La Philosophie de Helmut Plessner

Frida Kahlo - Les deux Fridas - 1939
Frida Kahlo – Les deux Fridas – 1939

Introduction

Une grande partie de la tradition philosophique occidentale s’est développée à partir du présupposé théorique d’une appartenance duplice de l’être humain au monde physique « extérieur » et à un monde spirituel « intérieur », réservé à lui seul. En particulier, à partir de Descartes et de sa division entre res cogitans et res extensa, la réflexion philosophique moderne et contemporaine a pensé l’être humain à partir d’une série des dichotomies métaphysiques: le sujet et l’objet, l’esprit et la matière, l’intérieur et l’extérieur, le dedans et le dehors. Le point de départ de cette recherche est le dépassement de ces oppositions à travers la mise au jour de la dimension corporelle de l’être humain. L’objectif de ce travail est précisément celui de définir le rapport au corps en tant que condition de possibilité de l’homme, conçu comme une structure dynamique et ouverte. Dans ce but, on a choisi de se référer à la pensée de Helmuth Plessner[1] pour développer notre argumentation. À son avis, l’être humain n’est ni une conscience détachée du monde ni une chose entre les choses : il est le point qui témoigne d’un rapport à double sens de l’intérieur et de l’extérieur, dans la mesure où l’extérieur et l’intérieur sont liés réciproquement l’un à l’autre. Plus précisément, en se référant à l’enchevêtrement entre la dimension subjective et celle objective du corps, Plessner parle de Verschränkung. Ce terme en allemand indique la connexion entre deux sphères hétérogènes. Selon Plessner, bien que divergents, les deux aspects sont toujours aussi entrelacés.

Dans un premier temps, on cherchera à dévoiler les enjeux théoriques principaux de la réflexion plessnérienne à travers l’étude de son œuvre majeure, Les degrés de l’organique et l’homme[2]. L’analyse de ce texte (et en particulier du dernier chapitre dédié à l’être humain) nous permettra de mettre au jour le rapport particulier que l’être humain a avec son corps. En fait, pour Plessner l’être humain est capable à la fois d’être un corps (Leib) et d’avoir un corps (Körper). Cette double perspective le rend un animal excentrique. Ensuite, l’approfondissement du concept d’exzentrische Positionalität et de son rapport avec l’expressivité en tant que modalité vitale de l’homme nous permettra de définir celui-ci comme un animal qui pousse lui-même à une effectuation toujours autre. Par conséquent, en conclusion, on essayera de mettre au jour l’aspect qui, à notre avis, est le plus intéressant de la réflexion plessnérienne : le caractère créateur de l’excentricité. En fait, pour Plessner, nous sommes en même temps acteurs et spectateurs avec nous-mêmes. La positionnalité excentrique permet à l’être humain de reculer par rapport à soi-même et, donc, d’ouvrir un espace de liberté dans lequel développer un processus continu de transformation et de constitution de soi. De cette manière, Plessner développe une théorie positive de la nature humaine comme auto-poïétique, dont l’acteur théâtrale est le modèle par excellence. Dans notre démarche nous nous appuierons principalement sur Les degrés de l’organique et l’Homme, mais aussi sur Le rire et le pleurer[3] et sur un texte qui, malheureusement, n’a pas encore été traduit en français : Zur Anthropologie des Schauspielers[4].

La positionnalité comme caractéristique de l’organique

Dans un premier moment, la tâche que la philosophie de Helmuth Plessner cherche à accomplir est sans doute celle de développer une théorie de l’expérience vitale de l’homme. En cherchant à dépasser l’alternative cartésienne entre un sujet et un objet (et avec elle toutes les alternatives à partir desquelles le débat épistémologique moderne s’est développé, comme corps-esprit, matériel-immatériel, intérieur-extérieur), Plessner s’efforce de considérer l’homme comme une réalité vivante et de ne pas le soumettre aux isolements méthodologiques de la psychologie ou de la physiologie. Il essaye de replacer l’être humain dans son contexte vivant originel pour ne pas isoler une dimension, soit elle psychique ou physique. Bref, son objectif est celui d’élaborer l’unité psycho-physiquement indifférente de la personne humaine en tant qu’être vivant. Sur la base de ces prémisses, il est évident que l’anthropologie philosophique, conçue comme la discipline qui se pose le problème du mode d’existence de l’homme et de sa position dans le tout de la nature, présuppose le développement d’une philosophie de la nature, d’une « biologie philosophique ». Sa pensée a besoin d’un fondement scientifique relatif à la vie, d’une philosophie de la vie.[5] Or, si l’anthropologie philosophique doit dériver d’une biologie générale de l’être vivant, la première question qu’il faut poser est assez simple : qu’est-ce que nous permet de déterminer la différence entre un vivant et une chose sans vie ? La réponse de Plessner se développe à travers plusieurs étapes.

Premièrement, chaque ob-jet (Gegenstand) apparait sous un double aspect, il se caractérise par la division en un intérieur et un extérieur et présente ainsi « une relation dedans-dehors » divergente par principe.[6] Ces cotés divergent, mais ne sont pas inaptes à passer l’un dans l’autre. En tant que figure spatiale, chaque chose a des contours, une périphérie et un centre repérables. En ce qui concerne l’être vivant, on peut noter que ses contours semblent dynamiques et non définitifs. Les choses animées, par rapport aux inanimées, semblent avoir la capacité de transformer leur mode d’apparition. Toutefois, cette intuition ne peut pas, par elle-même, conduire à un saut qualitatif entre le corps inorganique et le corps organique. Alors, deuxièmement, Plessner développe une argumentation logique afin de démontrer la nécessité d’une frontière pour les corps.

« Ce qui est requis, c’est une frontière ob-jectivement montrable comme propriété, qui soit tout à la fois zone de départ de l’absolue divergence d’orientation. »[7]

Il faut que cette frontière soit à la fois spatiale (Raumgrenze) et « aspective » (Aspektgrenze)[8] pour que au corps soit possible sa transgression. On peut observer, d’un point de vue logique, deux conceptions de la frontière et du rapport que le corps délimité a avec elle. Dans le premier cas, la frontière « n’est que l’entre-deux virtuel entre le corps et les médiums qui lui sont attenants, ce dans quoi il débute (s’arrête), dans la mesure où quelque chose d’autre s’y arrête (y débute). »[9] La frontière n’appartient ainsi ni au corps ni au médium attenant, elle est le pur passage de l’un à l’autre. Dans ce cas, la frontière se manifeste comme quelque chose d’extérieur au corps, quelque chose qui « n’est pas nécessaire à l’être du corps » : il s’agit d’une simple interruption. En revanche, dans le deuxième cas, « la frontière appartient réellement au corps, qui par-là ne se contente pas de garantir en tant que délimité le passage, à ses contours, au médium attenant, mais l’accomplit et est lui-même ce passage. »[10]

Cette thèse permet à Plessner, dans un troisième moment, d’affirmer que le corps se rapporte à sa frontière conformément à la formule C ß C à M[11] et que, alors, les frontières non seulement l’enferment, mais aussi l’ouvrent vers l’extérieur. Le corps possède ainsi, comme propriété, outre sa délimitation, la transgression de la frontière elle-même.  Le corps apparait comme à la fois « au-delà de soi et tourné envers soi. »[12] La possession de la frontière donne à l’être du corps un statut dialectique qui le rend une entité « fermé » (avec des confins précis) mais en même temps destiné à l’ouverture. Ce concept, valide sur le plan logique, peut être transféré sur le plan ontique afin de caractériser la dualité d’aspect avec laquelle et dans laquelle le corps organique apparait. En fait, chaque corps physique apparait « grâce » à la dualité d’aspect, mais seulement les organismes – celle-ci est l’hypothèse qui fonde la recherche plessnérienne – se présentent aussi « dans » la dualité d’aspect. Dans ce cadre, la plasticité du corps organique indique du point de vue perceptif les deux orientations en opposition qui le caractérisent :

« en tant qu’être vivant la chose corporelle se fait jour avec la même dualité d’aspect comme propriété, laquelle en conséquence transcende la chose phénoménale, la posant d’un côté au-delà d’elle, et de l’autre au-dedans d’elle. »[13]

Bref, le corps semble en même temps être et ne pas être dans les deux situations (il est en soi et au-delà de soi) : il est posé dans cette double condition.

C’est justement le verbe « poser » (setzen) qui se révèle un instrument très utile pour décrire la complication particulière de l’être vivant, parce qu’il permet de rendre la dualité de la situation et l’instabilité typique d’un corps qui réalise sa propre frontière.[14] « En sa vitalité, le corps organique se distingue donc de l’inorganique par son caractère positionnel, ou encore sa positionnalité. Qu’on entende par là ce trait fondamental de son essence qui fait d’un corps en son être un être posé (gesetz). »[15] L’aspect plus important du concept de positionnalité est le passage du primat de l’acte de poser (Setzung), c’est-à-dire le concept clés de l’idéalisme allemand qui indique l’activité de la pensée, au concept d’« être posé » (Gesetztheit) en tant que caractéristique fondamentale du vivant. Plessner lui-même a explicitement souligné ce tournant.[16] De cette manière, l’anthropologie philosophie plessnérienne évite toute référence à un « Je » qui se pose activement.

Être corps, dans un corps et hors du corps

Ensuite, comme on sait, Plessner distingue de différents degrés de la positionnalité pour pouvoir interpréter les niveaux vitaux comme « degrés de l’organique ». En général, la positionnalité est le concept capital de sa biologie philosophique et le fondement théorique de sa démarche théorique. En fait, la façon avec laquelle elle est organisée détermine la différence entre les plants, les animaux et les êtres humains. Dans l’organisation « ouverte » des végétaux, l’organisme n’exprime pas une relation à sa propre positionnalité. Selon Plessner, la forme ouverte incorpore immédiatement l’organisme, dans toutes ses expressions vitales, à son environnement : il est la section non autonome du cycle vital qui lui correspond.[17] En d’autres termes, la plante est caractérisée par une frontière qui ne sépare pas un intérieur et un extérieur, un dedans et un dehors. En revanche, une relation à sa propre positionnalité émerge pour la première fois dans l’organisation « close » des animaux. Dans l’organisme animal, ce qui traverse la frontière est médiée par un centre qui peut être localisé, au niveau physique, dans le système nerveux et, au niveau psychique, dans la conscience envers l’environnement. À la différence de la plante, l’animal n’a pas seulement un corps, mais il est aussi dans son corps.[18] En définitive, l’animal présente une positionnalité centrique. Sur le plan de l’homme, au contraire, la positionnalité est médiée excentriquement. La forme de vie humaine se distingue de celle de l’animal par l’établissement d’une relation ultérieure à son centre.

« L’animal vit en s’extériorisant de son centre, en s’intériorisant en son centre, mais il ne vit pas en tant que centre. »[19]

L’animal, selon Plessner, est un être qui ne possède pas la possibilité d’être réflexif. Pourtant, une ascension, un passage à un degré positionnel supérieur, est pensable : la réflexivité pleine et entière demeure réservée à l’homme. Pourtant, il faut souligner qu’ici la différence homme-animal n’est pas ontologique. « Si le caractère de l’être-hors-de-soi fait de l’animal un homme, alors, […] il est claire qu’il doit rester corporellement animal. »[20] En outre, Plessner fait surgir la spécificité de l’homme à partir du corps et non à partir de l’esprit (il s’oppose ainsi au modèle idéaliste). La réflexivité du système vital « est donnée sans dédoublement absurde du noyau subjectif, exclusivement dans le sens de la positionnalité. »[21] En d’autres termes, il ne s’agit pas d’une hiérarchie ontologique, mais de différents degrés positionnels.

À ce point, il est utile de dédier une attention particulière au dernier degré positionnel, celui de l’homme. La forme caractéristique de son positionnement frontal face au champ environnement est l’excentricité. Même s’il assume une position centrique comme l’animal, il a, en plus, une relation spécifique avec son centre. La vie humaine est capable de sortir de son centre, de se distancier de soi. À l’excentricité de sa structure correspond l’excentricité de son existence comme corps (Körper) et corps-vécu (Leib). D’une part l’animal assume une position spécifique dans son environnement ; d’autre part, la position de l’homme dans le monde est toujours changeante et problématique.[22] À différence de l’animal, l’homme fait l’expérience de son existence et se trouve de ce fait au-delà de lui. Il a la tendance à sortir toujours de son centre : il est un être réflexif. Le concept de réflexivité indique l’attitude de la conscience qui commence à se voir à partir d’un point de vue qui n’est pas le sien : la présence d’un spectateur détermine la constitution du Moi. Selon une très grande famille des penseurs (de Rousseau au pragmatisme américain de l’École de Chicago), la réflexivité surgit de façon exogène, intersubjective, à travers les rapports sociaux que le sujet entretient dans sa vie. La réflexion serait le produit ontogénétique des mécanismes de l’interaction social. Bref, elle se formerait à travers l’introjection du regard d’Autrui dans la conscience. Toutefois, cet approche présuppose des sujets originaux qui, ensuite, entrent en relation et se constituent différemment sur la base de leur interaction social.

En revanche, Plessner affirme que  le sujet est déjà décentralisé, réflexifs, avant le rapport à l’autre. La genèse de la réflexivité est endogène. Il ne considère pas la conscience de soi en tant que produit d’une relation spirituelle ou morale à Autrui (den Anderen), mais en tant que résultat d’un rapport avec la pure altérité (das Andere) incarnée dans la matérialité naturelle du corps physique.[23] La première altérité est dans notre corps, ou, plus précisément, dans le rapport équivoque que nous avons avec lui. Le premier spectateur de l’homme n’est pas Autrui, mais soi-même. En fait, Plessner souligne que la tradition philosophique a toujours ignoré le fait que l’homme n’a pas une relation univoque, mais équivoque, avec son corps : « on a négligé le fait que l’être humain n’a pas de rapport univoque avec son corps, mais un rapport à double sens, que son existence lui donne la double signification d’une créature « corporelle » et d’une créature « dans un corps », qui constitue une fracture réelle pour son existence. »[24] L’être humain est capable d’être un corps qui vit (Leib) et d’avoir un corps (Körper). D’une part le Leib est l’interface de notre expérience d’être vivant, d’autre part le Körper est notre expérience du corps comme une chose positionnée entre les choses. Donc, il y a deux manières de vivre dans son propre corps et les deux se croisent toujours, elles ne s’opposent jamais. Plessner met en garde le lecteur contre le risque d’interpréter cette ambiguïté de l’existence humaine dans les termes d’une théorie dualiste dans laquelle l’homme est conçu comme un pur esprit qui contrôle son corps, qui ne serait qu’une chose physique. L’homme est son corps organique et il a son corps physique.

À cause de cette position corporelle ambivalente, les êtres humains sont capables de vivre et, en même temps, de se voir vivre : ils sont à la fois acteurs et spectateurs.[25] La spécificité de la condition humaine est celle de devoir toujours retrouver un accord entre l’être-un-corps et l’avoir-un-corps. Plessner insiste sur l’aspect différentiel, sur la fracture entre Leib et Körper. Celui qui relie les deux dimensions de la fracture n’annule pas la fracture, mais la réalise :

« Il vit en deçà et au-delà de part et d’autre de la fracture, en tant qu’âme et que corps et en tant qu’unité psycho-physiquement neutre de ces sphères. L’unité ne recouvre cependant pas la dualité d’aspect, elle […] est la fracture, le hiatus… »[26] Pour Plessner, la relation entre les opposés est une construction destinée à vaciller et à être reconstruite chaque fois. En définitive, sur le plan positionnel, le rapport de l’homme à son corps est triple : « le vivant est corps, dans le corps (en tant que vie intérieure ou âme) et hors du corps en tant que point de vue à partir duquel il est l’un et l’autre. Un individu qui sur le plan positionnel est de la sorte triplement caractérisé, s’appelle une personne[27]

Cette triple détermination de l’existence humaine implique que les êtres humains vivent dans trois mondes : un monde extérieur (Aussenwelt), un monde intérieur (Innenwelt) et un monde commun (Mitwelt).  

La positionnalité excentrique et l’expressivité

Ensuite, Plessner approfondie l’étude du dernier degré positionnel. L’homme peut-être décrit à travers trois lois anthropologiques qui résultent de la positionnalité excentrique. Premièrement, Plessner décrit la loi de « l’artificialité naturelle », selon laquelle l’homme réalise sa propre nature à travers l’artifice de la culture et de la technique : il est par nature « un être d’artifice ».[28] De cette façon, Plessner dépasse la division entre nature et culture : l’homme ne peut pas être réduit à une origine sociale ou naturelle. Au contraire, il faut toujours considérer que son corps organique est un corps toujours déjà socialisé. Deuxièmement, il explique la loi de « l’immédiateté médiatisée » qui souligne la relation directe et pourtant toujours médiée entre l’homme et le monde ; enfin, il envisage la loi de « l’emplacement utopique » qui registre la structure paradoxale et dialectique de la vie humaine : en ce sens, dos moï pou stô[29] est une phrase qui décrit à la perfection son existence. L’excentricité ne garantit à l’homme aucune fixation univoque de sa position et, par conséquent, il ne lui est pas donné de savoir « où » il se tient. L’homme ne peut pas aspirer à une position fixe, il est condamné au devenir. « Son existence est véritablement placée sur du néant »[30], mais l’homme, l’être excentrique capable d’être hors-de-soi sans pour autant perdre son identité, cherche toujours à se retrouver chez soi, à gagner un foyer ou un abri. Pour cette raison, « la forme de positionnalité excentrique et Dieu en tant que l’être absolu, nécessaire, fondateur du monde, se tiennent en une corrélation essentielle. »[31] La même dénomination des lois exprime l’unité dynamique des opposés qui caractérise l’anthropologie de Plessner. Dans le cadre assez restreint qu’on a à disposition, on se concentrera particulièrement sur la deuxième loi afin de proposer l’hypothèse selon laquelle l’homme, ainsi conçu, n’est pas quelque chose de défini, mais le résultat d’un processus continu de construction et de transformation expressive de soi-même. L’excentricité de la position humaine peut être déterminée comme une situation dans laquelle le sujet de la vie se tient en relation directe-indirecte avec le tout. Cette relation directe-indirecte indique « une forme de liaison en laquelle est nécessaire le membre intermédiaire médiatisant pour produire ou garantir l’immédiateté de la relation. »[32] En fait, par la médiation du corps, l’homme se retrouve dans un rapport immédiat et vécu comme immédiat avec les choses qui l’entourent. Voilà ce que Plessner appelle « immédiateté médiatisée ». Le principal instrument de ce rapport est la manifestation expressive. En ce sens, l’expressivité (Ausdrücklichkeit) est un trait fondamental de l’immédiateté médiatisée et correspond à la tension et à l’imbrication, qu’il faut sans cesse réajuster, entre l’être-un-corps et l’avoir-un-corps.

Par conséquent, la démarche plessnérienne nécessite de l’analyse de ce concept :

« il s’agit ici de la nécessité de s’exprimer en général telle qu’elle préside aux différents modes d’expression, d’examiner l’essentielle connexité entre la forme de position excentrique et l’expressivité en tant que modalité vitale de l’homme. »[33]

En fait, l’expressivité du physique, qui apparait de très diverses manières dans le geste, la mimique, l’attitude, la langue ainsi que, naturellement, dans des formes d’expression comme le rire et le pleurer[34], rend évidente la particularité de la nature excentrique. L’homme, en tant qu’être excentrique, possède la structure de l’immédiateté médiatisée. Pourtant, cela ne signifie pas que l’homme se tient, face au monde, dans deux relations différentes. Au contraire, il se tient en une unique relation directe-indirecte aux choses étrangères. D’une part, l’excentricité rend possible à l’homme un rapport direct avec le réel, mais, d’autre part, elle le rend également capable de réflexion. Ainsi, « il découvre son immanence. Il voit qu’il n’a en fait que des contenus de conscience et que, où qu’il aille ou se tienne, son savoir des choses se glisse comme quelque chose entre lui et les choses.»[35] Immanence et expressivité ont un fondement commun: la double distance du centre de la personne par rapport au corps-vécu.

Ce fondement, comme on sait, est la condition de possibilité des trois lois anthropologiques, notamment celle de l’immédiateté médiatisée. Cette relation directe-indirecte entre le centre de la personne et le médium s’oppose aux deux conceptions du médium qui résultent de la division métaphysique entre esprit et matière. D’une part, le médium considéré comme réalité effective imposant sa loi implique que toute aspiration humaine ne pourrait pas se réaliser : elle se heurterait inévitablement à la réalité du médium. D’autre part, le médium considéré comme simple matière soumise à la volonté de la personne implique que celle-ci la ne devrait pas se confronter avec la matière et, du coup, elle pourrait faire ce qu’elle veut sans aucune contrainte.[36] Pourtant, bien que la réalisation finale ne soit jamais celle visée, cette déviation ne dénie pas à l’homme le pouvoir de la réaliser. Or, ce qui sépare l’aspiration et la réalisation est précisément la forme, la manière de la réalisation elle-même. Du coup,

« tout élan vital de la personne, qui devient saisissable quand elle agit, dit ou mime, est par conséquent expressif, apporte d’une façon ou d’une autre le « cela » qu’est une entreprise, c’est-à-dire le porte à l’expression, qu’il veuille ou non exprimer. »[37]

Cette même distance entre l’aspiration et la réalisation implique que, si l’homme n’est pas satisfait du résultat obtenu, il peut essayer une nouvelle fois de réussir dans sa tâche. L’homme, en tant qu’animal excentrique, est devenu ob-jet d’observation à soi-même et est conscient de la différence entre ce qui est atteint et ce qui était visé. Toutefois, l’aspiration exige toujours d’être réalisée et cela amène l’homme à « se remettre à l’œuvre ».

De ce mouvement créateur, expressif et incessant résulte ainsi l’histoire humaine. « Par son expressivité il est donc un être qui, dans le cadre d’une aspiration s’entretenant continument, pousse lui-même à une effectuation toujours autre, laissant ainsi derrière lui une histoire. C’est seulement dans l’expressivité que réside le fondement interne du caractère historique de son existence. »[38]Ainsi, la condition excentrique et l’expressivité qui la caractérise rendent possible toute une série des chances existentielles qui ouvrent à l’homme un horizon de transformation de soi et « d’effectuation toujours autre. » En ce sens, l’expressivité générale de la vie humaine pourrait être considérée une autocréation performative. En fait, pour Plessner, l’homme se définit seulement en s’exprimant. L’intériorité qui, selon l’idéalisme, précèderait l’expression formelle est reconduite à son expression.[39] Le fondement de ce processus expressif est bien évidemment la nature excentrique de l’homme. En d’autres termes, la réflexivité contraint l’homme à chercher toujours de nouveaux accords entre ce qu’il est et ce qu’il veut être; sa capacité de poser une distance à soi le pousse en même temps au-delà de soi-même, à la recherche d’une authenticité qui, peut-être, ne lui a jamais été accordée.[40] La réflexion de Plessner nous amène à suggérer l’hypothèse selon laquelle il n’y a pas une dimension originaire et innocente de l’homme, comme a été assumé par une tradition philosophique qui va de Rousseau à Heidegger. Il est au contraire un être « artificiel par nature. »

Du coup, on peut conclure qu’on ne peut pas retrouver dans l’homme une origine, ni sociale ni naturelle. Une personne, dans l’anthropologie plessnérienne, n’est jamais complétement déterminée, elle est à la fois un organisme naturel et un être toujours déjà socialisé dans son corps. Elle est aussi un produit du monde commun (Mitwelt), qui est différent du simple Umwelt avec lequel l’organisme entretient différents interactions.

« L’homme trouve son chez soi aussi – ou plus exactement : seulement au sein d’un cadre d’existence portant l’empreinte d’une culture. » [41]

En tant que produit du monde social, les personnes sont des êtres dont la nature est toujours, d’une certaine façon, plus que naturelle car elle est aussi nécessairement culturelle. En définitive, elles sont des véritables produits culturels et non seulement des organismes.[42] Par conséquent, l’humanité doit être décrite comme une question qui n’a pas de réponse finale. D’une part, l’homme n’est jamais complétement déterminé par ce qui est hors de lui, et, d’autre part, il a toujours aussi le pouvoir de faire surgir des nouvelles possibilités, la capacité de se modifier sans cesse pour trouver un équilibre. En fin de compte, l’insondabilité semble être son caractère le plus propre.

Une structure insondable, dynamique et créatrice

À partir de ces prémisses, on peut comprendre les raisons pour lesquelles Plessner souligne, à partir des années ’30, que l’homme est nécessairement insondable (unergründlich). En particulier, on peut retrouver une réflexion approfondie à cet égard dans « l’anthropologie politique » que Plessner expose dans l’œuvre intitulée Pouvoir et nature humaine.[43] Dans cet ouvrage, Plessner développe le principe de l’insondabilité (unergründlichkeit), selon lequel la nature humaine ne peut pas, par nécessité, être définie. L’être humain est un être opaque à lui-même, il ne peut pas être connu, il doit rester une question ouverte. L’insondabilité ne doit pas être entendue comme un principe de connaissance or une détermination positive de l’être humain. Elle est plutôt une détermination négative qui permet à Plessner de se distancier à la fois du naturalisme et de l’historicisme. Il rejette toute réduction de l’homme à simple être naturel ou produit historique et culturel. En outre, le principe de l’insondabilité est une structure qu’on peut retrouver dans chacune des trois lois anthropologiques.[44] En effet, dans chaque loi, on peut observer sans difficulté une tension entre deux aspects : d’un côté, l’homme est libre et indéterminé et, d’autre coté, il est toujours contraint à la recherche d’un équilibre dans la nature. Ensuite, dans ses dernières œuvres, Plessner se réfère à la nature cachée de l’être humain en utilisant une formule qui était originairement attribuée à Dieu, du point de vue de la théologie négative: Deus absconditus.

« En tant qu’être exposé dans le monde, l’homme est dissimulé à sa vue – homo absconditus. Ce concept originellement attribué à l’insondable être de Dieu convient pertinemment à la nature de l’homme. Il ne peut s’appréhender que comme un genre de vie chaque fois délimité et rendu possible par son fondement biologique, qui soustrait l’homme à une détermination sur encore d’autres bases. D’où vient que doivent échouer toutes les tentatives pour restreindre sa nature à des facteurs précis, prétendument décisifs. »[45]

L’insondabilité de la nature humaine ressort de la structure excentrique qui, fait que l’être humain ne puisse jamais être complétement objectivé. La positionnalité excentrique implique une fracture fondamentale dans l’existence de l’homme et, en même temps, sa constitutive indétermination.

Au niveau de la personne, cela signifie qu’il n’y a jamais une identité donnée ou fixe[46]: la construction de l’identité personnelle représente une tache qu’on ne peut jamais accomplir et que pourtant on doit toujours renouveler. Cela, à notre avis, est la clé pour mieux comprendre la relation essentielle qui subsiste entre la forme de position excentrique et l’expressivité en tant que modalité vitale de l’homme. Comme on sait, l’expressivité est la force qui guide la dynamique historique de la vie humaine. Selon Plessner, l’être humain est en soi indéterminé, insondable, il apparait défini seulement dans l’expression, il se définit dans cet acte d’autoréalisation. L’expressivité intrinsèque à sa positionnalité lui permet le déploiement d’un vaste horizon de chances existentielles. L’expressivité se présente ainsi comme la condition de possibilité d’un processus perpétuel et auto-poïétique. L’identité personnelle est toujours en jeu et se modifie avec ses expressions. Toute revendication de l’existence humaine exige un équilibre entre l’être-un-corps (Leib) et l’avoir-un-corps (Körper). En cherchant toujours d’équilibrer la chose corporelle qu’il est et le physique qu’il habite se découvre et s’accomplit pour lui le caractère expressif et créateur de son existence. En fait, « se trouvant en tant qu’être excentrique en déséquilibre, sans lieu, sans temps, dans le rien, constitutivement sans foyer, il lui faut « devenir quelque chose », et quant à l’équilibre – se le créer. Et il se le crée seulement en s’aidant de choses extranaturelles, issues de sa créativité. »[47] Donc, la vie humaine est conçue par Plessner comme un processus qui vise à établir, à travers ses actes et ses œuvres, l’équilibre que la nature lui a refusé, sans pourtant jamais trouver une situation de repos.

En définitive, la positionnalité excentrique se configure comme une distance critique de l’homme par rapport à soi. Cette distance permet ensuite le développement d’un processus d’autocréation performative. « La circonstance qui fait qu’en me posant moi-même je sus celui qui fournit son matériau et ses formes à la sphère intérieure, et que cette autoposition m’est encore elle-même donnée, rend possible la découverte de la réalité psychique, et simultanément sa transformation. »[48] Ainsi, la positionnalité excentrique ouvre un espace où on peut retrouver la liberté de se construire et se transformer de manière créative. Plessner n’est pas un existentialiste, mais il partage un présupposé avec Heidegger : l’homme est un être de manque, il n’a pas d’essence définie. D’une part cela est un vide, une véritable fracture existentielle pour le sujet ; d’autre part, cela se configure aussi comme l’ouverture d’un espace de liberté à l’intérieur duquel se construire. La spécificité de Plessner est justement celle d’attribuer à la réflexivité un rôle aliénant mais aussi un caractère créateur et poïétique. Cette capacité particulière n’est pas une caractéristique essentielle ou universelle d’une conscience détachée du monde. On a vu que Plessner, en s’opposant ainsi à toute la tradition idéaliste, enracine cette possibilité dans le double rapport que l’homme a avec son corps. Chez Plessner, le « soi » n’est pas présupposé ni superposé sur le corps : il est en revanche un phénomène qui émerge du corps. La positionnalité de l’homme permet le surgissement du phénomène de la réflexivité. En plus, sa pensée abandonne l’idée d’un sujet transcendantal ou d’un « Je » comme fondement et substitue cet individualisme méthodologique avec une théorie socioculturelle qui envisage la constitution sociale des personnes à travers les différents rôles que la société leur attribue.[49] Toutefois, cela n’empêche pas aux hommes de trouver ou d’inventer de façon créative des nouveaux rôles et, par conséquent, de transformer leur identité. En tout cas, le soi reste une question d’expressivité et d’apparence sociale et non un problème d’essence mystérieuse et cachée. « L’expressivité est une manière originelle de s’accommoder du fait que l’on habite un physique et que l’on est un physique. […] L’expressivité s’émancipe pour devenir une puissance qui obéit plus ou moins à l’individu et qui, dans certaines circonstances, lui donne la possibilité de prendre un masque et une attitude artificiels, tels qu’on les voit chez le comédien. »[50]

Ce n’est pas un hasard que l’anthropologie plessnérienne souligne la dimension paradigmatique de la représentation théâtrale pour l’approfondissement de la nature humaine. Pour Plessner, la capacité de l’acteur de construire un personnage révèle un aspect particulier de la condition humaine. Premièrement, sa configuration ne peut pas être encadrée dans une simple alternative binaire, de l’intérieur vers l’extérieur ou de l’extérieur vers l’intérieur. Les deux dimensions sont toujours imbriquées. Deuxièmement, l’homme peut être acteur seulement dans la distance par rapport à soi. La scission lui permet de rester derrière le personnage (hinter der Figur) qu’il incarne (die er verkörpert).

« Il ne peut pas s’abandonner à la scission, comme le schizophrène ou l’hystérique, mais en tenant sous contrôle le personnage qu’il incarne il doit le garder à distance. […] Il peut être seulement s’il peut s’avoir. » [51]

Du coup, l’acteur présente une caractéristique qui est propre de l’humain comme tel. Selon Plessner, cela est à tort reconduit à la fausseté ou à l’inauthenticité. Assumer le comportement d’un autre, l’imiter, n’est pas forcement négatif. Au contraire, l’imitation conditionne les possibilités d’expression qui transforment celui qui imite. À travers la nouvelle attitude qu’il assume, il devient un autre et à travers l’autre il devient lui-même.[52] Alors, l’acteur peut être entendu par Plessner comme une véritable expérimentation anthropologique. Son identité se modifie et se construit dans la récitation. De la même manière, l’homme n’est pas un être défini, mais toujours en définition, dans un processus continu d’autocréation expressive. Il n’est pas pour autant moins authentique et personnel. Il n’est pas simplement une entité fixe et statique. Au contraire, il est une structure dynamique, extatique[53] et créatrice. En fait, l’acteur se conforme, au moins en partie, à l’intention poétique de l’auteur et au gout de l’époque dans laquelle il joue, mais à l’intérieur de ces contraintes il y a toujours l’espace pour l’originalité et le pouvoir créateur de l’interprétation personnelle.

En conclusion, bien que Plessner ne puisse pas être défini un penseur de la « différence », il nous semble intéressant de souligner un point commun avec la pensée post-moderne : la critique radicale de la conception moderne de l’identité subjective. L’homme est conçu par Plessner comme un continu devenir et, alors, il ne peut pas être réduit à une identité stable et définie. Toutefois, est-ce qu’on peut refuser un concept essentialiste d’identité, sans pour autant refuser celui d’identité personnelle ? À notre avis, la pensée plessnérienne nous démontre qu’il est possible de concevoir l’identité personnelle comme une structure dynamique et ouverte, dans laquelle la différence n’est pas réduite à l’identité, mais est toujours à l’œuvre dans le procès de transformation et de construction créative de soi. Du coup, le contenu anthropologique de la réflexion plessnérienne est minimal[54] : l’homme apparait comme une structure formelle insondable, ouverte et intrinsèquement créatrice. L’identité humaine se présente ainsi comme plurielle. En fait, il y a toujours plusieurs identités différentes qui se mélangent dans l’homme. L’homme-acteur ne peut jamais être réduit à un simple rôle. La liberté d’interprétation qui lui est propre garde la pluralité et la différence à l’intérieur de son identité. L’identité individuelle n’est pas une chose ou une essence statique, vu qu’elle se modifie sans cesse de façon expressive. Elle n’est pas figée par la nature ni complétement déterminée par la société ; elle reste un projet ouvert, sans fin ni telos.

Matteo Pagan (École Normale Supérieure)

Bibliographie·

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  • Sommer, «Métaphysique du vivant. Note sur la différence zoo-anthropologique de Plessner à Heidegger », Philosophie 2013/1 (n° 116), pp. 48-77

[1] Helmuth Plessner (1892-1985) est un philosophe et sociologue allemand, l’un des principaux représentants du courant de l’anthropologie philosophique (avec Max Scheler et Arnold Gehlen). À cet égard, cfr. J. Fischer, « Le noyau théorique propre à l’Anthropologie philosophique (Scheler, Plessner, Gehlen) », Trivium [En ligne], 25 | 2017

[2]H. Plessner, Die Stufen des Organischen und der Mensch. Einleitung in die philosophische Anthropologie [1928], in Gesammelte Schriften, t. IV, Francfort-sur-le-main, Suhrkamp, 1980-1985 ; trad. par P. Osmo, Les degrés de l’organique et l’Homme. Introduction à l’anthropologie philosophique, Gallimard, Paris, 2017

[3] H. Plessner, Lachen und Weinen. Eine Untersuchung der Grenzen menschlichen Verhaltens [1941], in Gesammelte Schriften, t. V, Francfort-sur-le-main, Suhrkamp, 1980-1985 ; trad. par O. Mannoni, Le rire et le pleurer. Une étude des limites du comportement humain., Paris, Éd. de la Maison des sciences de l’homme, 1995. Ce texte peut être considéré le développement cohérent et décisif de l’anthropologie philosophique fondée par Plessner en 1928.

[4] H. Plessner, Zur Anthropologie des Schauspielers (1948) in Gesammelte Schriften, t. VII « Ausdruck und menschliche natur », Francfort-sur-le-main, Suhrkamp, 1980-1985

[5] Ce principe est à la base de la recherche plessnérienne à partir de Die Einheit der Sinne (1923). « Sans philosophie de l’homme, pas de théorie de l’expérience humaine de la vie dans les sciences de l’esprit. Sans philosophie de la nature, pas de philosophie de l’homme. » H. Plessner, Les degrés de l’organique et l’Homme., cit. p. 98

[6] Cf. H. Plessner, Les degrés de l’organique et l’Homme., p. 198

[7] H. Plessner, Les degrés de l’organique et l’Homme., cit. p. 202

[8] Plessner utilise cette terminologie pour conceptualiser ce qui relève proprement, dans la théorie qu’il élabore, de la dualité d’aspect.

[9] H. Plessner, Les degrés de l’organique et l’Homme., cit. p. 204

[10] H. Plessner, Les degrés de l’organique et l’Homme., cit. p. 204

[11] Cette formule est utilisée par Plessner pour indiquer les rapports entre le corps et la frontière dans le deuxième cas. Si « C » désigne le corps, « F » la frontière et « M » le médium attenant, on aura pour le premier cas la formule : C ß F à M. En fait, la frontière se situe entre le corps et le médium. Au contraire, pour le deuxième cas on aura la formule C ß C à M. La frontière appartient au corps.

[12] H. Plessner, Les degrés de l’organique et l’Homme., cit. p. 236

[13] H. Plessner, Les degrés de l’organique et l’Homme., cit. p. 237

[14] «C’est au seul accord avec cette détermination que correspond le terme «poser» qui permet d’évoquer le moment de l’être (quelque peu) soulevé, de l’être flottant en suspension, sans perdre pour autant l’autre moment, celui du repos et de la stabilité. » H. Plessner, Les degrés de l’organique et l’Homme., cit. p. 238

[15] H. Plessner, Les degrés de l’organique et l’Homme., cit. p. 238

[16] «Parler de poser (setzen) – terme grevé du poids de la grande tradition idéaliste – s’impose catégoriquement à cette place. Sauf qu’on ne doit pas ici, en souvenir de Fichte, le rattacher à un acte du penser accompli par le sujet. » H. Plessner, Les degrés de l’organique et l’Homme., cit. p. 237

[17] Cf. H. Plessner, Les degrés de l’organique et l’Homme., pp. 353-355

[18] Cf. H. Plessner, Les degrés de l’organique et l’Homme., pp. 363-386

[19] H. Plessner, Les degrés de l’organique et l’Homme., cit. p. 441

[20] H. Plessner, Les degrés de l’organique et l’Homme., cit. p. 448

[21] H. Plessner, Les degrés de l’organique et l’Homme., cit. p. 444

[22] Cf. à cet égard H. Plessner, « Über das Welt-Umweltverhältnis des Menschen » (1950) in Gesammelte Schriften, tome VIII , Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1980-1985 ; trad. française de M. de Launay« Sur le rapport entre monde et monde environnant chez l’homme (1950) », Trivium [En ligne], 25 | 2017

[23] Cf. J. Fischer, Exzentrische Positionalität, Studien zu Helmuth Plessner, Weilerswist 2016, pp. 287

[24] H. Plessner, Le rire et le pleurer, cit. p. 30

[25] Cf. H. Plessner, « Zur Anthropologie des Schauspielers » in Gesammelte Schriften, t. VII « Ausdruck und menschliche natur », Francfort-sur-le-main, Suhrkamp, 1980-1985

[26] H. Plessner, Les degrés de l’organique et l’Homme., cit. p. 447

[27] H. Plessner, Les degrés de l’organique et l’Homme., cit. p. 448

[28] H. Plessner, Les degrés de l’organique et l’Homme., cit. p. 470

[29] C’est-à-dire « donne-moi où me tenir ». Il s’agit d’une citation partielle de la formule prêtée à Archimède qui se conclut par kai kinô tên gên, « et je meus la Terre ». Cf. H. Plessner, Les degrés de l’organique et l’Homme., p. 509

[30] H. Plessner, Les degrés de l’organique et l’Homme., cit. p. 447

[31] H. Plessner, Les degrés de l’organique et l’Homme., cit. p. 514

[32] H. Plessner, Les degrés de l’organique et l’Homme., cit. p. 487

[33] H. Plessner, Les degrés de l’organique et l’Homme., cit. p. 486

[34] Cf. H. Plessner, Le rire et le pleurer. Une étude des limites du comportement humain., Paris, Éd. de la Maison des sciences de l’homme, 1995. À la différence de l’attitude mimique, le rire et le pleurer constituent des extériorisations dans lesquelles la perte de la maitrise de soi atteint un niveau particulier et prend une signification particulière. Ils provoquent une désorganisation du rapport de l’homme avec son corps et, ce faisant, dévoilent la véritable « fracture existentielle » qui le caractérise. Pourtant, dans la perte de la maitrise de son corps, dans la désorganisation, l’homme fait encore preuve de souveraineté dans une situation impossible. Ainsi, il démontre précisément son humanité : pouvoir encore venir à bout de quelque chose là où l’on ne peut plus la prendre par aucun bout.

[35] H. Plessner, Les degrés de l’organique et l’Homme., cit. p. 494 Pour Plessner, l’immanence de la conscience est la seule garantie du contact entre chose et sujet. Le savoir, une véritable « extase » pour l’homme, résulte de notre positionnalité excentrique et lui permet de voir l’apparente immédiateté qui marque son rapport au monde. En réalité, « Il n’y a que l’indirect pour créer le direct, seule la séparation apporte le contact. » H. Plessner, Les degrés de l’organique et l’Homme., cit. p. 498

[36] Cf. H. Plessner, Les degrés de l’organique et l’Homme., pp. 501-502

[37] H. Plessner, Les degrés de l’organique et l’Homme., cit. p. 504

[38] H. Plessner, Les degrés de l’organique et l’Homme., cit. p. 506

[39] Cf. N. A. Richter, « Corpo privato e corpo pubblico: l’uniforme come paradigma dell’espressione corporea », in B. Accarino (éd.), Espressività e stile. La filosofia dei sensi e dell’espressione in Helmuth Plessner, Milano, Mimesis, 2009, pp. 137-138

[40] « Selon cette hypothèse, on ne peut s’étonner que cette différence ne puisse être fixée dans aucun ensemble ultime composé de Gestalt ou de phénomènes primitifs. Au contraire, la dépendance envers des archétypes définitifs repose sur cette incertitude différentielle du comportement ; incertitude des personnes et incertitude pour elles-mêmes. » H-P. Krüger, « L’expressivité comme fondement de l’historicité future », Trivium [En ligne], 25 | 2017, cit., p. 16

[41] « C’est seulement sur le fond ouvert d’un monde qui ne se réduit plus à des rapports vitaux, un monde qui le met dans des situations imprévisibles et avec qui il doit sans cesse passer de nouveaux et fragiles compromis que l’homme se tient dans cet équilibre fluctuant d’une culture toujours menacée et qui a sans cesse besoin d’être à son tour protégée. » H. Plessner, « Sur le rapport entre monde et monde environnant chez l’homme (1950) », cit. p. 7

[42] « Le monde commun porte la personne, tout en étant à la fois porté et formé par elle. » H. Plessner, Les degrés de l’organique et l’Homme., cit. p. 461

[43] Cf. H. Plessner, Macht und menschliche Natur. Ein Versuch zur Anthropologie der geschichtlichen Weltansicht (1931) in Gesammelte Schriften, t. V, Francfort-sur-le-main, Suhrkamp, 1980-1985

[44] Cf. K. Pols, «Strangely familiar. The Debate on Multiculturalism and Plessner’s Philosophical Anthropology» in J. de Mul (éd.)Plessner’s Philosophical Anthropology, Amsterdam, Amsterdam University Press, 2014, p. 265

[45] H. Plessner, « Homo absconditus  » (1969), in Gesammelte Schriften, t. VIII, Francfort-sur-le-main, Suhrkamp, 1980-1985; trad. française de P. Osmo, Le Débat 2014/3 (n° 180), cit. p. 120

[46] M. E. Boccignone, «The Duty of Personal Identity. Authenticity and irony. », in J. de Mul (éd.)Plessner’s Philosophical Anthropology, Amsterdam, Amsterdam University Press, 2014, p. 182

[47] H. Plessner, Les degrés de l’organique et l’Homme., cit. p. 470

[48] H. Plessner, Les degrés de l’organique et l’Homme., cit. p. 453 C’est moi qui souligne.

[49] Cf. R. Shusterman’s “Soma and Psyche,” in Journal of Speculative Philosophy, New Series, Vol. 24, Number 3, 2010, p. 209

[50] H. Plessner, Le rire et le pleurer, cit. pp. 45-46

[51] H. Plessner, « Zur Anthropologie des Schauspielers » in Gesammelte Schriften, t. VII « Ausdruck und menschliche natur », Francfort-sur-le-main, Suhrkamp, 1980-1985 cit. pp. 408-409 C’est moi qui traduit.

[52] Cf. Plessner, « Zur Anthropologie des Schauspielers » in Gesammelte Schriften, t. VII « Ausdruck und menschliche natur », Francfort-sur-le-main, Suhrkamp, 1980-1985 p. 414

[53] Il serait intéressant de comparer le caractère excentrique de l’être humain chez Plessner et le mode ekstatique du Dasein chez Heidegger, surtout si on considère que celui-ci écrit en 1928, dans la contribution au volume d’hommage à Husserl, Vom Wesen des Grundes (1928), Wegmarken, GA 9, p. 162, n. 59 : « l’essence de l’être-là qui se trouve là ‘au centre’ est ekstatique, c’est-à-dire ‘excentrique’ ». Une telle analyse pourrait peut-être retrouver un point commun dans la description du sujet humain, au-delà du débat entre l’existentialisme et l’anthropologie philosophique qui a marqué la réflexion philosophique allemande dans les années ’20 et ’30 du siècle dernier. Cf. à cet égard C. Sommer, «Métaphysique du vivant. Note sur la différence zoo-anthropologique de Plessner à Heidegger », Philosophie 2013/1 (n° 116), pp. 48-77 ; J. Fischer, «Ekstatik der exzentrischen Positionalität: Lachen und Weinen als Plessners Hauptwerk» in J. Fischer, Exzentrische Positionalität. Studien zu Helmuth Plessner, Weilerswist, 2016

[54] Pour cette raison, selon Hans-Peter Krüger, « Plessner n’est pas prisonnier de ce que Foucault qualifiera plus tard de « cercle anthropologique » : le cercle au sein duquel l’a priori et l’a posteriori ne sont que les doublets l’un de l’autre. Le principe plessnerien de l’insondabilité de l’être dans sa totalité soustrait la théorie à la nécessité de redoubler l’empirie et libère l’empirie de devoir redoubler la théorie. […] La méthode de Plessner ne demeure nullement prisonnière du cercle anthropologique, ni du point de vue historique et factuel – en restituant à l’histoire son sérieux contre la philosophie jusqu’alors apriorique – ni du point de vue philosophique et systémique.» H-P. Krüger, « L’expressivité comme fondement de l’historicité future », Trivium [En ligne], 25 | 2017, cit., p. 3

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