De la solitude à la contemplation

Alors que nous vivons dans un monde où la vitesse est devenue la norme, la contemplation – et son lot d’admiration – semble de plus en plus difficile à atteindre. La solitude apparaît alors comme une main tendue vers cet au-delà. Trois livres grand public indispensables à celles et ceux qui s’interrogent sur le sujet, voire qui cherchent un remède à leurs maux.

Solitude volontaire, de Olivier Remaud

« Que fuyons-nous dans le voyage ? Que trouvons-nous dans la solitude ? Que veut dire être à soi ? La société nous suffit-elle ? Quel genre de citoyen est le solitaire ? Pourquoi faut-il croire en la nature ? » (page 14).

En quelques lignes dans son introduction, Olivier Remaud pose la trame de son ouvrage ; et surtout, nous pousse à la réflexion. Nous qui sommes des animaux sociaux, bercés dans et par la société, ne serions-nous pas mieux seuls, ou avec quelques intimes ? Alors que l’on nous parle de protection de la vie privée, que l’amitié et l’amour deviennent des processus sociaux banals parce qu’à la vue de tous, pourquoi ne pas devenir ce solitaire volontaire ?

Caspar David Friedrich, Le voyageur contemplant une mer de nuages

Les premiers solitaires volontaires sont souvent oubliés : ce sont les scientifiques, les explorateurs, les aventuriers, et les penseurs, bien sûr. Pourtant, beaucoup le paient au prix fort : dépressions, envies suicidaires, malaise et vertiges existentiels (la nausée sartrienne) …Et il y a le solitaire romantique, celui qui, comme René de Chateaubriand, contemple la nature et, quasiment, ne fait plus qu’un avec elle. Il se plaît et se complaît à éviter ses contemporains, ces êtres finis qui ne sont rien face à l’immensité de la nature. Entre les deux, l’on croise les religieux, dont la solitude volontaire leur ouvre la porte d’une vie intérieure, mais partagée avec la communauté.

Mais l’auteur insiste, avec Arendt, sur la distinction à faire entre solitude, isolement et désolation, dont les deux derniers concepts sont « pré-totalitaires », quand l’individualité est niée et abolie. La solitude est nécessaire, notamment pour penser ; mais l’autre est indispensable, pour que notre unité soit rétablie. Vouloir la solitude pour se couper des autres serait néfaste donc. Mais il s’agit surtout de la critique formulée aux êtres solitaires : si vous voulez être seul, c’est par détestation des autres, par misanthropie. Et pourtant, si un homme est bien philanthrope, c’est le misanthrope, comme le rappellent Rousseau et Chamfort. Surtout, la solitude n’est pas une fuite hors du monde, à l’écart de tous. Elle est plutôt un pas de côté, qui est difficilement compris par les autres, il « n’est pas conforme à la majorité » (page 173).

L’auteur nous alerte : la solitude peut se révéler contre-productive :

« Soit on n’attend rien de la solitude et l’oisiveté finit par être insupportable. Soit on attend trop de la solitude et la désillusion s’avère cruelle : personne ne devient parfait en disparaissant » (page 113).

D’autant plus que le solitaire est solidaire, ou du moins il s’agit d’un préalable. Penser, réfléchir, prendre conscience nécessitent une appropriation propre, personnelle ; pour ensuite mieux se lancer dans l’action collective.

Ce paradoxe qui conçoit la volonté de solitude comme volonté de société est fondamental. La solitude combine alors « le désengagement et l’engagement, le retrait et la participation, la quiétude et l’inquiétude » (page 216). Elle n’est rien d’autre que l’exercice plein et entier de la liberté.

Un sentiment de solitude, de Monique de Kermadec

La solitude volontaire a ses vertus, mais quels enjeux prend-elle quand elle est subie, notamment d’un point de vue psychologique et psychanalytique ? C’est l’objet de cet ouvrage. La solitude en tant que vécua deux visages : la lumière éclairante vers le meilleure de ce que nous sommes et les ténèbres qui enferment et qui excluent.

Les mots utilisés par la psychanalyste ne sont pas anodins : « mal du siècle », « risque sanitaire », « société atomisée », l’objectivation par l’ « avoir pour être »… Elle puise parmi les meilleures références philosophiques, sociologiques, psychologiques et médicales pour étayer son saisissant propos. Elle remarque notamment que la culture de la différence, intimement liée aux formes les plus extrêmes d’individualisme, se développe dans nos sociétés, quitte à tuer la notion même de société et de commun. Les communautés ne sont plus des rassemblements (s’unir autour de ce qui nous rassemble) mais des unions de différences partagées. La vie privée n’est plus privée, et Internet a bouleversé les rapports sociaux en isolant l’intime. Ensemble, nous avons planté la graine du sentiment de solitude, quitte à dissoudre quelques-uns d’entre nous dans la société.

L’individu se sent seul non pas parce qu’il veut être aimé, mais parce qu’il veut être reconnu. Cet état d’esprit exige un contrôle sur soi impératif, et bien sûr, de la réussite, pour rester « in », dans le mouvement… Toujours jeune. Toujours souriant. Pages 101 et 102

Le dernier chapitre propose alors quelques conseils pour éviter la face ténébreuse de la solitude. Quant à la conclusion, elle convoque Jankélévitch et le mystère de l’homme : « S’il [l’être humain] semble avoir vécu les mêmes joies ou les mêmes traumatismes, il n’est pas pour autant amené à réagir et à agir comme nous le faisons. (…) Unique et irremplaçable, rien ne pourra faire qu’ayant existé, on puisse considérer qu’il n’a pas existé. » (page 206). Un ouvrage saisissant et documenté, qui mêle prise de hauteur et réflexions plus pratiques sur la solitude.

L’enchantement musical, de Vladimir Jankélévitch

De la solitude à la contemplation. Et pourquoi ne pas utiliser ce merveilleux vaisseau que constitue la musique ? Vladimir Jankélévitch a produit une pensée très poussée sur la musique, et cet ouvrage retrace des fragments de sa vie mêlée à son objet de réflexion. Il y aurait tant à dire sur le Maître. Mais la sensibilité de ses mots et la poésie de ses phrases méritent à elles seules la lecture de ce recueil inédit.

Guillaume Plaisance

Bibliographie :

Solitude volontaire – Olivier Remaud– Albin Michel – 2 novembre 2017

Un sentiment de solitude – Monique de Kermadec– Albin Michel – 2 novembre 2017

L’enchantement musical – Vladimir Jankélévitch – Albin Michel – 4 octobre 2017

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