Francois Bourguignon, directeur de l’Ecole d’économie de Paris, est un spécialiste des inégalités. Dans un livre intitulé« La mondialisation des inégalités », il montre que la mondialisation, que l’on tient habituellement pour responsable d’une hausse des inégalités dans le monde, a produit en réalité des effets contradictoires.
A titre préliminaire, il attire ici notre attention sur les différentes manières de mesurer les inégalités:
« L’inégalité mondiale se définit comme l’inégalité entre tous les citoyens du monde. Peu discutée en tant que telle, elle combine de façon assez complexe l’ inégalité entre nations et l’inégalité au sein des nations.
Trois questions doivent être posées lorsque l’on parle d’inégalités: l’inégalité« de quoi», « chez qui» et « combien». S’agissant de la première question, on peut parler d’inégalités de revenu, de patrimoine, de dépense de consommation ou plus généralement, de bien-être économique. Dans une perspective mondiale, on s’intéressera ici aux « niveaux de vie », la moyenne dans un pays étant définie par le revenu national par habitant de ce pays, souvent très proche du produit intérieur brut (PIB) par tête, et sa distribution dans la population étant celle que l’on observe dans les enquêtes auprès des ménages[1]. En ce qui concerne la deuxième question, on s’intéressera à l’inégalité entre les citoyens de cette planète, en distinguant l’inégalité« entre pays» (ou « internationale »), qui décrit l’inégalité que l’on observerait dans le monde si les niveaux de vie étaient identiques au sein des pays, et l’inégalité« mondiale», qui intègre les disparités nationales de niveaux de vie. En fin de compte, pour mesurer l’inégalité, nous utiliserons trois indicateurs : la part des plus riches (les 1 %, 5 % ou 10 % des plus riches), l’écart relatif des niveaux de vie moyens des déciles extrêmes (les 10 % les plus riches et les 10 % les plus pauvres) et le coefficient de Gini[2].
Une dernière question de définition doit être abordée : celle de la différence entre inégalités et pauvreté. On peut objecter aux mesures précédentes qu’elles sont essentiellement relatives.
(…)
Il est donc important d’introduire une norme absolue dans l’évaluation de l’inégalité mondiale.Une façon commode de définir un seuil absolu de pauvreté est de compter le nombre de personnes en dessous de ce seuil. Le seuil le plus couramment utilisé aujourd’hui est celui de « 1,25 dollars par jour et par tête», soit à peu près 1 €, à pouvoir d’achat international constant (aux prix de 2005). Ce chiffre correspond en fait à la moyenne du seuil officiel de pauvreté utilisée dans les pays les plus pauvres.» François Bourguignon, La mondialisation de l’inégalité, 2012, coll. « La république des idées », Ed. du Seuil, pp 11-13.
Laurence Hansen-Love
[1] Ce choix peut être critiqué. Le PIB par habitant est un indicateur très imparfait du bien-être économique des citoyens d’une nation (voir l’ouvrage d’Amartya Sen, Joseph Stiglitz, et Jean-Pierre Fitoussi,Richesse des nations et bien-être des individus, Paris; Ed. Odile Jacob, 2009).
[2] Le coefficient de Gini peut se définir comme la différence absolue moyenne de niveau de vie entre deux individus pris au hasard dans la population. rapportée à l’ensemble de la moyenne de la population.