« Est-ce qu’on peut empêcher le printemps de venir, lors même qu’on couperait toutes les forêts du monde ? » Louise Michel
Aujourd’hui, le désarroi d’une jeunesse lucide et bien informée, à la fois éduquée et désenchantée, et la désillusion plus générale – à l’égard des politiques publiques menées dans nombre d’États formellement démocratiques, conduisent de nombreux citoyens à expérimenter de nouveaux modèles d’organisations politiques. Des formes de vie alternatives, des expériences collectives conviviales ont pour objectif d’établir de nouvelles relations sociales et de mettre en pratique un autre rapport à la nature. Ce qui caractérise ces nouvelles pratiques, explique Catherine Larrère, c’est qu’elles sont à elles-mêmes leurs propres fins :
« Elles se soucient moins d’objectifs à long terme qu’elles n’aspirent à réaliser, ici et maintenant, une autre façon de faire de la politique, en rupture avec les formes traditionnelles aujourd’hui dominantes. Cela peut expliquer que ces pratiques soient non violentes. »
Pacifiques, les actions en faveur de la justice environnementale, les révoltes des écoféministes pratiquant la désobéissance civile, les opérations spectaculaires menées par certaines ONG telles que Greenpeace ou des groupes plus récents comme Extinction Rébellion ou Youth for Climate, tous ces mouvements sont ouvertement et explicitement politiques – dans leurs ambitions comme dans leurs stratégies – même si ces nouveaux acteurs se tiennent à l’écart des partis et des modes d’action traditionnels.
Je montrerai pour ma part en quel sens la révolution que nous sommes en train de réaliser, apparemment irréaliste, est néanmoins nécessaire :
« Présente à toutes les révolutions du passé qui pourtant étaient loin d’engager l’essentiel comme la crise actuelle, la conscience humaine défaille aujourd’hui devant l’immensité de l’effort » (Bertrand Charbonneau).
La première partie de cet essai s’attache aux fondements philosophiques de la révolution en cours. La philosophie spinoziste y est présentée comme ayant été déterminante pour ouvrir une « autre voie », et ceci pour plusieurs raisons (…)
La deuxième partie (« 2020-2021: répétition générale ») retrace le « séisme » de la pandémie du coronavirus et ce que la lecture et l’interprétation rétrospectives de ces événements produisent comme bouleversements dans notre appréhension des défis du monde moderne ainsi que dans notre conception de la responsabilité.
La troisième partie (« Points de bascule ») évoque la révolution en cours sur le plan juridique en ce qui concerne les nouveaux droits de la nature et des animaux, ainsi que les nouvelles doctrines de la convivialité qui constituent désormais l’un des horizons possibles des mouvements d’émancipation.
La quatrième partie (« Les femmes à l’assaut du politique ») porte sur la révolution féministe. Un numéro de la revue Esprit intitulé « Femmes en mouvement » 5 résume ainsi la mutation en cours : « En ce début du XXIème siècle, les femmes sont au cœur de nombreux mouvements sociaux à travers le monde. Au point que l'on peut dire que la « question des femmes » est devenue l'un des principaux mouvements tectoniques qui travaillent les sociétés contemporaines. »
Le dernier chapitre, consacré à l’écoféminisme, montre en quel sens les luttes écologistes et féministes ont été amenées à converger, voire, dans une certaine mesure, à fusionner.
Ma conclusion comporte, en appoint de ma très libre « prospective » personnelle, un bref commentaire du dernier rapport de la CIA.
Plus globalement, et d’un point de vue philosophique, j’espère montrer en quel sens la révolution décrite ici est nécessaire, mais aussi pourquoi elle nous oblige sous l’angle de la liberté [1] . Cette liberté, je la conçois en effet comme impliquant la pleine conscience de notre responsabilité – souci et inquiétude pour notre commune humanité. Je la tiens également pour indissociable d’une volonté d’éclairer la beauté, la rationalité et la majesté de la Nature tout en assumant la dignité de notre propre nature, comme le philosophe Spinoza, que je vais évoquer dans le premier chapitre de cet ouvrage, nous y invite.
[1] Pour Spinoza, être libre, c’est obéir à la nécessité de la nature (Lettre à Schuller, 1674).Planète en ébullition – Écologie, féminisme et responsabilité, édité chez Ecosociété dans la collection Polemos, est disponible à la Fnac