Introduction
L’échange est au cœur de la civilisation et des relations entre les hommes. On échange des biens, des services, des idées. L’échange suppose un accord entre les parties concernées. Il repose sur l’idée de partage motivé par un intérêt commun et peu sur l’idée de don et de donation.
Pourquoi les échanges sont -ils nécessaires ?
- L’échange est ce qui permet le développement des facultés intellectuelles qui resteraient en sommeil sans le rapport à l’autre.
Texte : Itard : « De l’éducation de l’homme sauvage ou les premiers développements physiques et moraux du jeune sauvage ». Cf le film de François Truffaut : « l’enfant sauvage ».
L’exemple de l’enfant sauvage montre l’état physique et psychique d’un sujet qui a vécu en l’absence de tout contact humain.
- Les sens : ils sont peu développés car peu sollicités, peu mis en présence de ce qui aurait pu les éveiller. Les sens ne se développent que lorsqu’ils sont motivés, convoqués, exercés. Sans cela, ils ne restent qu’à l’état de simples fonctions possibles mais non activées.
- L’esprit : les fonctions intellectuelles. L’enfant sauvage ne semble manifester aucune mémoire, pas de jugement, pas d’aptitude à reproduire ce qu’il voit, pas d’attention ni de concentration. Il ne peut rien exprimer, rien identifier, ne peut rien penser. Il est dépourvu de toute activation de ses facultés intellectuelles (Entendement, Raison, logique, langage sont inactifs).
Sans échange, les fonctions sensorielles et intellectuelles demeurent à l’état latent, primitif. Elles ne sont que des possibilités. Elles ne peuvent devenir efficaces que si elles sont activées, donc sollicitées par l’échange. L’échange est donc ce qui permet de se développer soi-même. Vivre en société, vivre avec les autres et communiquer avec eux signifient se confronter à eux et donc se développer soi-même.
Transition :
Le mot « enfant » vient du terme latin « infans » : « celui qui ne parle pas ». C’est à partir de l’échange avec son entourage que l’enfant se développe et se met à perler. Si l’animal communique, l’homme, quant à lui, parle. Seul l’homme parle, il peut nommer les choses alors que l’animal ne fait que les exprimer. Le langage est donc au cœur de l’échange. Le langage est un outil de communication, il manifeste la pensée par des mots agencés de façon logique, ordonnée, codifiée, raisonnée. Le langage permet l’abstraction, c’est-à-dire la possibilité de parler d’une chose en l’absence de cette chose. Le langage s’oppose donc au geste, qui lui, peut désigner une chose en sa présence, donc montrer l’objet de façon concrète.
Le langage est lié à la raison
Le logos signifie à la fois raison et langage. Parce que seul l’homme possède la raison, seul l’homme parle.
Texte de Benveniste : « Problème de linguistique générale »
- Définition du « signal ». Le signal relie deux phénomènes à partir d’un code (relation de cause à effet). Il engendre une simple réaction sensorielle. Notons pour exemple le réflexe conditionné de Pavlov : un chien qui réagit à un signal identifie ce que ce signal annonce. Ceci ne relève que du sensoriel.
- L’homme peut réagir à un signal, mais il peut aussi et surtout utiliser le symbole. Si le signal implique une relation concrète avec l’objet, le symbole, quant à lui, est métaphorique. Le symbole signifie une relation abstraite avec l’objet. C’est alors la Raison qui permet la compréhension de la signification du signal et permet la réaction sensorielle.
C’est une différence importante entre l’homme et l’animal. Dire que l’animal comprend la parole est une erreur, il ne réagit qu’au signal auquel il est habitué et avec lequel il a été dressé : le même signal entraine le même effet chez le même animal.
A l’inverse, l’homme réagit, certes, aussi au signal, mais il le comprend rationnellement, il en comprend la signification intellectuelle. Il ne réagit pas seulement de façon sensorielle, il comprend aussi intellectuellement ce que signifie le signal.
Le langage et la pensée: Il n’y a pas de langage sans pensée, il n’y a pas de pensée sans langage. Communiquer par le langage, c’est à la fois utiliser les mots pour dire sa pensée et utiliser sa pensée pour la traduire en mots.
La pensée : un dialogue de l’âme avec elle-même : un échange avec soi-même.
Platon : Theétète
Penser : utiliser les mots, l’âme utilise les mots pour s’entretenir avec elle-même : elle affirme, elle nie, elle suppose, compare, aboutit ensuite à un raisonnement et à un jugement. Penser, c’est donc s’entretenir avec soi-même.
Transition :
Mais ce dialogue de la pensée avec elle-même suffit-il ? Il ne s’agit que d’un échange de soi à soi. Or, l’homme a besoin de dire ses échanges à d’autres hommes, de les confronter aux autres car en échangeant des idées, il peut les développer, les préciser et ainsi affiner son jugement.
Texte de Kant : « Qu’est-ce que s’orienter dans la pensée ? »
- On peut interdire à quelqu’un de parler si l’on considère que sa pensée est nuisible pour la paix sociale, donc si l’on considère sa pensée comme subversive.
- Mais on ne peut l’empêcher de penser, d’avoir des raisonnements.
- Or, même si cette liberté de pensée est conservée, la pensée ressent toujours le besoin de se confronter à la pensée des autres pour s’exercer, s’évaluer. Donc, la pensée, même si elle est définie comme un rapport de soi à soi, exige tout de même le langage pour se dire aux autres car la pensée ne se développe que dans l’échange.
- Pour interdire l’expression verbale d’une pensée, il faut amputer la pensée, l’empêcher de se développer. Retirer la liberté d’exprimer, de communiquer sa pensée, c’est donc finalement aussi lui retirer la liberté de penser car sans échange, la pensée ne peut se développer. Dès lors, elle s’atrophie.
Transition :
Certes, on peut penser seul mais la pensée ne peut se développer que par l’échange avec autrui, elle a besoin de se dire, elle a donc besoin du langage. Echanger, c’est découvrir des mondes dont j’ignorais l’existence, découvrir des idées nouvelles, des modes de vie qui m’étaient inconnus : exemple la découverte de l’art africain par Picasso et qui engendrera le cubisme.
Texte de Kahnweiler : « L’art nègre et le cubisme »
L’art africain et son influence sur le cubisme :
Le cubisme : art conceptuel qui se détache de la figuration (la figuration représente les choses telles qu’on les voit). Le cubisme veut représenter les choses non pas telles qu’on les voit mais telles qu’on les connait. Exemple : les portraits peints par Picasso ; le sujet est peint à la fois de face, de profil, de trois quarts : le tableau représente la figure sous tous les angles possibles, toutes les perceptions que je peux en avoir mais que je n’ai jamais en même temps dans la vie. Or, dans le cubisme, elles sont toutes rassemblées en un seul instant sur la toile. Picasso donne à voir en un seul instant ce que la perception dans le réel ne peut nous fournir que de façon simultanée (en plusieurs étapes à la fois).
- L’art africain : il montre non pas ce qui est vu mais ce qui est connu d’une chose (donc l’art africain représenterait une chose à partir de son concept avant même l’invention du cubisme). Le signe, l’emblème, les statues africaines ne représentent pas tant les yeux que la force magique attribuée aux yeux. Le cubisme a donc vu l’art africain comme fraternel.
- Echanger, c’est trouver dans une culture qui est différente de la mienne quelque chose de moi que j’ignorais avant cette rencontre : l’échange. Il me révèle l’Autre et en même temps me révèle à moi-même. Echanger, c’est interagir.
Transition
Le langage est commun à tous les hommes car tous les hommes possèdent la Raison. Mais si le langage est unique, il existe pourtant de nombreuses langues (plus de 20 000). Pour expliquer comment les hommes sont passés d’une langue unique à une multitude de langues, on peut se référer à la Bible, à L’Ancien Testament et la Tour de Babel.
- Pourquoi du langage les hommes sont-ils passés à une multitude de langues ?
- La Bible : la tour de Babel
Selon la Bible, à l’origine, les hommes parlaient tous la même langue. Ils se mirent d’accord pour construire une immense tour pour tenter d’atteindre les cieux. Dieu, voyant ceci comme un défi, un danger fit en sorte que les hommes ne puissent plus jamais s’entendre : il les disperse en créant une multitude de langues. Dès lors les hommes ont du mal à se comprendre et ne peuvent plus se rassembler.
Transition :
Si les mots permettent de communiquer, le sens ne se limite cependant pas aux mots. La communication peut être corporelle, gestuelle… tout ceci traduit différentes cultures, différents codes et donc différentes interprétations du monde.
Le langage : une multitude de langues
Il renvoie donc quelque chose de culturel. Il ne se réduit pas aux mots, il indique des rites, des codes sociaux…
Les langues sont culturelles, le mot est une convention arbitraire. Selon les cultures, la même manière d’exprimer un sentiment se traduit de manière différente.
Texte de Simone Clapier-Valladon : « L’homme et le rire »
Bergson : « Le rire est le propre de l’homme ». Les animaux ne rient pas, ils ne font pas d’humour. De plus, le rire est une communication qui nécessite la présence des autres pour pouvoir se prolonger.
- Le rire est collectif, il est aussi culturel : exemple, le rire chez les japonais ne signifie pas le plaisir mais la gêne, l’embarras.
- Le rire, le sourire répondent de codes sociaux qui le définissent quant à son expression et le sens qu’il indique.
- Il y a différentes façons de rire : exemple : les Touaregs qui considèrent que montrer ses dents est un signe maléfique.
Mais par-delà les diverses formes du rire, par-delà les diverses significations qu’il implique, le rire est toujours une manifestation extérieure codifiée, sociale, culturelle. Donc la volonté de partager le rire se construit autour d’un centre commun : l’humour. Et l’humour est souvent présent dans les relations humaines. Le rire, que l’on pourrait croire comme un phénomène naturel, une réaction physique spontanée face à une situation, est, en fait, un phénomène culturel. A chaque culture correspond une façon de rire particulière et un sens donné au rire.
Tout langage est un échange, mais l’échange n’est pas que verbal, il est aussi échange de biens. Or, pour ce type d’échange, il faut trouver une monnaie d’échange et donner une valeur aux choses pour pouvoir quantifier cette monnaie d’échange.
Texte d’Aristote : « Ethique à Nicomaque »
- La monnaie : une unité de mesure qui permet de quantifier l’échange.
- Mais comment quantifier le travail ? Le travail d’un architecte et celui d’un cordonnier ont-ils la même valeur ?
- Car le travail est une valeur en soi, mais différentes activités conduisent nécessairement à différentes valeurs.
- La monnaie comme unité de mesure doit être maîtrisée et limitée pour ne pas entrainer des inégalités sociales trop importantes.
- Le travail de l’Etat doit consister à réguler l’offre et la demande : plus une chose est rare plus une chose est chère. L’Etat doit limiter la spéculation.
- Selon Aristote ; la monnaie est née du développement des échanges. Elle est un moyen pour échanger. Et parce qu’elle est un moyen, elle ne doit pas se transformer en une fin. On ne doit pas accumuler la monnaie pour elle-même. L’argent est fait pour circuler et échanger. Lorsque l’on considère l’argent comme une fin en soi, on parle de chrémanistique.
Transition :
Tout échange peut devenir marchand. On peut alors se demander si le don (l’acte gratuit) existe encore. Le don : ce qui est donné sans rien attendre en retour : l’acte absolument généreux. Mais le don est-il aussi désintéressé et généreux qu’on le prétend ?
Texte de Bourdieu : « Esquisse d’une thèse de la pratique »
- Au départ, le don parait essentiellement généreux car dans le don subsiste le risque de ne rien recevoir en retour.
- Mais donner, c’est simplement contraindre celui à qui je donne de me donner quelque chose pour me remercier de lui avoir offert quelque chose. Donc donner, c’est faire en sorte que l’autre me soit redevable. Il n’y a donc, en effet, aucune générosité dans le don.
- Dans le don, les deux parties feignent d’ignorer cette transaction attendue entre don et contre-don pour conserver l’illusion du don désintéressé. Mais les deux parties savent implicitement que le don est en fait toujours intéressé : dans le don, on est finalement moins intéressé par ce que l’on donne par ce que l’on espère obtenir en retour.
Conclusion :
L’échange est au cœur de toutes les civilisations. Il est ce qui permet la construction des relations humaines, leur interaction. Par l’échange, les cultures deviennent poreuses les unes aux autres, les idées se confrontent, les services se complètent. L’échange est ce qui permet d’être en contact avec l’autre…la socialisation ne peut passer que par l’échange.