Djihadisme et Populisme, même combat ?

Haine et violence. Djihadisme et populisme. Les nouveaux maux contemporains sont presque contenus dans ces quatre mots. Sans doute est-ce bien là le problème, que le Mal se concentre, se polarise, se cristallise autour de ces idéologies. En tant que savoir de ceux qui n’en ont pas, l’idéologie ravage nos pays. Une chronique de Tu haïras ton prochain comme toi-même d’Hélène L’Heuillet.

Pour lire cet essai, il est indispensable de resituer l’auteure dans la galaxie de la pensée, et d’intégrer immédiatement son ancrage dans la psychanalyse. Que l’on y adhère ou non, l’analyse freudienne permet à l’auteure de révéler les principaux enjeux de deux formes contemporaines de la haine, le djihadisme et le populisme ; notamment en faisant le lien immédiat entre haine et violence.

Quatre points communs

L’on retrouve ainsi la notion clef de refoulement de la haine, qui est un processus complexe alors même que la violence ruine la pensée et la parole. Mais l’auteure insiste : le refoulement ne fait pas disparaître, il codifie. Et c’est ainsi que nos sociétés sont entrées dans une nouvelle économie pulsionnelle qu’Hélène L’Heuillet se propose d’analyser :

  • Le premier point commun entre le djihadisme et le populisme est leur refus de l’altérité.
  • Le deuxième est le rôle que jouent l’appel et la voix. Il ne peut y avoir populisme ou djihadisme sans appel, et l’on pense ainsi aux recruteurs, aux discours populistes, aux appels au djihad.
  • Ajoutons un troisième, la finalité : ils ne cherchent ni paix ni victoire. Au contraire, ils se nourrissent de l’échec. En cela, leur paix est post-destruction, quand plus rien n’advient.
  • Enfin, tous deux proposent, face à l’ennui qui sclérose notre époque, des chocs.

Une jeunesse en recherche de chocs ?

Ces chocs expliqueraient en partie, pour l’auteure, l’engagement des jeunes dans ces deux mouvements. Appuyée sur une vision aristotélique de la jeunesse, la philosophe peut parfois surprendre par ses propos sur les jeunes : ces derniers seraient prompts à l’excès, parce que déracinés ou manquant de recul.

L’on pourrait sans doute nuancer ces idées, en se penchant sur une autre partie de la jeunesse. Et surtout, l’on pourrait s’interroger davantage sur la nature de cette jeunesse. Les jeunes n’ont jamais été aussi hétérogènes et différenciés. Mais admettons, ce raccourci est nécessaire au raisonnement ; d’autant plus que la fin de l’ouvrage nous rassure sur ce point.

Quelques spécificités autour de la haine

Le djihadisme se caractérise notamment par un amour de la mort. Mais pas n’importe lequel : l’amour de la mort des autres ainsi qu’une haine de soi. Le djihadiste doit aussi tuer le modéré en lui, celui qui hésitait à passer à l’acte. Il doit également se débarrasser de son éventuel attrait passé pour l’Occident et la décadence qu’il représente. L’angoisse de la mort devient une promesse : la loi morale est détruite, l’interdiction de tuer balayée. Un commandement paranoïaque prend alors le relais.

Quant au populisme, il prend une forme différente. Alors que la guerre avait pour but de défendre un père symbolique, le populisme n’en a pas, à l’instar du nazisme par exemple. En outre, le populisme déteste la représentation puisqu’elle est verticale. La représentation crée en effet de la hauteur, un « eux », une altérité. Enfin, l’auteure décrit l’origine du populisme : « la dérive de la démocratie en populisme ne trouve pas son origine dans un amour trop grand pour l’égalité, mais dans l’orientation que prend la passion égalitaire ». Si la jalousie est acceptable, l’envie crée la haine et attaque alors la démocratie.

« La haine est déliaison et dés-idéalisation. Ce qui fait donc le succès des leaders populistes est aussi ce qui cause leur chute. Ils cherchent à lier des individus qui se sentent déliés de la société politique, ils cherchent à être idéalisés tout en tenant un discours dés-idéalisant sur la politique en général. Mais ils ignorent que la haine rompt tous les liens, y compris ceux qu’elle a tissés. Aucun lien ne peut durablement se nouer sur la haine. »

Langage et nihilisme

L’auteure aborde aussi la « haine du langage », qui constitue le titre de son chapitre 3. Face à la complexité du monde, le langage n’est plus capable de réagir. En sus, notre monde se caractérise par la négation de la négation, elle n’est passymbolisée (et notamment par le langage). Nous connaissons alors une binarité entre la haine et l’amour (l’amour étant créé par une haine partagée). Mais « une telle binarité exclusive est humainement impossible. Quand la négation n’est plus symbolisée, il ne reste que la haine pour dire non. ».

Le travail de réflexion de la philosophe la mène aussi à interroger le nihilisme moderne pour comprendre la haine du langage. Si « on appelle nihilisme une tension radicale vers le rien », l’on peut considérer qu’il existe un double nihilisme :

« Dans un cas, le nihilisme est récusation du langage comme modalité d’action de la politique, dans l’autre, il est aussi à l’œuvre sous la forme d’une destruction interne au langage lui-même, distorsion de la politique à l’intérieur même de la politique. C’est ce rapport au langage qui réunit ces deux polarités de la violence contemporaine ».

Un ancrage arendtien ?

Outre Freud, la psychanalyste est inspirée par Hannah Arendt, qu’elle invoque une fois en introduction afin de rappeler que la passation d’un héritage dépend du « soin dans la transmission du monde » par les générations précédentes. Mais la vision du totalitarisme comme de la banalité du mal sont aussi en filigrane dans certains passages. Sans compter qu’elle précise que c’est la culture qui peut permettre de reconstituer le refoulement de la haine, en tant que compromis et composition pulsionnels. Autrement dit, il conviendrait de connaître et reconnaître la violence de notre époque ainsi que l’humanisation et ce qu’humain signifie aujourd’hui.

Enfin, la vision de la jeunesse est renouvelée en conclusion. Si dire non est l’essence de la jeunesse, le problème est le non qui détruit, qui rejette totalement, qui est donc radical. Alors,

« la responsabilité de la génération antérieure est de postuler que la jeunesse a des choix à accomplir. La contrainte du réel, qui existe bien sûr, ne peut pas être présentée comme privant un sujet de toute initiative. La dé-subjectivation, le désir d’être libéré des aléas de la subjectivité, individuelle, politique, civilisationnelle, doivent être pris au sérieux. ».

En conclusion : pour des lecteurs (quelque peu) avertis

Tu haïras ton prochain comme toi-même – Hélène L’HeuilletCe retour à la psychanalyse pour inspecter deux thèmes qui obsèdent aujourd’hui la politique et la sociologie est tout à fait passionnant. Si l’on adhère aux idées freudiennes, l’ouvrage est un terreau fertile pour la réflexion. Si l’on a des doutes, la philosophe a le mérite de prendre du recul et de proposer des clefs de lecture face à l’innommable.

Il me semble cependant indispensable d’avoir, en préalable, une bonne connaissance du djihadisme et du populisme pour se plonger dans cet ouvrage. Certaines subtilités risqueraient sinon d’échapper au lecteur. Incontournable pour tous ceux qui veulent comprendre le retour du Mal et de la haine au XXIème siècle.

Guillaume Plaisance

Tu haïras ton prochain comme toi-même – Hélène L’Heuillet – Albin Michel –1erSeptembre 2017 – 125mm x 190mm – 144 pages – EAN13 : 9782226397157

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2 Comments

  1. says: Valérian

    Pouvez-vous indiquer (pour les lecteurs non avertis) la définition consensuelle (l’Université) du mot “populisme” ?
    Cordialement.

  2. says: Néo

    Bonjour.
    Il me semble que l’Histoire politique et l’actualité politique n’entrent pas dans la composition de la réflexion de L’Heuillet. Je me trompe sûrement… Mais quand je la lis, j’ai franchement l’impression que son discours est déconnecté de la réalité. Al Quaïda et le Daesh sont des groupes de terroristes, sans conteste, mais ce n’est pas ces barbares sanguinaires qui ont rasé l’Afghanistan, l’Irak, la Syrie, la Palestine ; c’est nous, les civilisés. Il faudrait que l’Heuillet retrace l’histoire de ces mercenaires qui justifient l’injustifiable au nom de Dieu au même titre que nous avons justifié la destruction de l’Afghanistan, l’Irak, la Syrie, la Palestine au nom de la démocratie ; peut-être nous économiserons-nous ainsi une énième guerre avec l’Iran. Je veux dire… on ne peut pas se faire aimer par des gens qu’on diabolise pour pouvoir les détruire en toute impunité. Voyez ce qu’on a fait à Saddam Hussein, à Khadafi ! etc.
    Bonne continuation ! j’adore ce que vous faites.

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