenteront jamais plus : l’être est léger, il file, il échappe aux individus. C’est l’idée de l’éternel retour qui introduit de la pesanteur dans nos vies.

De même, l’éternel retour suggère une philosophie de l’histoire statique, alors que Kundera croit en une histoire dynamique, il croit au progrès.

 

Kundera et l’amour :

Contre la vision romantique, qui voit dans la rencontre amoureuse la rencontre programmée de deux êtres, Kundera oppose une conception accidentelle de l’amour. Personne n’est destiné à personne selon lui. L’amour, en sus d’être fortuit, est fugace : pour cette raison l’homme moderne y accorde beaucoup trop d’importance.

Kundera et la Politique :

La politique apparaît dans ce roman comme une toile de fond. Le communisme est rapproché du nazisme dans la mesure où leur idéologie partage le refus de l’individualité et en corolaire du primat du collectif. Le communisme est synonyme chez Kundera du silence culturel, du vide de la pensée. L’Occident représente au contraire la liberté, l’affirmation de l’individu.

Kundera et la Sexualité :

Kundera présente la sexualité en termes de légèreté et de poids, et comme Freud en termes de moi, de surmoi et de ça. Les personnages légers sont érotiques et voient la sexualité comme une activité créative. La sexualité chez Sabina est liée à l’imagination, comme l’art. Les personnages lourds (Tereza et Franz) associent la sexualité à la culpabilité. Le sexe léger est aussi associé à la force chez Thomas, alors que le sexe lourd refuse la force de la séduction. Le corps nu est aussi vu par Teresa comme une source d’horreur et le corps musclé comme inutile par Franz.

Kundera et l’Etre :

Kundera aborde cette question à l’aune des philosophes grecs présocratiques, Parménide notamment. Ce dernier voit le monde divisé en paires d’entités opposées: lumière / obscurité, être  / néant, entité positive d’un côté et négative de l’autre. Selon Parménide, la légèreté est positive, le poids est négatif. Kundera affirme au contraire que la légèreté est ambigüe, à la fois positivité (liberté) et négativité (poids de la vacuité de la vie libertine de Sabina). Cette ambiguïté fait d’ailleurs le malheur de Sabina.

Kundera nous apprend que la vie est un paradoxe insolvable. En témoigne l’évolution de chacun des personnages, dont chacun s’oriente vers un pôle opposé à leur choix initial : Tomas en finit avec ses infidélités; Sabina réalise la vacuité de son existence; Tereza se libère de Tomas et Franz quitte sa femme pour vivre ses rêves sexuels et poursuivre ses idéaux politiques. Cette évolution traduit ce paradoxe, ainsi que le fait que les individus sont libres de leur choix. Le destin est une chimère, l’existence humaine précaire.

Join the Conversation

8 Comments

  1. Ping : Romans Philosophiques - Oeuvres De Philosophie
  2. Ping : Histoire géo à gogo » Archives du Blog » Histoire 7 : l’Europe depuis 1945
  3. says: Berto

    Milan Kundera décrit l’existence humaine comme factice ou comme contingente, creusée de part en part par le vide du manque d’être et du manque-à-être. Mais nulle part, il n’évoque Dieu, ne serait-ce qu’à croire qu’étant plénitude, Il est capable de remplir notre être et le monde de l’amour et du sens de l’être qui lui manque!

  4. Ping : Citations de Kundera
  5. says: barme

    En effet Berto, seul Dieu peut remplir notre être de Sens et d’Amour

  6. says: ZERR Nathalie

    Je pense que Barme a raison, mais encore faut-il croire en Dieu. La foi, comme l’amour, sont (pour être sincères) des sentiments incontrôlables : de même qu’on ne peut pas s’obliger à aimer (ou s’empêcher d’aimer !), on ne peut pas s’obliger à croire en Dieu ! Ce qui laisse, finalement, nombre d’êtres humains en recherche de sens à leur vie… et d’Amour (ou amour ?).
    Un petit commentaire concernant L’insoutenable légèreté de l’être : Je ne suis pas d’accord avec deux points de l’analyse ci-dessus : Ce n’est pas la morale qu’incarne Teresa !!! C’est l’amour entier (celui qui veut le bonheur de l’autre avant le sien) en lutte avec l’attachement et la jalousie (cette facette de “l’amour” qui fait qu’on tend à vouloir s’approprier l’autre, à vouloir l’exclusivité. Teresa est en lutte avec/contre elle-même, et essaie de changer pour comprendre celui qu’elle aime, pour mieux le comprendre, alors qu’elle souffre de devoir le partager. C’est sans doute l’amour le plus pur (“pur et dur”). Je n’ai jamais vu trace de morale reliée à Teresa, et pourtant j’ai relu ce livre… (? fois). La morale est sans-doute plus du côté de Franz, sous forme de scrupules, avec l’idée d’être honnête, une certaine forme de loyauté, la notion de “transparence” ; Or, la transparence exclu le mystère, et l’érotisme (féminin au moins, masculin : ?) se nourrit de mystère.
    Qu’en pensez-vous ?

  7. says: Christian RAFFALLI

    Je me sens proche de l’analyse de Nathalie. Etant athée – en effet on ne choisit pas d’être croyant ou pas – je ne me prononcerai pas sur le fait de savoir si Dieu et Dieu seul peut donner un sens à une vie humaine. Et comment ? Par la contemplation, l’élan mystique ou quoi ? l’adhésion à une église ? Mais devient alors l’idée même de destinée, d’une vie vouée à la recherche et à la réalisation d’une idée, d’un idéal incarné dans une œuvre, une mission à l’échelle humaine, d’une création ? Dans ce roman les deux personnages qui devraient pouvoir être considérés comme des créateurs, Tomas et Sabina, ne s’investissent ni ne s’incarnent dans une réalisation dans et par leur art, ils ne semblent n’être là que des amateurs, des dilettantes dont le manque de sincérité réelle est évident. Cette notion de sincérité comme valeur me semble d’ailleurs singulièrement absente de l’analyse qui est faite de l’œuvre de M.K. et c’est dommage. Les seuls sincères, Teresa et Franz, me semblent y être traités avec une certaine condescendance, pour ne pas dire mépris : leur “pesanteur” supposée, alors que ce sont eux seuls qui ont une chance de donner un jour un sens à leur vie, c’est-à-dire de la remplir. L’une dans une relation amoureuse, probablement pas avec Tomas, l’autre dans une recherche plus rationnelle et peut-être un engagement, politique ou autre. C’est dans les deux autres que s’incarne cette “insoutenable légèreté de l’être”.

Leave a comment
Répondre à barme

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

La modération des commentaires est activée. Votre commentaire peut prendre un certain temps avant d’apparaître.