« La question du climat est une question de guerre et de paix, et elle organise toute la géopolitique depuis 30 ans »
Lorsque Bruno Latour prononçait cette phrase, il y a quatre ans, la guerre en Ukraine ne semblait pas nous concerner, les Talibans n’étaient pas de retour à Kaboul. Une certaine jeunesse semblait prête – au moins pour une part – à se mobiliser pour le climat . Au vu de toutes les calamités qui se sont succédées depuis trois ans, à commencer par l’épidémie COVID qui a rayé déjà plus de six millions de personnes de la planète, on est en droit de se poser quelques questions.
Déjà très inquiet à l’époque, le climatologue Jean Jouzel se défendait de toute exagération :
« Pas besoin de faire de catastrophisme. La situation est catastrophique ».
Qu’en est-il aujourd’hui ? Selon les experts du GIEC, la trajectoire actuelle de nos émissions nous mène vers un monde invivable à +2,7°C. Les conséquences des changements climatiques sur notre planète et sur les écosystèmes dont nous dépendons se font déjà douloureusement sentir, notamment en termes d’extinction du vivant.
Or aujourd’hui, après quelques semaines de campagne électorale, on observe que la question écologique n’a quasiment pas été abordée par les principaux candidats à la Présidentielle. Emmanuel Macron fait mine de s’y intéresser depuis quelques jours, à la veille de l’échéance, mais il est peu crédible. Le temps du découragement, voire du désespoir est-il venu?
En tout premier lieu, tentons de formuler un diagnostic correct de la situation. A cet égard les sociologues, les anthropologues, historiens et les philosophes peuvent nous éclairer. Johann Chapoutot par exemple nous met en garde contre tous les récits (les nouveaux « ismes ») qui ont surtout le mérite de nous épargner tout effort de réflexion : déclinisme, complotisme, obscurantisme, messianisme … Il n’existe pas de solution simple, globale, encore moins brutale (telle qu’une révolution planétaire suivie dune dictature écologique ).
Kant disait qu’il faut déjà être libre pour vouloir la liberté. De même, il faut se tenir pour responsable de notre destinée collective pour agir en conséquence. Ce qu’il faut donc absolument proscrire, malgré toutes les raisons que nous avons de fulminer, de procrastiner, de « macroner » comme on dit maintenant (se dire très préoccupé mais ne rien faire), c’est la résignation liée au sentiment d’impuissance. Le fatalisme est le premier des maux à combattre. Même vis à vis de la guerre en Ukraine dont les tenants et les aboutissants nous échappent presque complètement, il y a mille choses à faire en terme de solidarité, de soutiens de toutes sortes.
La question d’une juste définition de la responsabilité est ici cruciale. Tandis que la responsabilité–imputabilité cherche à isoler les coupables, une nouvelle théorie s’intéresse plus spécifiquement à l’ensemble de nos pratiques habituelles, inconscientes, non désirées, encore moins assumées, et qui constituent pourtant la grande majorité des actions ayant un impact négatif sur la nature et sur le climat. Loin de chercher à culpabiliser, cette approche invite à résister à l’injustice structurelle de nos sociétés tout en luttant contre tous ceux qui laissent se perpétuer une dégradation de l’environnement à laquelle pourtant nul n’a le sentiment de contribuer personnellement. Tandis que la conception traditionnelle de la responsabilité restait essentiellement tournée vers le passé, cette approche innovante est orientée vers l’avenir.
Aujourd’hui, chacun d’entre nous peut agir – à son échelle. Nos motivations sont puissantes, car on ne se bat pas seulement pour soutenir une cause ou défendre un engagement théorique, on lutte pour se sentir vivants, ce qui implique de défendre l’ensemble des êtres vivants :
« Protester, c’est supplier les pouvoirs en place de creuser un puits, écrit David Graeber. L’action directe c’est creuser le puits et les mettre au défi de vous en empêcher. C’est vivre comme si on était déjà libre ».
Le dernier rapport du GIEC fournit des indications précises à ce propos. Par ailleurs, nous avons aussi quelques raisons d’espérer. La jeunesse est certes pour une large part déboussolée mais nombreux aussi sont ceux qui se mobilisent aux quatre coins de la planète. Je vais jusqu’à soutenir qu’une révolution silencieuse est en cours. Des formes de vie alternatives, des expériences collectives conviviales permettent d’établir de nouvelles relations sociales et de mettre en pratique un autre rapport à la nature.
« Elles se soucient moins d’objectifs à long terme qu’elles n’aspirent à réaliser ici et maintenant une autre façon de faire de la politique, en rupture avec les formes traditionnelles aujourd’hui dominante. Cela peut expliquer que ces pratiques soient non-violentes ».
Partout aussi les femmes se mobilisent contre la guerre (« Les mouvements des mères pour la paix »), pour la protection de la nature et des plus faibles (Voir La révolution du féminin de Camille Froidevaux-Metterie, Féminismes dans le monde ). Martine Storti nous invite dans Pour un féminisme universel à retrouver le chemin d’un féminisme non pas agressif ni hégémonique mais subversif, généreux et ouvert.
Tribune publiée le 26/04/2022
Par Laurence Hansen-Löve, auteure de Planète en ébullition