La vérité en philosophie

En quel sens parlons nous de vérité ?

Qu’est ce que dire vrai ?

La vérité désigne le plus souvent la conformité des paroles dites ou des récits entendus avec ce que nous savons ou croyons savoir. ” la première signification de vrai et de faux semble avoir tiré son origine des récits ; et on a dit vrai un récit quand le fait narré était réellement arrivé ; faux quand le fait raconté n’est arrivé nulle part. Plus tard les philosophes ont employé ce mot pour désigner l’accord ou le non-accord d’une idée avec son objet ; ainsi, on appelle vraie celle qui montre une chose comme elle est en elle-même ; fausse celle qui montre une chose autrement qu’elle est en réalité”, remarque Spinoza dans ses Pensées métaphysiques. On dit “c’est vrai”, “c’est faux” à propos de paroles, de récits. Et l’obligation de dire la vérité est ce qui rend possible les rapports de confiance entre les hommes.

Une parole ne se contente pas d’être un constat véridique de ce qui est. Il peut peut aussi s’agir d’une promesse qui engage pour l’avenir. La vérité d’une parole est alors une exigence éthique : elle s’oppose au mensonge. C’est dans un sens dérivé qu’on peut la qualifier de “vraies” des idées, et il ne convient que par métaphore de parler de vérité à propos des choses ; ainsi “nous disons de l’or vrai ou de l’or faux, comme si l’or présenté racontait quelque chose sur lui-même”, poursuit Spinoza.

La vérité d’une idée signifie sa conformité avec la réalité. Mais qu’entend-on par réalité ?

Vérité et réalité

Dire qu’une chose est vrai signifie souvent qu’elle a eu lieu, que c’est un fait avéré. Mais doit-on concevoir la réalité seulement comme ce qui relève de l’expérience sensible ? La définition de la vérité dépend de la conception qu’on se fait de la réalité. Platon, considère que la réalité est le propre des Idées que seul l’esprit peut atteindre, et refuse d’accorder aux choses sensibles, changeantes et temporelles.

On peut distinguer deux types de vérités : les vérités de raison qui renvoient aux idées, objets de la pensée ; les vérités de fait qui peuvent faire l’objet d’une expérience sensible. Le soleil se lève tous les matins : c’est la réalité que l’on constate avant de pouvoir l’expliquer par la raison . Le carré de l’hypoténuse est égal à la somme des carrés des deux autres côtés : voilà une vérité que la raison doit démontrer. La vérité des faits et des idées se distingue encore de la vérité “sensible au cœur” (Pascal) dévoilée par Dieu au croyant.

Révélation et raison

L’opposition de la vérité révélée et de la vérité rationnelle est représentée dans deux fresques peintes par Raphaël au Vatican. D’un côté la vérité révélée apparaît comme une lumière divine, transcendante tombant du Ciel pour éclairer les hommes. La “splendeur de la vérité” qui illumine les hommes symbolise la foi chrétienne dont la doctrine s’expose dans les textes sacrés et dans les écrits des docteurs de l’Eglise.

Mais il existe aussi une vérité que l’on recherche à l’aide de la lumière naturelle. La fresque intitulée L’Ecole d’Athènes réunit philosophes et savants de l’Antiquité qui recherchent la vérité accessible par la raison humaine. La vérité mathématique qui s’expose dans les Eléments d’Euclide est son modèle. La philosophie propose deux approches de la vérité. Platon désigne le ciel, lieu des vérités immuables par opposition aux apparences sensibles, comme pour dire que la vérité ne réside pas en ce monde. Aristote au contraire montre la terre où diverses réalités s’offrent aux sens dont la raison ne doit pas s’éloigner afin de dégager la vérité par induction à partir de leur observation. De quelle manière peut donc se manifester la vérité  : la révélation ou la tradition ? la raison ou l’expérience ? Et est-il possible d’atteindre la vérité d’une seule manière ?

Comprendre « L'École d'Athènes » de Raphaël - Magazine Artsper

La difficile découverte de la vérité

Illusion et savoir

Platon décrit avec l’Allégorie de la caverne la difficile découverte de la vérité. La situation des prisonniers enchaînés dans la caverne, ne voyant que des ombres qu’ils prennent pour des réalités, symbolise leur illusion. Même si l’on suppose qu’on libère l’un de ces prisonniers de ses chaînes, la quête de la vérité s’avère pénible : il faut qu’il prenne conscience de son ignorance pour quitter son univers de croyances et qu’il ose s’aventurer seul. Car même si on le guide pour cette quête, la vérité ne se révèle qu’à un esprit prêt à le recevoir la vérité. En fait on ne la reçoit jamais, on la découvre soi-même par un effort de la pensée.

La vérité caractérise les essences immuables, les Idées. Elle existe indépendamment de l’esprit qui la découvre. L’acte par lequel la vérité est découverte est comparable à la vision. Mais le soleil qui éclaire peut aussi éblouir et aveugle : il faut donc qu’une pédagogie préparer l’esprit à recevoir la vérité.

La fausseté de l’apparence

L’allégorie de la caverne oppose les Idées vraies aux existences sensibles, qui ne sont que leurs images, bien moins réelles qu’elles. Mais pour Platon, la connaissance de la vraie beauté, du vrai bien, de la vraie justice, nous permet de reconnaître la beauté, le bien, le juste ou l’injuste de ce qui se présente.

Pour savoir, par exemple, si de l’or est vrai ou faux, il faut savoir distinguer l’or authentique du toc. Le vrai, dit Spinoza, “est l’indice même du faux”. Il y a de connaissance possible que par la vérité, et c’est elle seule qui nous permet de reconnaître rétrospectivement l’erreur de l’illusion : l’or ne peut être reconnu faux que par un connaisseur qui sait ce qu’est l’or véritable.

L'illusion d'une réalité vaut-elle la réalité ?" - fredericgrolleau.com

Y a-t-il un critère de la vérité ?

La cohérence logique

C’est par l’usage de la raison dans le langage (logos en grec signifie à la fois raison, langage et discours) que les hommes cherchent à atteindre une vérité. L’accès à la vérité. L’accès à la vérité se complique par la pluralité des discours sur l’être : l’être “se dit de manière multiple”, écrit Aristote.

La logique fournit un critère de la vérité d’un raisonnement : en examinant quelle doit être la forme d’un discours correct, on peut repérer la fausseté de certains discours pour les réfuter. Mais la cohérence formelle d’un discours n’est pas un critère suffisant de sa vérité. Un raisonnement qui ne se présente aucune contradiction est valide, mais il n’est que formellement vrai.

La conformité de la connaissance à son objet

Pour ne pas se contenter d’un critère formel, on définit la vérité comme l’adéquation de l’idée à la chose. La vérité définit une relation de représentation adéquate. Cependant, pour savoir qu’une représentation est vraie, il faudrait connaître l’objet représenté ; or on ne peut le connaître qu’à partir de l’idée que l’on en possède. Le vrai s’éprouve sans pouvoir se vérifier.

La science peut servir de modèle de la connaissance vraie. Mais la science peut-elle seule atteindre la vérité ? Ne doit-on pas “limiter le savoir pour laisser une place à la croyance”, comme l’affirme Kant dans la Critique de la raison pure ?

Evidence, subjectivité et objectivité

Une certitude peut être trompeuse : “certitude, mauvaise marque de vérité”, note Pascal. La certitude est subjective, elle peut porter sur une opinion fausse. Mais on peut toujours en douter. L’évidence d’une vérité n’est pas son caractère certain : il y a évidence, pour Descartes, quand une idée s’impose clairement et distinctement à l’esprit ; un esprit peut donc être certain, alors que c’est l’idée qui lui est évidente. face à l’évidence, l’esprit reçoit le vrai comme une vision : évidence vient du latin viderer, voir.

Pour Descartes, la première vérité se découvre quand la certitude de l’esprit rencontre l’évidence de l’idée, par la reconnaissance de l’existence du sujet pensant par lui-même. L’évidence est la manière dont une subjectivité consciente éprouve le vrai, tout en reconnaissant la valeur objective de sa représentation. Le Je pensant, découvert par Descartes à l’issu du doute, est la première vérité. C’est aussi la condition de toute vérité.

On peut reprocher à l’évidence de n’être qu’un critère subjectif de la vérité. L’objectivité permet à une vérité d’être reconnu universellement, la subjectivité rend possible la connaissance. Il y a une vérité objective que pour un sujet connaissant.

Pour Descartes, la vérité du savoir est garantie par un fondement métaphysique : Dieu, tout-puissant et non trompeur, créateur des vérités. Mais Kant refuse un fondement théologique de la vérité. Un savoir est ce qui peut être vérifié dans l’expérience. Sinon la vérité serait l’affirmation d’une croyance ou d’un dogme.

Cependant, Kant distingue le sujet transcendantal, forme universelle de la connaissance, de l’existence individuelle du penseur. La vérité subjective consiste en l’affirmation par une subjectivité de ce qui lui importe comme la certitude morale de la liberté. Une vérité subjective est un pari où la subjectivité s’engage avec passion.

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En résumé

La définition de la vérité est embarrassante : réside-t-elle dans l’évidence de l’idée ? Dans la cohérence de la pensée ? Dans la conformité des discours à la réalité ? Dans la possibilité qu’une théorie soit vérifier par l’expérience ? Le scepticisme nie la possibilité d’atteindre la vérité. Le dogmatisme, à l’inverse, affirme une vérité de manière absolue. La vérité est un idéal qui ne peut être atteint qu’en se méfiant de nos certitudes subjectives, dont on doit douter. La garantie de la vérité a longtemps a longtemps reposé sur un postulat théologique, mais l’accès à un savoir vrai suppose qu’on cesse de croire. Toutefois, même si on considère que la recherche de la vérité ne relève que de la science, il faut admettre que c’est le sujet qui constitue la vérité objective.

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