Intelligence Artificielle & Philosophie: l’AI est-elle une représentation de l’intelligence parmi d’autres ?

Voici une réflexion sur l’intelligence artificielle, inspirée de l’exposition “Neurones, les intelligences simulées” que j’ai eu la chance de visiter au Centre Pompidou, écrite par Adèle Chinotto, agronome et fondatrice du projet lapororoca.com, visant à traiter les technologies sous le prisme philosophique.

L’intelligence artificielle, une représentation de l’intelligence parmi d’autres ?

A l’heure où l’intelligence artificielle envahit tous les domaines du monde contemporain, ne vous êtes-vous jamais ce qu’est cette intelligence qu’on « artificialise » ?

L’exposition « Neurones, les intelligences simulées » du Centre Pompidou réalise le coup de maître de mobiliser l’art et la science pour cerner le phénomène de l’intelligence pour donner des clefs de compréhension à l’intelligence artificielle. 

Le mystère de l’intelligence

Depuis l’Antiquité, les plus grands penseurs se penchent sur la question de l’intelligence. Il était communément cru que l’activité mentale avait son siège au centre du corps humain, dans le cœur. Aristote défendait ce point de vue contre Hippocrate, pour qui déjà pensées, sentiments et émotions étaient gouvernées par le cerveau.

L’étude du phénomène de l’intelligence a longtemps été négligée sur le plan scientifique, faute d’outils conceptuels et expérimentaux, tandis qu’il faisait l’objet d’intenses débats dans les domaines de la philosophie, de la métaphysique et de la religion. Ce n’est qu’au XXème siècle, qu’une discipline sur l’étude des faits psychiques et des processus mentaux se revendique scientifique : la psychologie.

En ce début du XXIème siècle, les avancées technologiques affinent l’étude de l’intelligence, en particulier les neurosciences. S’il n’existe pas encore d’explication complète, les neurosciences commencent à décrypter le support biologique du phénomène. L’analyse du système nerveux, tant du point de vue de sa structure que de son fonctionnement précise les moindres détails organisationnels de l’intelligence.

Mais la recherche en neurosciences a encore de grandes interrogations devant elle et le mystère demeure : comment l’intelligence est-elle créée? Comme une poule aux œufs d’or, le tas de matière grise dissimule son trésor dès qu’on le passe au bistouri. La morale : l’intelligence ne se dissèque pas.

L’alternative de l’art : la démarche de l’exposition

L’intelligence ne se montre pas sous un microscope, elle est abstraite. Or l’art est capable de ramener l’abstrait au concret, de transformer le sentiment en sensation. La représentation artistique semble donc être une piste probante au défi de comprendre l’intelligence.

Mais la démarche n’est pas si simple : c’est le siège même des abstractions qu’il faudrait représenter. Au contraire des émotions comme la joie ou la colère, l’intelligence n’est associée à aucune couleur, aucun symbole.

Comme le montre le concept d’intelligence émotionnelle et les controverses autour du quotient intellectuel, l’intelligence est plurielle et malléable. Alors comment représenter l’intelligence quand celle-ci dépasse de tous les cadres, même ceux de l’art ? Comment adapter la démarche artistique à l’intelligence ?

L’exposition « Neurones, les intelligences simulées » relèvent brillamment ce casse-tête par l’innovation artistique. L’art numérique y joue une place centrale en proposant une “matière” malléable à souhait, le numérique, à la hauteur du défi de représenter l’intelligence. Plus que la représenter, l’intelligence artificielle montre que le numérique est capable de la simuler.

Des œuvres artistiques innovantes pour “sentir” l’intelligence

Aux confins des sciences et des arts, l’exposition propose l’expérience artistique pour comprendre l’intelligence. Des œuvres innovantes à l’instar de Self Reflected du neuroscientifique et artiste américain Greg Dunnprésente au visiteur l’ampleur de la complexité cérébrale. Sur cette micro-gravure réfléchissante d’un cerveau imaginaire, les réseaux neuronaux scintillent comme des pensées qui naissent et disparaissent.

Devant l’oeuvre, on prend conscience de la lumière dans notre tête. Une grandeur ambiguë nous envahit. Cette puissance semble être nôtre, pourtant elle nous dépasse; Est-ce cela l’intelligence, la beauté d’une perfection innée ? Ou la rage de ne pas mériter notre génie ?

Madam Repeateat 
Madam Repeateat 

D’autres œuvres soulignent des aspects plus actuels de l’intelligence, à l’instar de Madam Repeateat le portrait mi-humain mi-machine de l’artiste américano-kenyane Wangechi Mutu, ou des vidéos d’humains augmentés. Dans ces cas, l’expérience de l’intelligence est associée à la sensation effrayante d’un futur transhumaniste vers lequel notre propre intelligence semble nous pousser inexorablement.

Ces œuvres prennent aux tripes à l’heure où l’intelligence artificielle (IA), s’étend à tous les domaines du monde contemporain. La recherche scientifique a rendu l’IA capable de dépasser l’Homme sur de nombreux plans. Alors l’imaginaire collectif, nourri par la science-fiction, s’inquiète de la perspective que la machine puisse un jour asservir homme.

L’intelligence artificielle : une projection mathématique de notre propre intelligence ?

L’intelligence artificielle apparaît dès les années 50. Rythmée par les avancées technologiques et mathématiques, l’IA se développe jusqu’au tournant de 1997, date à laquelle « Deep Blue », 1m80 et 14 tonnes d’électronique, gagne aux échecs contre le champion mondial Garry Kasparov.

Les choses se sont grandement accélérées depuis le milieu des années 2010 grâce au deep learning, l’apprentissage profond pour les algorithmes ; l’IA acquiert la capacité « d’apprendre » à partir de données, y compris à faire de l’art. En 2016, une intelligence artificielle crée le nouveau chef-d’œuvre du peintre néerlandais Rembrandt, The Next Rembrandt.

The Next Rembrandt – 2016

Les inquiétudes suscitées par ces dernières avancées révèlent la nature paradoxale de l’intelligence : ses propres doutes l’assaillent à chaque fois qu’elle fait preuve de son génie. Qu’il s’agisse du feu, “dangereux ami” de Prométhée, ou encore de l’électricité qui donne l’étincelle de vie au personnage gothique de Frankenstein, chaque grande avancée technique reçoit son lot de doutes existentiels.

Ces mythes dévoilent leur créateur : un génie déchaîné puis rattrapé par la morale. De même, dans l’IA se reflète l’ambiguïté de l’intelligence : un monstre de logique qu’on expose dans l’un des plus grands musées du monde.

Un indice fondamental sur la nature de l’intelligence

« Neurones, les intelligences simulées » rappelle que l’intelligence artificielle est un sujet interdisciplinaire. Son développement depuis les années 50 elle est le fruit d’un travail mutuellement influencé par la science et les arts, dont la science-fiction se fait la clef de voûte.

L’exposition nous fait artistiquement partir à l’exploration de la fourmilière géante du cerveau humain où chaque intelligence naît de la coopération collective de milliards de neurones, comme chaque intelligence collective naît de la coopération de nombreux individus.

C’est l’évidence splendide et terrifiante que l’Humanité est tout mais qu’individuellement nous ne sommes rien. On ressort de l’exposition avec un indice primordial sur la nature de l’intelligence : elle est collective.

Les neurosciences expliquent l’intelligence dans les moindres détails sans en donner l’essentiel. Tandis que l’art insiste sur la beauté de ne pas avoir d’explication, et c’est peut-être ça l’essentiel.

Adèle Chinotto

Vous pouvez retrouver les informations pratiques de l’exposition sur : https://www.centrepompidou.fr/cpv/agenda/event.action?param.id=FR_R-f146fa16402582d562607c9d2cbeee3e&param.idSource=FR_E-f146fa16402582d562607c9d2cbeee3e

 

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