De la servitude à la liberté
Travail et souffrance
L’origine du mot “travail” suggère l’idée d’un assujettissement pénible. Il vient en effet du latin populaire tripalium qui désigne d’abord un appareil formé de trois pieux servant à maintenir les chevaux difficiles pour les ferrer, puis un instrument de torture. De même, le latin labor, d’où sont issus les mots “labeur” et “labour”, évoque tout à la fois le travail et la peine. C’est que le travail est d’abord une nécessité vitale. Il exprime le dénuement originel de l’homme, qui ne parvient à survivre dans la nature qu’au prix d’un effort douloureux.
Rien de ce dont il a besoin pour vivre ne lui est donné. Pour manger, pour ce chauffer, pour se vêtir, il doit se dépenser sans compter. Abandonné au sein d’une nature indifférente ou hostile, l’homme est en quelque sorte condamné à transformé sans relâche son milieu pour subvenir à ses besoins les plus impérieux.
Pour les Grecs anciens, le travail exprime la misère de l’homme, non sa noblesse, ce qui explique qu’il est réservé aux esclaves. Le travail manifeste en effet notre assujettissement au “monde de la caverne”, c’est à dire au monde de la matière, tandis que la contemplation, qui tourne “l’œil de l’âme” vers la splendeur rayonnante des idées pures, est la seule activité qui soit digne d’un homme libre.
De même, dans la tradition judéo-chrétienne, le travail est un châtiment. L’Eternel punit le premier péché en chassant Adam du jardin d’Eden et en l’obligeant à cultiver désormais une terre maudite qu’envahissent les épines et les chardons. “Tu mangeras ton pain à la sueur de ton front”, dit Dieu à Adam (Genèse, 3, 19).
Le travail, instrument de libération
Mais le travail lui-même renverse le sens de la condition humaine qu’il paraît tout d’abord exprimer. En nous contraignant à dompter les forces redoutables de la nature et à les mettre ainsi à notre service, le travail nous libère de l’aliénation dont il est le signe. Pour survivre, nous nous transformons la matière ; nous apprenons ainsi à la connaître, à la dominer, et finalement à nous en rendre maître.
Le thème du travail comme instrument de libération est développé par Hegel dans le célèbre texte consacré à la dialectique du maître et de l’esclave. Hegel conçoit deux hommes qui luttent l’un contre l’autre pour affirmer chacun sa liberté. En prenant le risque de mourir, l’un finit par dominer et devient le maître de l’autre qui préfère se soumettre plutôt que de perdre la vie. Dès lors, le maître contraint l’esclave au travail pendant que lui-même profite des agréments de la vie. Le maître ne travaille pas la terre, ne prépare pas la nourriture, n’allume pas un feu…
Parce qu’il a interposé un esclave entre le monde et lui, le maître finit par ne plus connaître les contraintes du monde matériel, et ne sait bientôt plus rien faire. Son esclave en revanche, sans cesse occupé à travailler, apprend à vaincre la nature en se soumettant à ses lois : grâce à son travail, il acquiert une nouvelle liberté. De son côté, le maître a de plus en plus besoin de son esclave et devient en quelque sorte l’esclave de son esclave. le travail a permis la formation et l’humanisation de l’esclave, tandis que le maître est devenu dépendant, incapable de satisfaire par lui-même ses propres désirs.
Signification du travail
Spiritualisation de la matière
Le travail est donc une transformation intelligente de la nature. “Le résultat auquel le travail aboutit, préexiste idéalement dans l’imagination du travailleur”, écrit Marx. Le sens humain du travail c’est son utilité, son pouvoir d’humaniser l’univers. Sisyphe, le héros de la mythologie antique condamné dans les enfers à rouler une grosse pierre au sommet d’une montagne d’où elle retombe sans cesse, ne travaille pas, car son effort ne sert à rien.
Le travail humain façonne une nouvelle nature. Si l’homme disparaissait de la Terre, non seulement nos villes tomberaient en ruines, mais les plantes mêmes qui poussent dans les champs seraient en une seule saison remplacées par de mauvaises herbes. Aujourd’hui rares sont les lieux, les paysages qui n’ont pas été façonnés, modifiés par la main de l’homme, et ce que nous appelons encore “la nature” nous offre, comme en un miroir, le visage même de l’homme. La route goudronnée où je marche, les champs qu’elle borde, le papier sur lequel j’écris, la montre que j’ai à mon poignet, tous les objets qui m’entourent sont le résultat du travail humain qui ne cesse de transformer la réalité matérielle.
Le travail révèle ainsi la condition métaphysique de l’homme. Celui-ci n’est ni un pur esprit, qui se livrerait sans obstacles à la contemplation, ni un animal soumis à la nature et préoccupé seulement de la satisfaction immédiate de ses instincts. Le travail est le propre d’un esprit, qui s’incarne avec effort dans la nature pour la spiritualiser.
La valeur morale du travail
L’importance métaphysique du travail est inséparable de sa haute signification morale. Le travail humanise, non seulement l’univers, qu’il rend plus habitable, mais il humanise aussi le travailleur lui-même, car il lui permet de trouver sa place à l’intérieur d’un organisme social dont les éléments sont solidaires. En apportant sa pierre à l’édifice social, le travailleur essaie de se rendre digne du travail de tous ceux qui produisent les biens qu’il consomme quotidiennement. “Tout travail travaille à faire un homme en même temps qu’une chose”, écrit Emmanuel Mounier.
Travailler, c’est se réaliser hors de soi-même. Les psychiatres le savent bien, qui traitent parfois leurs malades par l’ergothérapie (ou thérapie par le travail). Le malade mental auquel on confie quelques tâches retrouve un certain équilibre à se rendre utile, à s’occuper, à s’oublier un peu lui-même. Le travail ne donne-t-il pas à l’existence un ordre, une régularité salutaires ? Le temps dans lequel vit l’oisif est discontinu, hétérogène ; il coule au rythme capricieux des passions. Le temps du travailleur est réglé par les horaires du bureau ou de l’atelier, impose à sa vie quotidienne un équilibre bénéfique. ” Les mains d’Othello étaient inoccupées, lorsqu’il s’imagina d’étrangler quelqu’un”, remarque Alain.
Le travail aujourd’hui
Le travailleur automate
Si le travail se définit comme la transformation de la nature par l’intelligence humaine, les conditions de cette transformation ont prodigieusement changé au cours de l’histoire. Ainsi, la substitution progressive de la machine à l’outil a pu créer les conditions d’un nouvel asservissement. Le machinisme a augmenté la puissance de l’homme sur la nature, mais au prix d’une séparation, d’une aliénation redoutable.
L’artisan était à côté de ses outils, il en était l’âme, et son œuvre était la sienne, alors que l’homme de l’ère industrielle semble dépassé, dominé de toutes parts par le système complexe de ses machines. Dans l’industrie, l’ouvrier n’est plus que le maillon d’une chaîne de production qu’il ne maîtrise pas ; et comme le souligne Marx, les biens qu’il contribue à produire lui échappent totalement. La machine déshumanise l’homme. Tandis que l’artisan s’affirme et se reconnaît dans ses œuvres, l’ouvrier d’usine s’abrutit dans des tâches mécaniques et répétitives qui sont la négation même de la vie.
L’homme réduit à son emploi
Il n’est cependant pas impossible que le machinisme lui-même, en se développant, apporte des remède à ses propres inconvénients. Le travail automatique, monotone et inhumain de l’ouvrier rivé à sa chaîne pourrait provenir d’une mécanisation insuffisante de l’industrie. De plus en plus, les machines délivrent l’homme des tâches pénibles et répétitives. L’inhumain travail à la chaîne sera un jour exécuté par la machine elle-même, qui ne laissera probablement à l’homme qu’un travail intelligent d’invention, de contrôle et de réparation.
Toutefois, le progrès incessant de la mécanisation pose le douloureux problème du chômage. Aristote disait ironiquement que les maître pourraient se passer d’esclaves si “les navettes tissaient d’elles-mêmes” (Les Politiques, Livre I, chapitre 4). Le machinisme ne devrait il pas rétrospectivement donner à la boutade d’Aristote le sens d’une prophétie ? Pour la philosophe Hannah Arendt, l’automatisation rend progressivement le travail superflu, alors même que le travail est partout glorifié et qu’il constitue la clé de toute reconnaissance sociale. Il semble aujourd’hui que le châtiment ne soit plus dans le travail mais dans sa privation. Privé d’emploi, l’individu est stigmatisé comme inutile à la communauté et à lui-même. On ne saurait pourtant réduire l’activité humaine au travail économiquement productif. Il reste à inventer les condition d’un partage équitable du travail qui permette à tous d’avoir également accès au loisir.
En résumé
Le travail semble être tout à la fois le signe et la misère de l’homme et l’instrument de sa libération. Contraint de dompter les forces redoutables de la nature pour assurer sa survie, l’homme investit le monde de son intelligence au point d’en faire un monde domestiqué, civilisé et, pour ainsi dire, “humanisé”. Cependant, la mécanisation du travail a pu créer les conditions d’un nouvel asservissement : rivé à sa chaîne, l’ouvrier perd le sens de ce qu’il fait et devient comme étranger au produit de son travail. L’accroissement de la productivité pose également le douloureux problème du chômage, au moment même où l’on fait du travail productif la clé de toute reconnaissance sociale.
Définition générale :
La philosophie définit aujourd’hui le travail comme un action consciente et volontaire par laquelle l’homme s’extériorise dans le monde à des fins destinées à le modifier, de manière à produire des valeurs ou des biens socialement ou individuellement utiles et à satisfaire des besoins.
Citations philosophiques sur le concept de travail :
Hegel : Le travail est désir réfréné, disparition retardée : le travail forme. Le rapport négatif à l’objet devient forme de cet objet même, il devient quelque chose de permanent, puisque justement, à l’égard du travailleur, l’objet a une indépendance” (La phénoménologie de l’esprit)
Comte : Le travail est la mise en jeu de toutes les richesses et de toutes les forces naturelles ou artificielles que possède l’Humanité dans le but de satisfaire tous ses besoins (Discours sur l’ensemble du positivisme)
Marx : Le travail est de prime abord un acte qui se passe entre l’homme et la nature. L’homme y joue lui-même vis-à-vis de la nature le rôle d’une puissance naturelle. Les forces dont son corps est doué, il les met en mouvement, afin de s’assimiler des matières en leur donnant une forme utile à sa vie (Le Capital)
Marx : De chacun selon ses capacités à chacun selon ses besoins (Manifeste du parti communiste)
Voltaire : Le travail éloigne de nous trois grands maux : l’ennui, le vice et le besoin (Candide)
Film sur le travail :
Les Temps modernes de Charlie Chaplin
Concepts associés :
Bonsoir,
Le concept travail ,pour moi, représente une contrainte très spéciale. Il a connu ,dans l’ancien temps, des dérives allant jusqu’à l’esclavage. Il a évolué vers une forme de dévouement patriotique ressemblant à l’effort du sportif…Désormais,il est placé sous l’égide de l’argent afin de rémunérer les éléments nécessaire à la vie courante du travailleur et sa famille. Je crois que le Travail sous sa forme actuelle ,en tant qu’activité humaine, va disparaître poussé par l’intelligence artificielle. Il restera à donner à l’homme ,les moyens de subsister ?
Nous serons placé devant des analyses générales d’un amour plus ouvert entourant les être? Amicalement
le travail ne disparaîtra pas tant que l’être humain existera… Car toute activité créatrice, artistique nécessite un effort, un travail souvent important… d’imagination que les machines ne pourront jamais faire puisqu’elles n’ont pas d’âme, et que la finalité n’est pas matérielle mais spirituelle… le dépassement de soi, la transcendance…
peut être alors arriverons nous a éliminer la notion de superflu pour revenir simplement à celle de nécéssité.. Produire juste ce dont nous avons besoin pour vivre sainement..
ah le travail
le travail pour moi c’est l’action consciente de l’homme sur la nature ou sur un quelconque objet ( la matière, l’intellect,le spirituel, l’art,le psychique….)et qui entraîne une transformation au profit de l’homme.
Le travail; après le travail la liberté. Ce qui sous entend que l’homme étant en quête de liberté et conscient de l’importance de cette liberté accepte les travail comme un chemin vers une aisé qui découle vers la liberté .
C’est bon je crois que je peux m’ensortire avec ça
en soi le travail n’est que permanant depuis lors où l’intelligence humaine se perfectionne
J’aime tout ce qu’on y met, j’aimerais avoir encore plus de connaissances