Il faut s’adapter, sur un nouvel impératif politique – Barbara Stiegler

Jacques Louis David, Le Serment du Jeu de Paume
Jacques Louis David, Le Serment du Jeu de Paume

Barbara Stiegler, philosophe connue notamment pour ses travaux sur Nietzsche, publie en ce début d’année un ouvrage issu d’un travail de long court qui, pourtant, trouve un écho saisissant dans l’actualité. En interrogeant les bases philosophiques de la démocratie contemporaine et du néolibéralisme, l’auteure nous donne à penser leurs maux actuels, quitte à lever le voile sur les frustrations et les conflictualités qui déchirent notre pays depuis quelques mois mais aussi depuis des décennies.

L’adaptation pour Barbara Stiegler est omniprésente dans notre vocabulaire. Or ce lexique n’est pas anodin : ce vocabulaire darwinien, que l’on pense parfois éteint, est en réalité la toile de fond de notre vie. Face au complexe, au chaos, à un environnement instable, changeant, contradictoire, il faut s’adapter.

Remarquons tout de suite deux points d’achoppement au sein de cet impératif.

D’une part, l’adaptation doit venir des individus et des populations, et non l’inverse. Tel que le souligne la philosophe, un sens pour la vie et pour les Hommes est donné, inexorablement, contre lequel rien n’est possible. C’est bien l’ancrage darwinien du néolibéralisme, trop souvent négligé.

D’autre part, envisager l’acceptation sans adaptation ou bien une pensée proche de l’Amor fati de Nietzche (« ne rien vouloir d’autre que ce qui est, ni devant soi, ni derrière soi, ni dans les siècles des siècles. Ne pas se contenter de supporter l’inéluctable, et encore moins se le dissimuler – tout idéalisme est une manière de se mentir devant l’inéluctable –, mais l’aimer » écrit-il dans Ecce Homo), apparaît inconcevable.

Peut-être est-ce, entre autres raisons, parce que Barbara Stiegler a longtemps écrit sur le philosophe allemand que sa réflexion se porte aujourd’hui sur cet impératif. Ainsi explore-t-elle les racines de la démocratie contemporaine, notamment influencée par Walter Lippmann. Ce dernier considère que le sens précédemment évoqué conduit à une forme de mondialisation à laquelle les populations ne sont pas prêtes.

L’Etat remplit alors un rôle majeur : accompagner les populations vers cette destination finale. L’auteure considère que le droit devient un code de la route ; éditant les règles du jeu. La « loi qui ordonn[ait] » devient une « réforme qui adapte », écrit-elle. Sans forcément devenir technocratiques, les gouvernants s’entourent d’experts pour que le code et les règles soient les meilleurs possibles, les plus adaptés. John Dewey, contradicteur pragmatiste de Lippmann, soulignait alors le problème majeur de cette vision de la démocratie : la population perd sa capacité à choisir la destination, ne pouvant que choisir la durée du voyage ou encore l’itinéraire, pour filer la métaphore.

Au-delà de l’intérêt philosophique majeur qu’est la connaissance plus fine des souches de notre démocratie, notamment dans les moments de remise en cause profonde, l’ouvrage éclaire les débats actuels et les nouveaux clivages. Dans ce processus d’adaptation, chacun peut être en retard ou en avance … non sans rappeler le conflit politique entre progressisme et conservatisme.

Plus globalement, l’auteure montre combien notre vision (politique) de l’environnement, de la santé ou encore de l’éducation est fondamentalement influencée par notre positionnement quant au débat Lippmann – Dewey. Alors, effectivement, il est possible de comprendre l’appel de Barbara Stiegler en faveur d’une philosophie contribuant à la « reprise en main (…) du gouvernement de la vie et des vivants ».


Guillaume Plaisance

Stiegler, B. (2019), Il faut s’adapter, sur un nouvel impératif politique, Gallimard

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2 Comments

  1. says: Rem

    Bonjour,

    Il n’est nullement écrit dans les ouvrages de Darwin les citations mentionnées. Allant sur ce fondement et n’ayant pas encore lu l’ouvrage de Barbara S. , qu’il me soit permis de me questionner aussi longtemps sur la veracité du resumé de votre fameux article voire même sur ledit ouvrage. D’où je me demande où est passé l’esprit critique?

  2. says: Jean

    Rem, je ne sais oú vous voyez des « citations » de Darwin dans l article. Par ailleurs, certains concepts de Darwin sont déformés et instrumentalisés a des fins politiques par la bande des nigauds neosophistes qui nous gouvernent, c est une évidence. Je pense que c est ce dont il est question ici.

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