Réunis sous le titre dichotomique Humanité et Terreur, les textes proposés dans cet ouvrage mettent en application les concepts philosophiques d’Arendt à la politique de son temps. D’une actualité toujours aussi brûlante, ces courts textes éclairent les réflexions contemporaines et, surtout, la persistance de certains mécanismes dans lesquels nos systèmes politiques et sociaux sont enfermés.
Penser aujourd’hui en comprenant hier
La passion de comprendre d’Arendt a toujours été associée à sa volonté de penser le monde. Dans Condition de l’Homme moderne (page 38), elle écrit ainsi :
L’irréflexion (témérité insouciante, confusion sans espoir ou répétition complaisante de « vérités » devenues banales et vides) me paraît une des principales caractéristiques de notre temps. Ce que je propose est donc très simple : rien de plus que de penser ce que nous faisons.
En l’occurrence, en cherchant à comprendre son temps, Arendt nous invite en effet à penser aujourd’hui. Lorsqu’elle écrit en 1995 Les germes d’une Internationale fasciste (repris dans l’ouvrage ici présenté) pointant à la fois la faillite des Etats-Nations et le caractère « international antinational » du fascisme, difficile de ne pas penser à la force des populismes qui se répand tout autour de la planète.
C’est parce que cette hypothèse d’une Internationale fasciste ne lui semble pas si improbable qu’Arendt développe dans ces textes un argumentaire complet autour des conséquences du régime nazi, de l’état de l’Allemagne, du concept même de Nation ou de politique, ou encore quant à la manière dont les sciences sociales étudient les camps de concentration.
Au travers de recensions ou de critiques d’ouvrages et de thèses auxquels Arendt apporte son point de vue, la philosophe donne au lecteur les armes pour penser le fascisme, l’antisémitisme, le communisme et le totalitarisme ; annonçant ou accompagnant la publication des Origines du totalitarisme en 1951.
La Terreur, du concept arendtien au sens général
La terreur chez Arendt prend un sens tout spécifique, dans la mesure où elle est un instrument au sein des totalitarismes (et uniquement d’eux) qui s’en prend aux détenteurs du pouvoir. Mais au fil du développement du régime totalitaire, la terreur « n’est plus un moyen pour une fin ; c’est l’essence même d’un gouvernement de ce type. Son objectif politique ultime est de créer et de maintenir une société (…) dans laquelle chaque individu ne serait rien d’autre qu’un spécimen de l’espèce » (page 257).
En cela, l’héritage aristotélicien de la philosophe se ressent, Aristote ayant pensé la terreur et la pitié comme les deux émotions tragiques. Aujourd’hui, au-delà du sens politique donné par Arendt et le sens historique du fait des terreurs blanche ou rouge, la terreur est avant tout une émotion profonde, qui saisit l’Homme.
Terrible, telle est l’œuvre d’Arendt ; à la fois terrifiante sur la nature humaine, dérangeante quant aux concepts développés – et souvent mal compris –, donc extraordinaire, au sens premier du terme. Ce qui nous donnerait à penser le sens mélioratif que prend désormais l’adjectif terrible…
Guillaume Plaisance
Arendt, Hannah (2017), Humanité et Terreur, Payot
Comme d’habitude, je trouve la pensée d’Arendt extrêmement creuse. Quelqu’un pourrait-il m’expliquer son intérêt ? Concrètement je ne vois vraiment pas où elle veut en venir. On dirait qu’elle cherche à conceptualiser quelque chose qui relève essentiellement de la sensibilité (par exemple, la “terreur” qui relève de la tragédie). C’est comme une bouillie informe et incompréhensible. Mais peut-être que quelqu’un pourra me contredire..
Et au passage, je trouve son analyse du fascisme un peu gonflée. Comme s’il y avait d’un côté le camp du Bien et de l’autre le camp du Mal. Peu de gens le savent mais les EU ont pendant un certain temps soutenu l’Allemagne nazie du moment qu’elle faisait la guerre à la Russie soviétique (de même aussi qu’ils ont longtemps préféré Pétain à De Gaulle mais bon passons…). Du coup, ne serait-ce pas plus pertinent de traiter la question de l’impérialisme plutôt que celle du fascisme ou du totalitarisme, dont les concepts demeurent très flous chez Arendt ?