A l’occasion de la sortie du film Le jeune Karl Marx, Laurence Hansen Love nous a autorisé à reproduire un chapitre consacré à Marx, extrait de son livre La Philosophie comme un Roman, dans lequel elle a construit des dialogues imaginaires avec les grands penseurs.
« Les philosophes ne sortent pas de terre comme des champignons ; ils sont les fruits de leur temps, de leur peuple, dont la sève la plus subtile, la plus précieuse et la plus secrète circule dans les idées philosophiques. » (Œuvres III, Philosophie).
LHL : Bonjour cher Monsieur. Je vous suis infiniment reconnaissante de m’accorder cet entretien. Je vous remercie pour une disponibilité dont je mesure le prix !
M : Je serai heureux de connaître vos questions, voire vos objections. Je tenterai d’y répondre au mieux.
LHL : En vue de cette rencontre, j’ai relu une partie de vos écrits – j’avoue qu’il est difficile d’en faire le tour. J’ai relevé à quel point vos idées ont évolué depuis vos premiers textes rédigés entre 1841 à 1848 jusqu’à vos travaux de maturité, notamment votre grand œuvre, Le Capital.
D’où ma première question : m’autorisez-vous à évoquer des propos puisés dans vos œuvres de jeunesse, si toutefois ils ne sont pas en porte-à-faux par rapport à des thèses élaborées ultérieurement ?
M : Je vous le signalerai si tel est le cas.
LHL : Avant toute chose, pourriez-vous m’aider à clarifier ce point : vous voyez-vous vous-même comme un philosophe, un économiste, un sociologue, voire un historien ? Certains de vos lecteurs affirment que vous fûtes d’abord philosophe avant de devenir l’auteur du Capital, c’est-à-dire un… sociologue-économiste, autrement dit un savant se donnant pour tâche d’étudier les lois du système capitaliste dans un esprit de rigueur et d’objectivité qui relèverait de la science et non plus, en conséquence, de la spéculation philosophique.
M : Ces activités ne sont aucunement exclusives les unes des autres. L’auteur du Capital se penche sur l’économie, en scientifique, en effet. Il ne s’interdit pas de philosopher pour autant.
LHL : Philosophe, vous l’êtes en effet, mais aussi homme d’action. Nombreux sont ceux de vos admirateurs qui ont aussi vu en vous prophète, puisque vous annoncez l’avènement d’une société inédite, d’une humanité métamorphosée.
M : Libre à vous de me reconnaître ce talent visionnaire. Mais quelle est votre question ?
LHL : Vous avez assumé successivement, voire simultanément, différentes fonctions. Il est pourtant naturel de s’interroger sur leur compatibilité. Peut-on être à la fois un libre penseur et le membre influent d’un mouvement social et politique de grande envergure ?
M : Il me semble qu’une pratique qui serait coupée de toute théorie serait vouée à l’échec, de même que toutes les spéculations philosophiques sont stériles à mes yeux si elles n’ont pas pour objectif d’amender la réalité sociale. Lorsque je me suis consacré à l’étude du fonctionnement et du devenir du capitalisme dans une perspective scientifique, je n’ai pas renié mes premières intuitions. Bien au contraire, je me suis efforcé sans relâche de les mettre à l’épreuve des faits.
LHL : À ce propos – pardonnez-moi d’y insister – j’ai toujours été interloquée par votre fameuse formule : « Les philosophes n’ont fait qu’interpréter le monde de différentes manières, ce qui importe c’est de le transformer[1]. » Votre propre parcours, d’ailleurs, le confirme : vous avez personnellement consacré une grande partie de votre énergie à tenter d’infléchir le cours de l’histoire.
M : C’est exact : l’ensemble de mes réflexions théoriques ont toujours été étroitement articulées à la pratique, notamment à l’expérience des vives contradictions qui traversaient le mouvement révolutionnaire. On imagine mal un représentant du « matérialisme dialectique » claquemuré dans un bureau et consacrant sa vie à la critique de thèses hégéliennes idéalistes.
LHL : Précisément, je voudrais évoquer avec vous votre fameux renversement de la « dialectique hégélienne ». Mais revenons un instant en arrière. Je maintiens, pour ma part, que le rôle du philosophe est d’interpréter le monde et non pas de le transformer. Cela ne signifie pas qu’un philosophe ne peut pas s’engager dans des combats de son temps, bien entendu. Mais ce sont là des orientations distinctes. Quand un philosophe « transforme le monde », comme vous l’y exhortez, il cesse de philosopher. Il me semble que la spéculation philosophique implique une distance par rapport au vécu et une impartialité qui sont inconciliables avec l’état d’esprit d’un militant, même si celui-ci est naturellement un esprit élevé et indépendant.
M : Je ne suis pas du tout de cet avis, puisqu’à mes yeux la pensée n’est jamais impartiale. L’idée d’une autonomie de la pensée n’est qu’une fantasmagorie. Dans L’Idéologie allemande, Friedrich Engels et moi-même avons appelé nos contemporains à se révolter contre ce fantasme d’une domination des idées[2]. Mieux vaut troquer ce type d’imaginations contre une philosophie plus conforme à la nature de l’homme.
LHL : Vous pensez que les philosophes idéalistes, tout particulièrement Hegel et ses disciples, présentent une conception totalement erronée de la marche de l’Histoire. Vous avez pourtant adhéré au cercle des « jeunes hégéliens de gauche » pendant votre jeunesse ?
M : Je me suis démarqué du côté mystique de la dialectique hégélienne il y a déjà près de trente ans[3].
LHL : Vous empruntez toutefois à Hegel sa fameuse « dialectique ». Ou plus exactement sa méthode, une fois celle-ci débarrassée de ses présupposés métaphysiques.
M : En effet : la dialectique de Hegel marche sur tête ; il suffit de la remettre sur les pieds pour lui trouver une physionomie tout à fait raisonnable[4].
LHL : La dialectique hégélienne comporterait, selon vous, un « noyau rationnel » sous son enveloppe mystique : c’est bien cela ?
M : Ma méthode dialectique fait plus que différer de la méthode hégélienne, elle en est l’exact opposé. Pour Hegel, le mouvement de la pensée, qu’il personnifie sous le nom d’ « Idée », est le « démiurge de la réalité », laquelle ne serait que la « forme phénoménale », c’est-à-dire l’apparence, de l’Idée. Pour moi, au contraire,le mouvement de la pensée n’est que la réflexion du mouvement réel, transporté et transformé dans le cerveau de l’homme[5].
LHL : Vous ne niez pas pour autant votre dette à l’égard de Hegel : vous dites qu’il a bien saisi le ressort de tout mouvement historique, dont toute forme observable n’est qu’« une configuration transitoire », de telle sorte « rien ne saurait lui en imposer ». Vous dites qu’en ce sens la dialectique hégélienne fut « essentiellement critique et révolutionnaire [6] ».
M : Oui, mais la dialectique idéaliste est essentiellement un procédé d’exposition. En ce qui me concerne, c’est en adoptant le point de vue de l’investigation que j’ai abordé le mouvement du réel dans son ensemble, tout en m’efforçant de formuler les lois économiques propres à chaque période historique d’une façon rigoureusement scientifique[7].
LHL : En tant que savant, vous êtes attentif aux variations historiques et sociologiques : vous observez que les lois et les rapports sociaux changent selon les types de société et selon les époques, notamment en fonction des différents degrés de développement des forces productives. En tant que philosophe, vous considérez que l’Histoire dans son ensemble obéit à une grande loi générale, conformément au postulat suivant : le mouvement social est un enchaînement naturel de phénomènes relativement indépendants de la volonté et des desseins des hommes. Du point de vue qui est le vôtre, celui du matérialisme historique, ce sont les données matérielles, c’est-à-dire économiques, qui déterminent cette conscience et ces desseins.
M : En effet. Contrairement à la philosophie allemande, qui descend du ciel sur la terre, on monte ici de la terre au ciel. C’est à partir des hommes réellement actifs et de leur processus de vie réelle que l’on montre le développement des reflets et des échos idéologiques de ce processus.Par conséquent, la morale, la religion, la métaphysique et tout le reste de l’idéologie, ainsi que les formes de conscience qui leur correspondent, ne conservent plus leur apparence d’autonomie[8].
LHL :« La conception marxiste de l’histoire met fin à la philosophie dans le domaine de l’histoire » : ce n’est pas moi qui l’affirme mais Friedrich Engels dans son Ludwig Feuerbach.
M : Si vous le voulez bien, laissons de côté les commentaires de mon œuvre. Restons-en à mes propres propos.
LHL : L’un d’eux est particulièrement célèbre. Il s’agit de la première phrase du Manifeste du parti communiste. « L’histoire de toute société jusqu’à nos jours est l’histoire de la lutte des classes[9]. » Or, on ne voit pas bien le rapport entre cette thèse et l’exposé de votre théorie générale de la société que l’on trouve dans votre Contribution à la critique de l’économie politique publiée en 1859.
M : Je veux bien vous l’expliquer à nouveau. Même si la suite du Manifeste était déjà suffisamment explicite il me semble.
LHL : Pas tant que cela. Vous expliquez qu’aux époques antérieures de l’histoire, nous trouvons presque partout une organisation de la société comprenant une hiérarchie complexe de conditions sociales.Cependant, vous considérez que toutes les sociétés ont toujours dressé, l’un contre l’autre, deux camps constitués d’une part des maîtres et d’autre part des esclaves, ou bien des serfs, puis, dans les temps modernes, des prolétaires[10].
M : C’est bien cela.
LHL : Permettez-moi de vous adresser deux objections. D’une part, cet antagonisme entre deux groupes qui se font face n’est pas avéré dans toutes les sociétés : l’État n’a pas toujours existé et, dans les sociétés sans État, il n’y avait ni classes sociales ni antagonismes entre différentes catégories économiques. D’autre part, vous annoncez que la société communiste ne comportera pas non plus de classes sociales. Est-ce à dire qu’après l’abolition du capitalisme il n’y aura plus d’histoire ?
M : En ce qui concerne le premier point, l’histoire dont je parle est celle qui a été transmise par les textes. Les sociétés sans écriture et sans histoire n’en font donc pas partie. Nous reviendrons un peu plus tard si vous le voulez bien sur l’hypothèse communiste et ses conséquences en ce qui concerne l’avenir.
LHL : La seconde objection est la suivante. Je ne trouve ni dans le Manifeste du parti communiste ni dans les textes ultérieurs de définitions claires de ce que vous appelez une « classe sociale ». Selon vous, les classes sociales ne sont pas des réalités matérielles, comparables à« des pommes de terre regroupées dans un sac »; dans vos écrits, l’analyse historique des classes sociales recouvre toujours l’analyse des luttes de classes et de leurs effets. Vous l’affirmez d’ailleurs à plusieurs reprises : c’est la lutte des classes au sein de rapports de production déterminés qui entraîne l’existence des « classes » comprises dans leur sens matériel. En d’autres termes, pour que l’on puisse parler de « classe sociale », il faut une certaine conscience de l’unité du groupe et même une volonté d’action commune. Bref, c’est la conscience de classe qui détermine et précède la réalité de la « classe ». Or cette thèse ne me paraît pas cohérente avec votre approche matérialiste.
M : Vous déformez mes propos, vous les interprétez comme bon vous semble. Vous semblez oublier que les classes sont déterminées avant tout par leur rôle économique, c’est-à-dire par leur place dans la production matérielle. La conscience de classe est le reflet d’une situation matérielle qu’elle contribue à produire : c’est ce que l’on appelle la dialectique !
LHL : C’est parfaitement clair. Mais dans le même ordre d’idées, je me suis toujours demandée pourquoi ni la notion de « classe » ni le concept de « lutte de classe » ne figurent explicitement dans l’avant-propos de votre Contribution à la critique de l’économie politique, texte de 1859 dans lequel vous présentez un exposé systématique de votre interprétation matérialiste de l’histoire.
M : Je ne crois pas que cette lacune soit le moins du monde significative. La notion de « rapports de production » contient implicitement celle de « classe sociale » : elle signifie que nous n’avons jamais affaire à des individus isolés ni à des personnes abstraites. Nous ne connaissons que des hommes reliés entre eux en fonction de leurs positions respectives dans le processus matériel de production des biens économiques, propre à chaque société et à chaque étape du mouvement historique. L’essence de l’homme n’est pas une abstraction inhérente à l’individu isolé. Dans sa réalité, elle est l’ensemble des rapports sociaux[11].
LHL : Parfait. Il serait bien de résumer votre conception matérialiste de l’histoire telle que vous l’exposez dans ce fameux avant-propos.
M : J’ai retenu sept moments dans cet exposé de ma philosophie :
1) Dans la production sociale de leur existence, les hommes nouent des rapports déterminés, nécessaires, indépendants de leur volonté.
2) Toute société comporte deux étages : la base est la « structure économique de la société » qui est constituée par les forces productives et les rapports de production. Cet « édifice juridique et politique »– le premier étage – englobe les institutions juridiques et politiques, la philosophie et tout ce qui relève de la pensée, bref la « conscience sociale ».
3) Ce sont les forces productives, c’est-à-dire tous les moyens dont dispose une sociétéà un moment donné pour produire, qui déterminent le mouvement de l’ensemble. Les rapports de production qui sont fixés par les rapports de propriété, mais incluent aussi la répartition du revenu national, entrent périodiquement en contradiction avec les forces productives. Ces contradictions portent en germe les époques révolutionnaires. L’ensemble de ce mouvement, dont le ressort est la contradiction, est dit « dialectique ».
4) Dans les périodes prérévolutionnaires une classe reste attachée aux rapports de productions anciens. Ceux-ci deviennent une entrave pour le développement des forces productives, tandis qu’une autre classe qui, à l’opposé, représente de nouveaux rapports de production, favorisera au maximum le développement de ces forces. Dans la société capitaliste, la nôtre, le prolétariat est le représentant d’une nouvelle organisation de la société qui marquera une phase ultérieure et inéluctable du procès historique.
5) Les révolutions ne sont pas des accidents politiques, elles se produisent nécessairement lorsque les conditions économiques sont en place.
6) Ce n’est pas la conscience des hommes qui détermine la réalité, c’est au contraire la réalité sociale qui détermine leur conscience.
7) Il existe quatre états de l’histoire humaine, déterminés d’après leur régime économique. Il s’agit des modes de production asiatique, antique, féodal et bourgeois. Les rapports de production bourgeois sont la dernière forme antagonique du procès social de la production. Avec ce système social c’est la préhistoire de la société humaine qui se clôt[12].
LHL : Selon l’un des aspects essentiels de cette analyse, vous considérez qu’un renversement politique ne peut se produire que lorsque les conditions matérielles d’un tel changement sont écloses dans le sein même de la vieille société. Et vous concluez : « C’est pourquoi l’humanité ne se propose jamais que les tâches qu’elle peut remplir[13]. »
M : En effet. Les révolutions ne sont pas le résultat de décisions individuelles ou collectives, pas davantage l’effet de l’exaspération des classes dominées. Car ce n’est pas la conscience des hommes qui détermine le réel; tout au contraire cette conscience elle-même ne peut s’expliquer que par les contrariétés de la vie matérielle qui la sous-tendent.
LHL : Mais si « l’humanité ne se pose jamais que les problèmes résoudre », cela signifie-t-il que les classes laborieuses doivent prendre bien soin de laisser mûrir les forces et les rapports de production avant toute mobilisation révolutionnaire, puisqu’il ne faut surtout rien précipiter ?
M : Toute mon activité militante témoigne du contraire. La connaissance des lois de l’économie et la prise de conscience par les hommes des contradictions qui minent le système capitaliste ne peuvent avoir qu’un effet positif sur le cours des choses. Les idées sont certes le reflet des conditions matérielles des hommes mais, encore une fois, elles produisent des effets en retour. Tandis que les thèses réactionnaires vont freiner les mouvements historiques, une vigoureuse politique prolétarienne pourra en accélérer le cours.
LHL : J’aurais une autre question. Imaginons un mode de production un peu différent de celui du monde occidental. J’ai cherché dans l’ensemble de vos textes, et je n’ai pas trouvé de réponse claire sur ce point. Imaginons que ce mode de production ne serait pas défini par la subordination des travailleurs – serfs ou salariés –à une minorité possédant les instruments de production, mais par la subordination de tous à l’État. Partant de là, on peut imaginer que le dépassement du capitalisme n’induise pas la fin de toute exploitation, mais la généralisation d’un mode de production de ce type à l’ensemble de la planète.
M : Je ne suis pas prophète. Cela dit, il me semble que si la société tout entière est exploitée par un État illégitime incarné dans une bureaucratie écrasante, la situation n’est pas foncièrement différente de celle que nous décrivons dans le Manifeste du parti communiste. Nous aurons toujours deux blocs face à face, l’un disposant de tous les moyens de production et l’autre constitué d’individus asservis puisqu’ils seront forcés de vendre leur force de travail au profit d’une minorité de nantis.
LHL : Admettons. Une autre question est celle de savoir pourquoi la lutte des classes oppose toujours une classe à une autre, autrement dit pourquoi, d’après votre analyse, la société devrait toujours se distribuer en deux groupes antagonistes, et seulement deux. Pour notre époque, il s’agit selon vous des « bourgeois » et des « prolétaires ».
M : La théorie du mode de production capitaliste exposée dans le Capital apporte la réponse à cette question. Il y a effectivement une polarisation de la société qui exprime l’essence du capitalisme. Je veux parler du mécanisme de l’exploitation : c’est la lutte du capital assurant l’extraction de la survaleur qui appelle la lutte de tous les travailleurs cherchant à préserver leur propre subsistance : deux blocs se constituent automatiquement.
LHL : Lorsque vous abordez l’économie, vous revendiquez le statut d’économiste pur, c’est-à-dire scientifique, suivant le modèle des économistes anglais dont vous vous êtes nourri, et dont vous reconnaissez être l’héritier. En même temps vous êtes extrêmement critique à leur égard. Que leur reprochez-vous exactement ?
M : Les économistes classiques ont considéré que les lois de l’économie capitaliste étaient des lois universellement valables. Au contraire, d’après moi, chaque régime économique comporte des lois qui lui sont propres. Les lois économiques élaborées par mes prédécesseurs ne sont que les lois du régime capitaliste. Or, un régime économique ne peut pas être compris en faisant abstraction de son soubassement social. S’il y a des lois économiques propres à chaque régime, c’est parce que celles-ci sont l’expression abstraite de relations sociales caractéristiques d’un certain mode de production. Par exemple, dans le régime capitaliste, c’est la structure sociale qui explique le phénomène de l’exploitation, et c’est également cette structure qui contient en germe l’autodestruction inévitable de ce régime.
LHL : L’analyse du mode de fonctionnement du régime capitaliste vous permet de dessiner à grands traits le devenir de ce système bien au-delà des faits observables. En ce sens, le Capital est un livre scientifique, fondé sur l’observation des faits. Mais c’est en même temps une grande fresque philosophique présentant l’Humanité en lutte contre elle-même, affrontant puis dépassant finalement ses propres contradictions. Ce n’est donc pas seulement un ouvrage scientifique.
M : Il est clair, en effet, que la compréhension du fonctionnement du capitalisme permet de comprendre pourquoi ce régime est condamné par ses contradictions internes, et pourquoi il ne peut qu’appeler une révolution qui l’anéantira. Un savant ne peut toutefois pas prévoir comment ni où ni quand cette révolution se produira.
LHL : Parfait. Avant de poursuivre ce débat, me permettez-vous de résumer à mon tour les thèses principales du Capital, comme vous l’avez fait tout à l’heure pour celles du matérialisme historique ?
M : Il n’est pas facile de rendre compte en quelques mots d’un travail aussi ample, et parfois, très technique…
LHL : Bien entendu. Mais vous m’arrêterez aussitôt si je dénature vos idées.
M : Je n’y manquerai pas.
LHL : La première proposition est la suivante : l’essence du capitalisme est la recherche du profit avant tout. D’où la question : comment le profit se constitue-t-il, et quels sont les procédés que les capitalistes mettent en œuvre pour réaliser toujours davantage de profits ? Étant donné que l’argent ne crée pas par lui-même plus d’argent, il s’agit d’expliquer comment, en échangeant des marchandises, les hommes s’enrichissent. Pour résoudre cette énigme, vous opposez deux types d’échanges. Dans le troc, par exemple, si j’échange une chaise contre une bicyclette, j’acquière en principe une marchandise qui a une valeur équivalente à celle que j’ai cédée. Au contraire dans l’échange capitaliste, l’un des protagonistes obtient davantage que ce qu’il possédait au départ.
M : Oui. Tout se passe comme si l’échange produisait par lui-même de la richesse ; ce qui est absurde. On ne voit pas comment ni pourquoi l’échange aurait la vertu d’enrichir qui que ce soit.
LHL : C’est votre théorie de la plus-value qui résout cette énigme. Avant de l’exposer, précisons ce qui fait d’une part la valeur, d’autre part le prix d’une marchandise : le prix de quelque chose peut se dissocier partiellement de sa valeur en fonction de l’état de l’offre et de la demande. Et pour ce qui concerne la valeur d’une marchandise, celle-ci ne peut reposer objectivement que sur la quantité de travail qui a été nécessaire pour la produire ; non pas par le travail qu’un individu a dû fournir, mais par la quantité de travail social moyen, dans un contexte donné, qui s’est cristallisé dans un objet. La quantité de travail fourni est en effet le seul élément quantifiable que l’on découvre dans toute marchandise.
M : Oui : étant donné qu’il existe de très grandes différences entre les aptitudes des travailleurs ainsi qu’entre les capacités créatrices propres à chaque activité, j’ai jugé bon de mesurer les différentes espèces de travail à l’aune d’une unité que je nomme le « travail social moyen ». Il est clair qu’une telle unité est variable selon les contextes et selon les époques historiques. Ni le temps de travail ni les efforts fournis ne sont les mêmes à l’époque de l’esclavage antique, dans la fabrique ou dans l’usine.
LHL : Vous considérez ensuite que la valeur du travail se mesure comme la valeur de n’importe quelle autre marchandise. Le salaire et donc censé être l’équivalent de la quantité de travail fourni, en moyenne, par les ouvriers. Le salaire devrait donc théoriquement être l’équivalent de ce que valent les efforts fournis par les salariés… Mais il y a là une première difficulté. Comment mesurer ce que vaut – vraiment – le travail fourni par l’ouvrier, ou par la classe ouvrière dans son ensemble ?
M :J’ai considéré que la valeur du travail de l’ouvrier correspond – toujours en moyenne –à celle de l’ensemble des biens et des marchandises dont l’ouvrier et sa famille ont besoin pour survivre. Bref : la valeur du travail, c’est la quantité de travail social nécessaire pour produire les marchandises indispensables à la vie de l’ouvrier et de sa famille.
LHL : Ce serait la valeur réelle du travail, son noyau objectif, n’est-ce pas ? Et voici maintenant la suite de votre théorie de la plus-value. Pour que l’entrepreneur puisse effectuer un profit, il faut que le salaire fourni à l’ouvrier ne corresponde pas à la valeur réelle de son travail, c’est-à-dire à la quantité de travail qu’il a effectivement fournie, mais seulement à une portion de celui-ci. Le salaire correspond par exemple à cinq heures de travail, mais l’ouvrier travaille dix heures. La partie de la journée de travail nécessaire pour produire la valeur cristallisée dans le salaire est appelée « travail nécessaire », le reste est nommé « surtravail ». La plus-value est la quantité de valeur produite par l’ouvrier, parce qu’il travaille au-delà de temps de travail nécessaire, c’est-à-dire du « travail nécessaire » pour produire une valeur correspondant à celle qu’il a reçue sous forme de salaire[14].
M : En voici une illustration très simple : dans les milieux industriels en Angleterre, nombre d’entrepreneurs prétendent ne faire de profits que sur les deux dernières heures de travail; et d’ailleurs, chaque fois que les ouvriers tentent d’obtenir une réduction de la durée de la semaine de travail, les entrepreneurs protestent. Ils prétendent qu’avec une journée de moins de 10 heures, ils ne pourraient s’y retrouver.
LHL : On comprend dans cette mesure pourquoi le capitalisme n’est pas une relation équilibrée entre les propriétaires des moyens de production et les travailleurs; c’est une fuite en avant perpétuelle. Car le système ne peut prospérer que par le renouvellement permanent des moyens mis en œuvre pour accroître le profit, ou pour éviter son exténuation, ce qui revient au même. Dans le livre II du Capital, vous montrez en outre que le caractère concurrentiel et anarchique des mécanismes capitalistes, ainsi que la nécessité de la circulation du capital, induit une possibilité permanente de décalage entre production et répartition du pouvoir d’achat.
En effet : la bourgeoisie ne peut exister sans révolutionner constamment les instruments de production et donc les rapports de production, c’est-à-dire l’ensemble des rapports sociaux. J’avais déjà démontré, dans Misère de la philosophie, que ce constant ébranlement de toutes les conditions sociales, cette agitation et cette insécurité perpétuelle distinguaient les époques bourgeoises de toutes les précédentes. Plus le capital productif augmente, plus il est forcé de produire pour un marché dont il ne connaît pas les besoins, plus la production précède la consommation, plus l’offre cherche à forcer la demande. En conséquence, les crises ne peuvent qu’augmenter en intensité et en rapidité[15]. C’est ainsi que, poussée par le besoin de trouver des débouchés de plus en plus larges pour ses produits, la bourgeoisie envahit le globe entier. Il lui faut s’implanter partout, mettre tout en exploitation et établir partout des relations conformes à ses intérêts, tout en exerçant une pression constante sur la classe ouvrière dont elle achète la force de travail au prix le moins élevé possible là où elle souhaite établir ses entreprises
LHL : La bourgeoisie n’aurait-elle pas tout intérêt, au contraire, à augmenter régulièrement et progressivement les salaires, afin de pouvoir écouler ses productions en soutenant la demande ? Il me semble que cela résoudrait tous ses problèmes.
M : Absolument pas, pour la raison suivante. Dans une branche industrielle donnée, il y aura d’autant plus de plus-value qu’il y aura plus de capital variable, et d’autant moins de plus-value que la composition organique du travail évoluera vers la réduction du rapport entre le capital variable et le capital constant.
LHL : Pardon, mais vous allez un peu trop vite. Pourriez-vous nous rappeler ce que vous nommez « la composition organique du travail ».
M : Le capital d’une entreprise comporte deux volets. D’une part, le capital constant, c’est-à-dire l’ensemble constitué par les matières premières investies dans la production et par les machines.
LHL : En quel sens est-il « constant » ? N’évolue-t-il pas sans cesse lui aussi, nécessairement ?
M : Il est « constant »– par opposition au capital « variable »– en ce sens qu’en lui se dépose, pendant un certain temps, la valeur des produits, mais sans créer de plus-value. Au contraire, le capital « variable » est le capital dévolu aux paiements des salaires. La « composition organique du capital » est la relation entre le capital variable et le capital constant. Le maintien ou l’augmentation du profit a pour condition une augmentation constante de la part du capital variable aux dépens du capital constant puisque le profit vient du capital variable, c’est-à-dire du temps travaillé mais non rémunéré.
LHL : Il me semble que ce n’est pas ce que l’on observe; on constate en effet une inégalité très grande des taux de profit selon les branches de l’économie, et, dans certains cas, ce sont les entreprises qui ont augmenté le plus leur capital constant aux dépens du capital variable qui font le plus de profit. D’autant que l’un des procédés employés par les capitalistes pour accroître leurs profits est de réduire le plus possible la durée de travail afin de réduire le nombre de leurs employés. Or le moyen le plus simple de réduire la durée de travail nécessaire pour développer leur production est évidemment d’augmenter la productivité. Vous soulignez vous-même cette tendance universelle de l’économie capitaliste à accroître en permanence la productivité du travail.
M : Vous avez raison sur ce point. C’est pourquoi j’ai bien précisé que le taux du profit se calcule non pas par rapport au seul capital variable, mais par rapport à l’ensemble du capital, c’est-à-dire par rapport à la somme du capital constant et du capital variable. Si le taux de profit était proportionnel au capital variable, le capitalisme ne pourrait que dépérir puisque le capital variable a tendance à se réduire relativement, compte tenu de l’augmentation de la productivité. Il se constitue donc un taux de profit moyen dans chaque économie nationale. L’ensemble des plus-values constitue un montant global que les capitalistes se répartissent entre les secteurs en proportion du capital total, la concurrence forçant les profits à s’harmoniser et à tendre vers un taux moyen.
LHL : Même si le taux de profit se calcule en moyenne et non pas entreprise par entreprise, le mécanisme que vous avez révélé est donc toujours à l’œuvre, inchangé : la « composition organique du capital » évolue sans cesse en ce sens que la part du capital variable dans le capital total temps à diminuer. Étant donné que la plus-value est prélevée sur le capital variable, c’est-à-dire sur le travail des hommes, l’augmentation de la productivité conduit paradoxalement à la baisse du taux de profit.
M : Exactement. La concurrence des entreprises capitalistes les oblige à augmenter leur productivité; l’accroissement de la productivité suscite une mécanisation de la production et, par conséquent, potentiellement, une réduction du capital variable par rapport au capital constant. Ce qui est contraire aux intérêts des entreprises. C’est ainsi que, par un étrange revirement, la machine entre les mains du capital est utilisée non pas pour réduire le temps de travail et adoucir les conditions des travailleurs, mais tout au contraire pour transformer la vie entière du travailleur et de sa famille en temps disponible pour la mise en valeur du capital[16].
L’ensemble de ces mécanismes rendra de plus en plus difficile le fonctionnement d’une économie axée tout entière sur la seule recherche du profit.
LHL : Difficile, ou impossible ? On pourrait imaginer que le capitalisme s’adapte, par exemple en réduisant la longueur de la journée de travail, tout en maintenant ses emplois, ou bien au contraire en augmentant les salaires. On pourrait aussi supposer que le capitalisme traversera des crises mais qu’il inventera sans cesse des parades pour les surmonter. Mais vous excluez ces possibilités puisque vous parlez d’une autodestruction prévisible du capitalisme. Pourquoi le capitalisme doit-il s’autodétruire, pourquoi serait-il incapable de se réformer ?
M : Pour des raisons qui ne sont pas seulement économiques, mais qui tiennent aussi aux retombées sociales du fonctionnement capitaliste.
LHL : Vous voulez parler sans doute de la paupérisation des travailleurs.
M : On constate en effet que les prolétaires tendent à être de plus en plus misérables au fur et à mesure que se développent les forces productives. En raison de la baisse tendancielle du taux de profit, les capitalistes sont obligés d’agir sur d’autres leviers, notamment de restreindre les salaires. C’est l’une des raisons pour lesquelles les revenus distribués aux masses populaires restent insuffisants pour absorber la production croissante. De plus, du fait des progrès constants de la mécanisation, subsiste en permanence un surplus de main-d’œuvre non employée qui pèse sur le marché du travail, et qui modifie au détriment des ouvriers les relations d’échange entre capitalistes et salariés. La constitution de cette armée de réserve annule donc les progrès dans les conditions de travail que l’on pourrait attendre des avancées scientifiques et techniques.
LHL : Vous évoquez la condition du prolétariat qui, selon vous, ne peut aller qu’en empirant. Mais le prolétariat, c’est-à-dire l’ensemble des travailleurs qui ne disposent que de leur force de travail, ne peut être purement et simplement assimilé aux ouvriers non qualifiés travaillant pour un « bourgeois »– un industriel ou un propriétaire foncier. Il existe de multiples catégories sociales qui ne relèvent pas de ce statut, par exemple les artisans, les agriculteurs, les petits entrepreneurs, les agents de l’État, le personnel administratif, etc. Les revenus de toutes ces catégories sociales ne vont pas nécessairement baisser au même rythme que ceux des prolétaires. On pourrait imaginer que le niveau de vie des classes moyennes s’élève, que leur proportion dans l’ensemble de la population augmente et que le pouvoir d’achat global des travailleurs continue ainsi de résorber la production capitaliste.
M : Oui, mais il se trouve que c’est exactement l’inverse qui se produit. Au fur et à mesure du développement du régime capitaliste, toutes les couches intermédiaires entre les capitalistes et les prolétaires sont dépossédées de leurs moyens de production, plongées dans la misère, exploitées à leur tour et finalement absorbées par le prolétariat. Non seulement l’élévation du niveau de vie des ouvriers ne se produit pas, mais on assiste à un nivellement du niveau de vie de tous, à l’exception bien sûr des bourgeois.
LHL : L’ « autodestruction du capitalisme » n’est donc pas un mécanisme exclusivement économique : vous le déduisez aussi de la souffrance croissante des travailleurs prolétarisés et de la révolte prévisible de ces travailleurs. Vous annoncez donc une révolution… sans en préciser ni le contexte historique ni l’échéance. À l’issue de ce grand bouleversement, dont les modalités restent floues, la philosophie aura achevé sa tâche : élever la conscience explicite de l’humanité dans le but de faire enfin advenir un « homme total », c’est-à-dire un homme qui aura tourné la page de l’aliénation. Pourriez-vous nous expliquer comment vous réinterprétez la notion d’ « aliénation » en la détournant de son contenu originel, qui était idéaliste ?
M : Chez Hegel, l’aliénation est un processus philosophique qui n’a pratiquement rien à voir avec les conditions de vie des hommes réels. Dans la conception hégélienne, c’est l’esprit qui s’aliène lui-même – il se projette dans ses réalisations – notamment lorsqu’il élabore des institutions, produit des œuvres d’art ou construit des édifices. Il se scinde alors, il se sépare de lui-même : étymologiquement, « aliénation » désigne le processus par lequel on devient étranger à soi-même. Au terme de ces extériorisations successives, l’esprit reprend cependant possession de lui-même : pour Hegel « aliénation » ne rime pas avec « désolation ». Ce mouvement qui découle de la nature de l’esprit est à la fois nécessaire et positif.
LHL : L’aliénation est au contraire, d’après vous, un phénomène contingent lié à l’exploitation de l’homme par l’homme, notamment dans le capitalisme. Pour que l’homme puisse s’accomplir, il doit donc en finir une fois pour toutes avec cette aliénation. Ce que vous jugez est à la fois possible et souhaitable.
M : Selon moi, comme vous le savez, la racine de toutes les formes d’aliénation est l’aliénation économique, mais la critique de l’économie capitaliste enveloppe aussi une critique philosophique et morale de la situation subie par l’homme dans un régime capitaliste.
LHL : L’aliénation est selon vous d’abord imputable à la propriété privée des moyens de production, et, en second lieu, à l’anarchie du marché. À ce propos, j’aurai deux questions. Voici la première : seuls les prolétaires sont-ils aliénés, ou bien cette dégradation de notre humanité concerne-t-elle la société tout entière ? La seconde question a trait aux institutions et aux croyances religieuses : celles-ci sont-elles exclusivement déterminées par le système d’exploitation capitaliste ?
M : La première question tout d’abord : en tant qu’elle est imputable à la propriété privée des instruments de production, l’aliénation se manifeste par le fait que le travail, qui définissait à l’origine l’essence de l’homme, perd ces caractéristiques humaines. Dans la mesure où il travaille dans des conditions intolérables, l’homme est déshumanisé. Cela vaut essentiellement pour les prolétaires, mais, comme je l’ai expliqué par ailleurs, tous les travailleurs tendent à se « prolétariser » et par conséquent la déshumanisation ne peut que se généraliser. Au lieu que le travail soit l’expression de l’homme lui-même, il se voit partout dégradé en un moyen de vivre qui ampute l’homme du meilleur de ses capacités. Les entrepreneurs eux aussi sont aliénés, dans la mesure où l’entrepreneur devient esclave d’un marché imprévisible soumis aux aléas de la concurrence : ce n’est pas parce qu’il exploite ses salariés qu’il est lui-même épanoui dans son travail ni pleinement humain dans son existence sociale.
LHL : Il me semble pourtant que les progrès de la science et des techniques devraient permettre, à terme, un adoucissement de la condition des travailleurs. On appelle cela, en général, le « progrès »… Les machines, par exemple, soulagent les hommes en se substituant à eux pour les tâches les plus ingrates.
M : Ce n’est pas du tout ce que l’on observe. Je peux vous expliquer pourquoi. La plus grande division du travail détruit la spécialité du travailleur et substitue au travail qualifié un travail que tout le monde peut faire. Elle accentue de ce fait la concurrence entre les ouvriers. Parallèlement, l’accroissement du travail productif, en forçant les capitalistes industriels à travailler avec des moyens toujours plus étendus et plus performants, ruine les petits industriels et les jette dans le prolétariat[17]. De plus, on peut s’attendre à ce que tous ces phénomènes destructeurs que la libre concurrence fait naître à l’intérieur d’un pays se reproduisent dans des proportions gigantesques sur le marché de l’univers[18].
LHL : C’est effectivement ce que nous promet la généralisation du système capitaliste à la planète tout entière. Vous avez des accents lyriques lorsque vous évoquez la manière dont la bourgeoisie a tout réduit à des rapports d’argent. Je vous cite : « Elle a noyé dans les eaux glacées du calcul égoïste les frissons sacrés de l’exaltation religieuse, de l’enthousiasme chevaleresque, de la mélancolie sentimentale des petits bourgeois. Elle a dissout la dignité personnelle dans la valeur d’échange et substitué aux innombrables libertés reconnues par lettres patentes et chèrement acquises la seule liberté sans scrupule du commerce. En un mot elle a substitué à l’exploitation que voilaient les illusions religieuses et politiques l’exploitation ouverte, cynique, directe et toute crue. La bourgeoisie a dépouillé de leur auréole toutes les activités tenues jusqu’ici pour vénérables et considérées avec une piété mêlée de crainte. Elle a transformé le médecin, le juriste, le prêtre, le poète, l’homme de science, en salariés à ses gages[19]. »
J’avoue que je trouve votre charge éloquente, mais un tout petit peu excessive. Il est vrai que ce passage figure dans un « Manifeste », c’est-à-dire un texte de propagande, n’est-ce pas ?
M : Un texte militant. Quoi qu’il en soit, je ne désavoue pas ces propos, en tout cas pas sur le fond. Même si le style est enflammé et le trait parfois un peu forcé, je veux bien le reconnaître.
LHL : J’en viens donc à ma seconde question, qui porte sur l’aliénation religieuse. Vous affirmez que les illusions religieuses s’expliquent elle aussi par l’exploitation économique. Moyennant quoi, dans le passage que je viens de citer, vous semblez nostalgique d’une époque précapitaliste, puisqu’alors la religion atténuait en la masquant l’exploitation « ouverte, cynique, directe et toute crue ».
M : Non, je ne regrette absolument pas cette époque où la religion conduisait les hommes à supporter leurs conditions avec fatalisme ! La croyance religieuse n’est pour moi qu’un stupéfiant, et ce type de médication désamorce toute velléité de révolte ou de révolution.
LHL : Votre magnifique texte sur l’opium du peuple, restera, je crois, dans toutes les mémoires. Me permettez-vous d’en citer un passage ?
M : Bien entendu, je vous en prie.
LHL : « La religion est le soupir de la créature opprimée, la chaleur d’un monde sans cœur, comme elle est l’esprit de conditions sociales d’où l’esprit est exclu. Elle est l’opium du peuple. Abolir la religion en tant que bonheur illusoire du peuple, c’est exiger son bonheur réel. Exiger qu’il renonce aux illusions sur sa situation, c’est exiger qu’il renonce à une situation qui a besoin d’illusion. La critique de la religion est donc en germe la critique de cette vallée de larmes dont la religion est l’auréole.
La critique a dépouillé les chaînes des fleurs imaginaires qui les recouvraient, non pour que l’homme porte des chaînes sans fantaisie, désespérantes, mais pour qu’il rejette les chaînes et cueille la fleur vivante[20]. »
Ce texte est magnifique. Je me demande toutefois si vous ne vous laissez pas emporter par votre éloquence.
M : Ah oui…
LHL : Vous dites que si un peuple renonce à l’illusion religieuse, il renoncera par là même, je vous cite, « à une situation qui a besoin d’illusion ». Il me semble pourtant que, d’une part, l’on peut être athée tout en étant conservateur ou réactionnaire, autrement dit nullement révolutionnaire. Et que, d’autre part, même s’ils ont rejeté leurs chaînes et surmonté l’aliénation économique, comme vous les y exhortez, les hommes ne vont pas pour autant renoncer automatiquement à toute croyance d’ordre religieux. Votre surprenant optimisme concernant l’émancipation inéluctable de l’être humain donne même parfois à vos propos une connotation eschatologique. Votre foi dans le progrès – je pense ici à vos prédictions concernant le communisme et le dépérissement de l’État, entre autres – n’est-elle pas une version sécularisée de croyances religieuses traditionnelles ? Le prolétariat est-il notre nouveau Messie ?
M : Vous semblez oublier que mes prévisions s’appuient sur une analyse scientifique et qu’elles ne sont pas des prophéties fantaisistes. C’est la bourgeoisie qui produit ses propres fossoyeurs parce que le développement de la grande industrie sape la base même sur laquelle elle établit sa domination[21]. Je vous rappelle qu’à nos yeux, le communisme n’est pas un état de choses à créer, ni un idéal auquel la réalité devra se conformer. Nous appelons communisme le mouvement réel qui dépasse l’état actuel des choses[22].
LHL : Mais vous paraissez vous écarter du registre strictement scientifique lorsque vous dépeignez, par exemple, la situation de l’homme qui se sera libéré de la tutelle de « l’homme aux écus ». Dans la mesure où vous avez démontré que l’aliénation de l’homme au travail était le fait du régime capitaliste, vous en déduisez qu’une fois la bourgeoisie renversée, le prolétariat se servira de sa suprématie politique – je vous cite encore une fois – « pour arracher peu à peu à la bourgeoisie tout capital, centraliser tous les instruments de production entre les mains de l’État, c’est-à-dire du prolétariat organisé en classe dominante et pour accroître le plus possible la masse des forces de production[23] ». Vous reconnaissez que la transition vers la conquête de la démocratie impliquera des « interventions despotiques dans le droit de propriété et dans les rapports de production bourgeois[24] ». Mais la dictature du prolétariat ne devrait être que momentanée. Pour finir, vous annoncez ceci : « À la vieille société bourgeoise avec ses classes et ses oppositions de classe se substitue une association dans laquelle le libre développement de chacun est la condition du libre développement de tous[25]. »
M : Il faut replacer ces propos dans leur contexte. Je vous rappelle qu’il s’agissait d’un Manifeste, et que nous l’avions signé à deux. Il m’est arrivé par la suite de nuancer certains propos et d’affiner certaines analyses.
LHL : Sans doute. Mais dans tous vos écrits vous présentez le communisme comme la fin de l’aliénation et la promesse d’une émancipation non seulement des prolétaires mais aussi de tous les hommes. Vous écrivez par exemple, dans les Manuscrits de 1844 : « Le communisme est appropriation réelle de l’essence humaine par l’homme et pour l’homme ; donc retour total de l’homme pour soi en tant qu’homme social[26]. » Vous appelez de vos vœux une humanité réconciliée avec elle-même. À plusieurs reprises, vous dites que dans une société communiste, chacun, au lieu d’avoir une sphère d’activité exclusive, pourra se former dans la branche qui lui plaît. Le temps de la division du travail et de la spécialisation appartiendra alors, dites-vous, au passé. Vous écrivez : [ Dans la société communiste ] « chacun pourra chasser le matin, aller à la pêche l’après-midi, faire l’élevage le soir et la critique après le repas selon son bon plaisir, sans jamais devenir chasseur, pêcheur ou critique[27]. ». Cette vision de l’homme « social », ou encore « total », n’est-elle pas quelque peu utopique ?
M : Je pense que dans une société où il n’y a plus de propriété privée des instruments de production, les antagonismes qui dérivaient de cet état de choses volent en éclat. Les producteurs associés exerceront le pouvoir au nom des masses populaires. L’État sera voué à disparaître en tant qu’instrument de domination : sous un régime communiste, il ne remplira plus que les fonctions administratives et directoriales qui restent indispensables dans toute société développée. Mais dans ce nouveau cadre, la division du travail, telle qu’elle est organisée aujourd’hui, disparaîtra. La société dans laquelle ceux qui travaillent ne gagnent pas et ceux qui gagnent ne travaillent pas[28] appartiendra désormais à l’histoire. Les hommes pourront organiser leur travail comme ils l’entendent et non pas pour le seul profit des propriétaires des moyens de production. Les décisions ne seront plus prises par une minorité pour une minorité, mais dans l’intérêt de tous.
Cela change tout. Une fois instaurée la règlementation communiste de la production, la puissance de la loi de l’offre et de la demande se volatilisera et les hommes contrôleront les échanges, la production, la façon de se comporter les uns avec les autres[29]. Quant à l’évocation d’un homme qui change d’activités plusieurs fois au cours d’une seule journée, elle n’est évidemment qu’une figure de rhétorique.
LHL : Autre sujet d’étonnement : en quel sens le prolétariat est-il une « classe universelle » ? Vous croyez vraiment que lorsque le prolétariat – ou plus exactement ses représentants attitrés – auront pris le pouvoir en tant que « classe universelle », tous les antagonismes entre les catégories sociales disparaîtront spontanément ?
M : Le mouvement du prolétariat est le mouvement autonome de l’immense majorité au profit de l’immense majorité[30]. Il ne peut que servir les intérêts de la société dans son ensemble.
LHL : On peut tout de même imaginer que certaines minorités ne partagent pas les idéaux prolétariens : que se passera-t-il si elles tentent de faire obstacle à ce mouvement global d’émancipation ? Dans le Manifeste, vous dites que le prolétariat « fonde sa domination en renversant par la violence la bourgeoisie[31] ». Une fois la bourgeoisie renversée, les relations entre les différentes catégories sociales seront-elles complètement et définitivement pacifiées ? Je veux bien vous suivre lorsque vous postulez que la société ne sera plus distribuée en deux classes antagonistes, les oppresseurs et les opprimés. Mais il me semble improbable que tous les intérêts des différents groupes et des différents individus soient devenus miraculeusement convergents.
M : Dans l’État socialiste tel que je le conçois, il y aura encore des contradictions entre les différents groupes; on peut imaginer des tensions entre la ville et la campagne, entre l’administration et les administrés, entre les petits propriétaires terriens et les ouvriers agricoles… Mais ces contradictions auront cessé d’être antagonistes.
LHL : Comment cela ?
M : Une contradiction est antagoniste lorsqu’elle ne peut se résoudre que par la suppression de l’un des deux termes de la contradiction.
LHL :À ce propos, y aura-t-il encore des propriétaires dans un régime communiste ?
M : Oui. Contrairement à ce que l’on a pu dire pour effrayer nos partisans, nous n’envisageons pas d’abolir la propriété en tant que telle, c’est-à-dire la possession des biens personnels ou de consommation dûment acquis par chacun. Ce qui distingue la révolution communiste de toutes celles qui ont précédé, ce n’est pas l’abolition de la propriété en général, mais l’abolition de la propriété bourgeoise[32].
LHL : Y aura-t-il encore des employeurs et des employés dans un régime communiste ? Leurs intérêts ne seront-ils pas contradictoires ? Ne peut-on envisager que certains ouvriers défendent leurs intérêts particuliers, éventuellement contre d’autres ouvriers, ou encore obtiennent pour eux-mêmes certains avantages aux dépens de travailleurs moins favorisés ?
M : On ne peut rien exclure, et la transformation radicale des mentalités ne se fera certainement pas en un jour. Dans la société communiste, il y aura certainement des contradictions, mais sûrement pas des conflits insurmontables dans la mesure où la propriété des moyens de production sera collective et donc que leur exploitation se produira en vue de l’intérêt général.
LHL : Cette révolution communiste, il faudra nécessairement qu’elle se produise à l’échelle de l’humanité tout entière, n’est-ce pas ? Dans le cas contraire, on peut prévoir que les capitalistes du monde entier se regrouperont et tenteront d’interrompre le processus révolutionnaire par tous les moyens dont ils disposeront, à commencer par la guerre.
M : Les cloisonnements nationaux et les oppositions entre les peuples disparaissent progressivement du seul fait du développement de la bourgeoisie, de la liberté du commerce, du marché mondial, de l’uniformité de la production industrielle et des conditions d’existence qu’elle entraîne. Les révolutions prolétariennes assumeront et accentueront un processus qui est donc déjà largement entamé. L’unification de tous les prolétariats, du moins dans les pays civilisés, se poursuivra inexorablement[33].
LHL : Vous pensez donc qu’à terme les guerres n’auront plus aucune raison d’être ?
M : À mesure qu’est abolie l’exploitation d’un individu par l’autre, l’exploitation d’une nation par l’autre l’est aussi.
Avec l’opposition des classes à l’intérieur d’une nation tombe l’hostilité des nations entre elles[34].
LHL : La question est alors de savoir si nous vivrons assez longtemps pour connaître cette heureuse époque post-historique qui se caractérisera par un régime de fraternité universelle pour tous les peuples définitivement réconciliés. Il faudra d’ici là non seulement que le capitalisme ait implosé mais aussi que les idéologies et les croyances religieuses soient exténuées. Car les préjugés culturels et les rancunes ancestrales peuvent aussi contribuer à alimenter des animosités entre différentes communautés. De façon générale, il me semble que vous avez tendance à minimiser le rôle des idées, notamment des croyances et des idéaux spirituels. Les exigences les plus élevées et les ambitions les plus hautes sont également à prendre en considération. J’en veux pour preuve l’influence considérable que votre propre critique du capitalisme, et les différentes modalités de votre engagement, ont exercé sur les classes laborieuses tout au long de votre existence généreuse et mouvementée.
M : Je vous sais gré de cette appréciation.
LHL : Le fait de démontrer, comme vous l’avez fait dans Le Capital, avec une perspicacité et un talent qui vous honorent, qu’un système social est injuste, mais qu’il n’est pas éternel et même qu’il porte en lui les ferments de sa propre destruction, est profondément subversif. De fait, l’ensemble de votre œuvre a une influence considérable; ce qui prouve que les idées d’un homme, servies par son génie, ont le pouvoir sinon d’inverser, du moins d’infléchir, le cours de l’histoire.
Telle sera donc ma conclusion : vous avez sous-estimé la portée de vos propres idées. Vous comprendrez à quel point ces dernières remarques témoignent envers et contre tout de ma profonde admiration.
Notes biographiques
Karl Marx est né à Trèves en Allemagne, dans une famille bourgeoise. Il étudie le droit et la philosophie, et collabore pendant quelque temps avec les « néo-hégéliens » (Bruno Bauer, Max Stirner, Ludwig Feuerbach) qui avaient déjà entrepris une critique de la réalité allemande en s’appuyant sur certaines des analyses de Hegel. Il exerce un temps le métier de journaliste et s’oriente vers la politique. Puis il quitte l’Allemagne pour Paris, où il rencontre Friedrich Engels avec qui il collaborera toute sa vie. Il coécrit avec lui L’idéologie allemande, qui pose les fondements d’une philosophie matérialiste appliquée à l’histoire. Chargé par la ligue des communistes de rédiger le Manifeste du particommuniste, en 1848, il va discuter, tout en faisant face à de graves difficultés matérielles, avec d’autres théoriciens socialistes, de la meilleure conception des transformations révolutionnaires de la société. Après l’échec des révolutions de 1848 en Europe, il entreprend un immense ouvrage d’analyse économique, le Capital (1867-1894), que la maladie l’empêchera de terminer. À partir de 1884, il est le principal animateur de la Première internationale. Successivement expulsé de Paris, puis de Bruxelles, avant de s’installer à Londres, il aura payé d’une vie de souffrance, de misère et de persécutions policières une philosophie radicale qui ne fut jamais coupée d’un engagement politique non moins conséquent que courageux.
Le matérialisme est chez Marx dialectique : à la suitede Hegel, il considère que l’histoire procède par une succession de contradictions, chaque résolution partielle débouchant sur une nouvelle crise. Mais cette « dialectique » cesse d’être spéculative, elle s’applique désormais aux situations concrètes. Car pour Marx, l’homme se définit d’abord par son travail, c’est-à-dire par la production de ses moyens de vivre. L’humain crée ses propres conditions d’existence. Le travail définit également l’homme en désignant sa place dans l’organisation sociale. L’histoire de l’humanité est donc déterminée en dernier ressort par sa structure économique, c’est-à-dire la conjonction des forces productives et des rapports de production qui sont propres à chaque étape du devenir historique.
La majeure partie de l’œuvre de Marx est consacrée à l’étude des mécanismes de l’évolution du système capitaliste. Depuis son accession au pouvoir lors de la Révolution française, la bourgeoisie exploite le travail des ouvriers qui n’ont d’autre choix que de vendre sur le marché leur « force de travail », la seule « chose » qu’ils possèdent. C’est en s’appropriant cette force de travail que l’entreprise réalise du profit : telle est la fameuse théorie de l’extorsion de la plus-value que Marx explicite dans le Capital. Pour en finir avec cette exploitation, le prolétariat devra bouleverser le système économique en vigueur en abolissant la propriété privée des moyens de production et en renversant la bourgeoisie. Cette révolution sera le début d’un processus qui, une fois passée l’étape de la « dictature du prolétariat », conduira au « dépérissement de l’État » puis à la promotion d’une société communiste qui libérera l’humanité dans son ensemble et permettra la réalisation de « l’homme total ».
Les analyses de Marx, notamment dans la seconde partie de son œuvre, se veulent « scientifiques ». Si la philosophie se range aux côtés du prolétariat, ce n’est pas par sentimentalisme, mais parce que cette classe sociale, est l’incarnation de « l’Universel ». Représentant les intérêts de l’immense majorité des hommes, c’est elle qui en réalisera l’émancipation. Quant au capitalisme, il est condamné à disparaître pour des raisons qui tiennent à ses propres contradictions, notamment à son incapacité à trouver des débouchés suffisants pour les produits dont il inonde un marché devenu mondial mais néanmoins limité.
Un siècle et demi plus tard, le jugement que l’on peut porter sur les prophéties de Marx ne peut être qu’extrêmement contrasté. Les régimes qui se sont réclamés du communisme sont tellement éloignés des prédictions de Marx qu’ils autorisent ses disciples à soutenir qu’elles n’en sont pas la caricature, mais bien plutôt l’antinomie. En revanche, les analyses critiques du capitalisme restent percutantes; elles sont encore utiles pour appréhender les crises actuelles du capitalisme mondialisé et financiarisé. Cependant, bien loin d’imploser, comme prévu, le capitalisme s’adapte sans cesse et sort même parfois renforcé de ses crises les plus sévères.
Quoi qu’il en soit, et contrairement à ce qu’impliquait leur a priori matérialiste, on doit souligner à quel point les idées de Marx ont transformé le monde. Sans la référence à cette philosophie, et à l’influence qu’elle a exercée, l’histoire du XIXe et du XXe siècles resterait totalement opaque. En ce qui concerne le XXIe siècle, il est un peu trop tôt pour le dire, mais le retour des guerres de religion semble invalider, autant qu’on puisse en juger, les schémas d’explication strictement matérialistes, tandis que les problématiques écologiques semblent inconciliables avec une vision progressiste de type marxiste.
Pour aller plus loin :
[1] Thèses sur Feuerbach, (vers 1844-1847), XI.
[2] L’idéologie allemande (avec Friedrich Engels, 1846), traduction Hans Hildebrand, Éd. Nathan, avant-propos, p 33, 1991.
[3] Le Capital, dans Karl Marx, Œuvres , Économie, I, Éd. Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », établie par Maximilien Rubel, 1965, p. 558.
[4] Ibid. , p. 558.
[5] Ibid. , p. 558.
[6] Ibid. , p. 559.
[7] Ibid. , p. 558.
[8] L’idéologie allemande, op. cit. , p. 44.
[9] Manifeste du parti communiste (1848), traduction Émile Bottigelli, Éd. G.-F. Flammarion, 1972, p.°73.
[10] Ibid. , p. 74.
[11] Thèse sur Feuerbach, VI.
[12] Contribution à la critique de l’économie politique(1859), avant-propos, dans Œuvres, Économie I, op. cit ., p.°272-275.
[13] Ibid.
[14] Le Capital, deuxième section, chapitre VI, Achats et ventes de la force de travail, op. cit. , p. 714-726.
[15] Discours sur le libre-échange, dans Misère de la philosophie (1847), annexe, Éditions sociales, 1968, p. 205.
[16] Le Capital, op. cit. , livre premier, quatrième section, chapitre XV, p. 948.
[17] Discours sur le libre-échange, op. cit. , p. 211.
[18] Ibid. , p. 21 .
[19] Manifeste du parti communiste, op. cit. , p. 76.
[20] Karl Marx, Contribution à la critique de la philosophie du droit de Hegel (1844), traduction A. Baraquin, dans Critique du droit politique hégélien, Éditions Sociales, 1975, p. 197.
[21] Manifeste du parti communiste, op. cit. , p. 89.
[22] L’idéologie allemande, op. cit. , p. 58.
[23] Manifeste du parti communiste, op. cit., p. 100.
[24] Ibid. , p. 100.
[25] Ibid. , p. 102.
[26] Manuscrits de 1844, Éditions Sociales, 1972, p. 87.
[27] L’idéologie allemande, op. cit. , p. 56.
[28] Manifeste du parti communiste, op. cit. , p. 95.
[29] L’idéologie allemande, op. cit. , p. 59.
[30] Manifeste du parti communiste, op. cit. , p. 88.
[31] Manifeste du parti communiste, op. cit. , p. 88.
[32] Manifeste du parti communiste, op. cit. , p. 92.
[33] Manifeste du parti communiste, op. cit. , p. 98.
[34] Manifeste du parti communiste, op. cit. , p. 98