Spontanément, les liens qui réunissent Eric-Emmanuel Schmitt et la cognition ne semblent pas évidents. Pourtant, quand le premier écrit Madame Pylinska et le secret de Chopin et que d’autres pensent les sciences cognitives, tous se focalisent sur l’esprit humain. Un éclairage sans doute utile pour la philosophie.
Madame Pylinska et le secret de Chopin, d’Eric-Emmanuel Schmitt
Ce conte n’est pas anodin au sens où il met le lecteur directement en face de sa condition humaine : les choix parfois surprenants du narrateur, ou encore les pensées irrationnelles qu’il peut avoir sont notre lot quotidien. En cela, déjà, l’œuvre vient nous questionner : qu’aurions-nous fait face à une professeure de piano aux demandes excentriques ou encore confronté à la maladie d’un proche ?
Le piano, lui, est tel un animal de compagnie, dont la présence est au début encombrante, notamment du fait de l’héritage qu’il représente, pour peu à peu devenir un compagnon de route et de vie. Plus que le piano en lui-même, Chopin compte encore plus pour Schmitt, telle une force de résistance de l’enfance dans sa vie de jeune adulte.
L’intrigue est donc profondément personnelle ; mais endosse très régulièrement une facette philosophique. La place du silence dans la musique semble s’imposer également à la lecture, dont le moindre bruit pourrait perturber la transe.
Ou encore lorsque Madame Pylinska implore le narrateur à devenir liquide : « Liquide… Céder à l’onde, saisir l’espace entre les sons sans l’agripper, se livrer à ce qui arrive, élargir sa disponibilité. Liquide… » (page 39) ; non sans rappeler Bauman et L’Amour liquide. D’ailleurs, l’enseignante assène au sujet de l’amour qu’ « on n’aime vraiment que lorsqu’on n’est pas amoureux » (page 46).
L’ouvrage est aussi une leçon magistrale autour de Chopin. L’on y apprend qu’il « ne part pas de quoi que ce soit d’antérieur : il crée ! Aucune image mentale ne préexiste à sa musique. C’est la musique qui impose sa réalité à l’esprit. Elle demeure pure. Elle n’exprime pas de sentiments, elle les provoque » (page 49).
Sans oublier l’importance pour Schmitt de l’intériorité et de l’intime, qui affirme par la voix de sa tante « une mauvaise réputation fournit une armure souveraine à quiconque prétend rester discret » (page 56). Le lecteur apprend alors que c’est grâce à Madame Pylinska que non seulement l’auteur écrit mais aussi qu’il consacre une telle place à l’intimité. Peu à peu, et notamment dans la veine de La nuit de feu, Schmitt se livre à ses lecteurs, et nous offre chaque fois un peu plus une vue nouvelle sur sa vie, quitte à nous emporter dans un vertige philosophique dont il a le secret.
La cognition, du neurone à la société, dirigé par T. Collins, D. Andler et C. Tallon-Baudry
Les sciences cognitives « regroupent les disciplines qui placent l’esprit humain au cœur de leurs interrogations », telles que « la biologie, la psychologie, la philosophie, la linguistique, l’anthropologie et l’intelligence artificielle » (page 10).
L’ouvrage offre une perspective croissante en termes d’échelles : moléculaire, neuronale, corporelle, sociale… Surtout, la transdisciplinarité permise par les sciences cognitives donne un sens nouveau à l’action, au langage, à la perception, aux émotions ou encore au développement.
A la fois guide et initiation, l’ouvrage décloisonne enfin les disciplines et appelle à une pensée plus globale et complexe, dont la compréhension de l’activité humaine a pleinement besoin.
Guillaume Plaisance
Bibliographie
Schmitt, Eric-Emmanuel – Madame Pylinska et le secret de Chopin – Albin Michel – 2018
Collins, Thérèse ; Andler, Daniel et Tallon-Baudry Catherin – La cognition – Folio – 2018