Nietzsche et l’Art

Nietzsche-art

Nietzsche et la créativité artistique :

Nietzsche a beaucoup théorisé sur l’Art dans la mesure où il est lui-même un artiste. En témoignent son goût pour la musique (et la critique musicale) mais aussi sa prose, qui comportent beaucoup d’ornements poétiques. Avant de présenter et d’analyser la théorie nietzschéenne de l’art, donnons quelques éléments de contexte.

Pour Nietzsche, l’homme est la source à laquelle prend racine l’univers. L’homme façonne l’univers grâce au langage et aux idées. Car la vie est en soi dépourvue de sens. C’est l’homme qui est la source du sens dans l’univers. Une question pratique se pose alors: Par quels moyens l’homme peut-il créer du sens, introduire de l’humain dans l’univers, afin de mener la vie vers toujours de croissance et de perfection ? C’est en réponse à cette question que l’art intervient chez Nietzsche. C’est en vertu de la créativité artistique que l’homme justifie son existence. C’est à travers l’art que l’homme peut trouver le chemin de l’auto-dépassement, afin d’aller vers le Surhomme.

L’homme est la source du beau. A travers le beau, l’homme fait son propre éloge et se glorifie. Pour Nietzsche, la première vérité esthétique (pour lui, les valeurs sont les seuls vraies valeurs esthétiques) est la suivante :

«  Rien n’est beau, il n’y a que l’homme qui soit beau : sur cette naïveté repose toute esthétique, c’est sa première vérité. Ajoutons-y dès l’abord la deuxième : rien n’est laid si ce n’est l’homme qui dégénère ».

En référence à l’homme, Nietzsche écrit: « Son sentiment de puissance, son courage, sa fierté – tombent tous avec la laideur et la montée du beau ».

Selon Nietzsche, la création artistique suppose un état physiologique particulier. Nietzsche utilise le terme de «physiologique » parce qu’il refuse la dichotomie du corps et l’âme. Pour lui, le corps est plus spirituel que l’esprit lui-même. Ainsi, l’état physiologique propice à esthétique est la frénésie, ou le ravissement (ce ravissement est dérivé de l’excitation sexuelle – et la sensualité, pour Nietzsche, est un ingrédient fondamental de l’esthétique) ou l’extase atteint grâce à la danse ou la musique. Ce qui est primordial pour la production artistique, c’est un état qui accroît la force, la plénitude de l’artiste : «Dans cet état tout ce que voit l’artiste est surchargé de force, de sorte que ses objets deviennent miroir de son pouvoir – de sorte qu’ils soient des reflets de sa perfection. Cette transformation en perfection est l’art ».

Pour Nietzsche, l’art n’est pas l’imitation de la nature, mais un complément métaphysique qui rend possible la transcendance de la nature elle-même. L’art est l’activité métaphysique fondamentale de l’homme, l’art est la forme suprême de l’activité humaine. «Le monde est une œuvre d’art qui donne naissance à lui-même.”

Dans Le Crépuscule des idoles, Nietzsche affirme : « Chez l’homme l’art s’amuse comme la perfection » L’art est alors le bonheur suprême de l’existence, l’art est la source de joie dans le monde. Et la joie pour Nietzsche ne nécessite pas de justification parce que la joie s’auto-justifie: à travers la joie, la vie est affirmée. Ainsi, nous atteignons un autre rôle fondamental de l’art: l’art comme la source suprême de la joie.

L’art rend la vie supportable, certes, à la façon d’une consolation métahysique, certes, mais l’art permet aussi d’affirmer et d’accroître la vie. Le rôle de l’art est celui de stimuler la vie comme une expression de la volonté de puissance.

L’art : entre Dionysos et Apollon

Deux des notions clés esthétiques chez Nietzsche doivent maintenant être introduites : le dionysiaque et l’apollinien. En grec, Dionysos est le dieu de l’ivresse, des orgies, les forces de la nature et la musique; Apollon, quant à lui, est le dieu grec de l’individuation, de l’illusion, la forme, l’ordre et les arts plastiques. Pour résumer, Dionysos désigne une force du chaos et de la destruction, alors qu’Apollon renvoie à la création et à l’harmonie.

C’est grâce à une interaction dialectique de ces deux forces opposées – et complémentaires – que l’art émerge et évolue. Nietzsche voit dans l’unification harmonieuse de ces deux éléments la genèse de la plus haute expression de l’art dans l’histoire : la tragédie grecque. Mais c’est à l’élément dionysiaque que Nietzsche reconnaît la plus grande force esthétique: «Comme des forces artistiques qui jaillissent de la nature elle-même sans la médiation de l’artiste et par lesquelles la nature trouve à satisfaire primitivement et directement ses pulsions artistiques »

Grâce au dionysiaque, l’homme l’artiste peut transcender les limites de l’existence individuelle et communier avec le monde naturel. A travers l’art, l’homme transcende les limites de son propre ego. De toute évidence, la fonction définitive de l’art est connue: l’art est vu par Nietzsche comme un moyen d’auto-transcendance.
Si l’on replace enfin cette théorie dans la philosophie générale de Nietzsche, il ne fait aucun doute que l’art est la métaphysique humaine, une affirmation absolue de la vie et donc un refus du nihilisme, un appel à l’individu, un pont entre l’homme et le surhumain. 

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13 Comments

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  5. says: Meriem Mustasusi

    C’est intéressant , mais il y a une grande faute , quand je lis “l’homme est la source à laquelle prend racine l’univers ” , ce n’est pas vrai , la véritable , ultime source de l’univers étatis/est/sera toujours la nature que l’homme éxploite .

  6. says: Fabs

    L’univers n’a pas de sens, il est absurde, l’homme lui donne un sens puisqu’il est créatif.
    Rien n’est beau ou laid en soi, mais l’homme porte une perspective esthétique et hiérarchise, Nietzsche juge beau ce qui va dans le sens de la vie.

  7. says: Anonyme

    on t’as pas demande ton avis…oui, peut etre pour toi, mais la on parle de Nietzsche qui vivait au 19eme siecle. Il ne savait pas ce que tu sais!

  8. says: Ophélie

    Je pense que ce qu’il voulait dire par là, c’est que le monde ne peut être vu et interprété que depuis nos sens et notre reflexion à nous (et autres extra-terrestres ou animaux qui penseraient et dont on ne pourrait comprendre le langage par exemple). Je n’arrive pas à concevoir que Nietzsche puisse penser l’homme comme un “maître du monde et des conséquences”, il suffit de regarder le ciel quelques minutes pour se sentir petit.. Le monde en lui même “est”, sans justifications et sans réelle volonté (en fait, on en sait rien). C’est nous qui cherchons à le comprendre, le cosmos ne demande pas (ou demande?) (nous ne pouvons pas le savoir), dire que oui c’est une théorie (qui ne viendrait donc pas du cosmos mais de nous). Penser qu’un seisme est une tentative de communication, que ça soit vrai ou faux, bien ou mal, n’est pas justifiable. L’univers n’a pas de nom, c’est nous qui l’appelons et le décorons d’avis. L’univers prend racine à partir de nos yeux et de notre jugement d’hommes qui vivent sur une planète parmi des milliers.

  9. says: Pierre Kerroc'h

    Très bel article, j’ai justement fait deux interviews sur Nietzsche et sa philosophie dionysiaque, donc aussi sur sa vision de l’art, ou son “éthique esthétique” :
    https://www.youtube.com/watch?v=bnitGhbeNtg
    https://www.youtube.com/watch?v=gAC4Xf2h7AI

  10. says: Louis

    Je pense que ce que veut dire Nietzsche est que rien n’existe en dehors de nous. Certes, on peut bien penser des choses en soi à la manière de Kant mais les choses en soi n’ont rien de concret et n’ont rien de vraiment certain non plus (comment prouver que ces choses en soi existent si l’on ne peut en faire l’expérience ? Cela renvoie à la critique empiriste : est-ce qu’il existe quelque chose au-delà de notre expérience ?).

    En ce sens, on peut donc dire que l’homme est la racine de l’univers. Qu’est-ce que l’univers pour nous si ce n’est ce qui est compris dans notre existence ?

  11. says: Vincent

    Bonjour,

    Je trouve cet article très intéressant, pouvez vous svp donner quelques sources (ouvrages de Nietzsche) ou l’on peut retrouver cette pensée en plus détaillée ?

  12. says: D.B

    Votre article va dans le sens inverse de la préface écrite par Nietzsche en 1886, “Essai d’autocritique” soit quelques années après la publication de “La naissance de la Tragédie” :
    “le livre entier ne reconnait à l’arrière-plan de tout ce qui advient qu’un sens et un arrière-sens artiste – un “dieu” si l’on veut, mais uniquement, cela va de soi, un dieu-artiste. (…) toute cette métaphysique, on peut la dire arbitraire, oiseuse, fantaisiste – l’essentiel est qu’elle trahit déjà un esprit (Nietzsche) qui prendra un jour tous les risques pour se mettre en garde contre l’interprétation et la signification morales de l’existence.”

    Donc pas de métaphysique ! En 14 ans son pts de vue a changé…Je me trompe ?

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