L’Etat en philosophie

Introduction : qu’est-ce que l’Etat ?

La société ne va pas de soi. Elle se doit, pour maintenir une cohésion sociale, d’être réglementée par des lois, organisée autour d’un pouvoir régulateur, un pouvoir politique. Or, qui dit réglementation dit nécessairement contraintes, obligations, devoirs. S’il existe des sociétés réglées sans le pouvoir d’un Etat (ex : les sociétés primitives), elles demeurent néanmoins fondées sur des règles, des rites et tabous qui organisent la vie en communauté. Pour les sociétés organisées autour d’un pouvoir politique, c’est l’Etat qui incarne ce pouvoir.

La question de l’origine de l’Etat

  • L’Etat : le pouvoir politique : une pluralité de formes possibles de ce pouvoir.

Texte d’Aristote : Ethique à Nicomaque

Selon Aristote, il existe trois types de constitutions : 1) la royauté, 2) l’aristocratie, 3) la timocratie (politeia). La meilleure est la première, la pire est la troisième. Selon Aristote, « l’opposé du meilleur est toujours le pire » et la dérive du régime considéré comme le plus adéquat est la tyrannie : royauté et tyrannie sont toutes les deux des monarchies mais la relation que le roi et le tyran entretiennent avec le pouvoir politique exercé diffère quant à l‘orientation de l’intérêt : alors que le roi exerce le pouvoir dans l’intérêt de ses sujets, le tyran ne vise que son intérêt personnel. Un mauvais roi devient un tyran : on peut donc admettre la concentration des pouvoirs en une seule main comme le risque d’un détournement de la fonction même du politique qui ne sert plus la Cité pour réaliser sa fonction dans la collectivité mais qui, au contraire, se sert de la Cité pour répondre à ses ambitions individualistes. Aristote conclue que la timocratie et la démocratie sont voisines car se fondant et cherchant le pouvoir de la masse : « La démocratie est la moins mauvaise des constitutions corrompues car ce n’est qu’une faible déviation constitutionnelle ».

Transition :

Pour que le pouvoir politique puisse se réaliser dans sa fonction première, il semble nécessaire qu’au sein du pouvoir, qu’au sein de l’Etat, les pouvoirs soient séparés les uns des autres. L’Etat doit donc s’organiser à partir d’une organisation des pouvoirs.

L’Etat : l’organisation et la répartition des pouvoirs

Aristote : Politique LII

« Les termes constitutions et gouvernement ont la même signification ».

Aristote : Politique LIV

« Toutes les constitutions comportent trois parties »

« Quand ces parties sont en bon état, la constitution est nécessairement elle-même en bon état »

Les trois parties selon Aristote :

  • Le pouvoir délibératif : délibère quant à la guerre, la paix, les alliances : c’est le pouvoir décisionnel.
  • Le pouvoir exécutif : la magistrature : elle applique les décisions prises.
  • Le pouvoir judiciaire : celui qui rend la justice : les membres qui le constituent sont des citoyens tirés au sort ou élus et constituent un tribunal.

Transition :

L’Etat repose ainsi sur la participation active du citoyen à la vie publique, à l’interaction entre le pouvoir étatique et l’engagement du citoyen dans la vie politique de la Cité. Mais cette interaction ne repose-t-elle pas sur l’idée même de « communauté », d’une histoire commune de l’humanité ?

Engels : l’Etat : une production de la production

« Ce sont les hommes qui font leur histoire mais dans un milieu qui les conditionne »

Il y a un lien entre ce qui a été, ce qui est et ce qui sera : enchainement des causes et des effets : interaction entre les conditions économiques, sociales, politiques.

Ce n’est pas la conscience qui détermine la condition sociale mais la condition sociale qui détermine la conscience (Marx).

Toute société est fondée sur la production et les échanges que celle-ci génère.

De la répartition de la production découle la répartition des classes sociales. Dès lors, pour expliquer ce qu’est l’homme, les analyses métaphysiques, philosophiques ne font pas sens. C’est par l’analyse de la modification des moyens de production, de la production elle-même et des échanges que l’on peut comprendre le fonctionnement social et politique d’une société.

Quand la production d’une société devient très élevée et donc que le degré de développement économique d’une société augmente, la création d’un Etat apparait comme une nécessité. L’Etat est donc le « produit de la société ». La fonction de celui-ci consiste alors à estomper les différences sociales. L’Etat a pour fonction de réguler et la production et les richesses qui découlent de la production.

Engels : « L’Etat n’existe donc pas de toute éternité. Il y a eu des sociétés qui se sont tirées d’affaire sans lui, qui n’avaient aucune idée de l’Etat et du pourvoir d’Etat. A un certain stade de développement économique qui était nécessairement lié à la division de la société en classes, cette division fit de l’Etat une nécessité ».

Transition :

Cependant, une question se pose : si l’Etat apparait comme la conséquence « logique » d’un certain degré quant au développement économique d’une société, il se signale comme ce qui vient rationaliser les échanges. Mais l’Etat remplit-il cette fonction ? Etabli pour limiter les différences sociales, l’Etat limite-t-il les inégalités ou les renforce-t-il ?

L’Etat : l’instrument des classes dominantes

Texte de Engels : « L’origine de la famille, de la propriété privée et de l’Etat »

Selon Engels, l’Etat est au service des classes dominantes qui, par l’Etat, justifient la division de la société en classes sociales mues par des intérêts contradictoires.

L’Etat serait un instrument politique qui masque le conflit réel qui s’est établi dans la société : la lutte des classes entre la classe bourgeoise et la classe prolétarienne.

A l’origine, l’Etat est né du besoin de limiter cette lutte. Mais parce qu’il a été créé par la classe dominante, l’Etat est devenu un pouvoir économique qui s’est octroyé le pouvoir politique pour se maintenir dans son pouvoir dirigeant. L’Etat serait l’incarnation du pouvoir des plus puissants pour se maintenir comme puissants et opprimer encore davantage les classes opprimées sous son pouvoir. Tenons pour exemples : l’Antiquité : le pouvoir politique appartenait aux maîtres face aux esclaves, puis dans la période féodale ce pouvoir fut aux mains des seigneurs face aux serfs, et maintenant ce pouvoir est détenu par la classe bourgeoise face au prolétariat. L’Etat n’est donc pas le garant de l’intérêt général mais l’instrument de l’intérêt particulier de la classe dominante. L’Etat n’est pas séparé de la société, il est plutôt partie prenante des conflits sociaux et il est au service de l’oppresseur pour maintenir son pouvoir sur l’oppressé.

Transition :

Un problème apparait alors : si l’Etat est un instrument politique au service d’une minorité dominante, il peut rapidement devenir le pouvoir d’un seul homme. Si la démocratie repose sur l’idée d’intérêt général et si cet intérêt général se retrouve dans les mains d’un seul homme qui prône son intérêt particulier, l’Etat peut devenir totalitariste. Cependant le totalitarisme n’est pas le seul apanage d’un despote, un Etat providence peut devenir un Etat totalitaire. Dès lors, pour éviter cette dérive ne peut-on pas penser la société sans pouvoir étatique ?

La question de l’Etat et ses dérives totalitaristes

Texte de Clastres : « La société contre l’Etat »

L’Etat est-il vraiment nécessaire, peut-on penser une société sans Etat ?

Selon Clastres :

  • Les sociétés primitives sont des sociétés sans Etat.
  • On pense que ce manque signifie une incomplétude, qu’une société sans Etat est une société inaboutie et que ces sociétés ne seraient pas totalement civilisées.
  • Or, cette pensée fait preuve d’ethnocentrisme qui signifie lire une société à partir des valeurs qui régissent celle à laquelle j’appartiens et qui en diffèrent. C’est considérer une culture particulière comme étant la référence universelle. Inconsciemment je pense ces sociétés à l’aune de mes valeurs et je pose l’Etat comme la finalité de toutes les sociétés. Je pense alors les sociétés primitives comme étant « anachroniques ».
  • Autre erreur de l’ethnocentrisme : penser que l’histoire suit un sens unique, qu’elle ne peut suivre une multitude de directions et de choix différents. C’est penser qu’il n’y a qu’une seule direction et qu’un sens à l’histoire. Ce qui est une erreur, un préjugé.
  • L’état d’une civilisation n’est pas noué à la création de l’Etat : une société peut être « civilisée » sans Etat et une société avec Etat peut être « barbare ».

Transition :

L’Etat n’est pas une fin en soi, il n’est pas nécessairement le but et la finalité d’une société. Certaines sociétés se régulent sans l’autorité d’un pouvoir étatique. Or, si l’Etat n’est pas une fin en soi, alors c’est qu’il n’est qu’un moyen, un instrument. Et s’il est un instrument, il peut aussi être instrumentalisé, utilisé pour le bien ou pour le mal. Ainsi, même un Etat qui se veut « juste » parce qu’à la recherche du bonheur et du bien de tous peut s’avérer dangereux, créant un despotisme de l’égalitarisme.

Texte de Tocqueville : « De la démocratie en Amérique »

La démocratie et son souci égalitaire peuvent conduire paradoxalement au totalitarisme et à la limitation de la liberté individuelle par la destruction du libre arbitre. La trop grande uniformité née de la volonté générale peut engendrer un endormissement de l’individualité du sujet et le transformer en bête de troupeau. Cet Etat providence : « il ne brise pas les volontés, il les ramollit ».

« Il réduit enfin chaque nation à n’être plus qu’un troupeau d’animaux timides et industrieux dont le gouvernement est le berger ».

Une prise en charge totale de l’homme par l’Etat implique un abêtissement, une déresponsabilisation. Sous couvert de faire le bonheur de tous, cet Etat providence engendre une uniformisation des hommes qui se réduisent en une masse anonyme, indistincte et qui tue l’originalité, la particularité de chacun. Cet Etat providence peut ainsi engendrer le malheur de chacun sous couvert de vouloir faire le bonheur de tous et finalement crée une société amorphe, homogène, incapable de penser et de créer de manière autonome et inventive.

Ce que l’Etat providence peut engendrer : un despotisme d’un genre nouveau, la volonté d’une société égalitaire, une nouvelle forme d’oppression qui conduit à une société égalitariste, massifiée, léthargique, uniformisée.

Transition :

La démocratie, lorsqu’elle se fait Etat providence peut ainsi aboutir à ce contre quoi elle a toujours prétendu lutter : le despotisme par l’égalitarisme. L’usage de la propagande, de l’endoctrinement au profit d’un Etat vicié qui instrumentalise le peuple et qui finit par user de la terreur pour le soumettre : le mal collectif sous couvert du bien général.

Texte de H. Arendt : « Des origines du totalitarisme »

  1. Seuls les sujets incultes ou les élites sont attirés par le totalitarisme : l’élite parce qu’elle veut être à sa tête, le peuple parce qu’il est vu comme une masse indifférenciée. Définition du totalitarisme : Etat qui rassemble la totalité des pouvoirs dans les mains d’un seul parti qui n’accepte aucune opposition, aucune résistance, aucun autre pouvoir et qui tend à confisquer la totalité des activités de la société qu’il domine.
  2. Dans la démocratie, le pouvoir totalitaire est limité par la loi, la liberté de paroles et d’opinions : ce pouvoir contre balance celui effectué par la propagande mise en place par un pouvoir totalitaire naissant. Définition de « démocratie » : doctrine dans laquelle la souveraineté doit appartenir à l’ensemble des citoyens (il s’agit souvent d’une République).
  3. Le totalitarisme en place remplace la propagande par l’endoctrinement. La propagande permettait de propager des idées, l’endoctrinement cherche à convaincre le peuple pour qu’il adhère aux idées propagées.
  4. Le totalitarisme est insidieux : il utilise ce qui était tu à l’opinion (donc ce que le peuple ignorait) en lui faisant croire que ce qui était tu l’était par la volonté de dissimuler la corruption. Le totalitarisme fabrique des contre-vérités qu’il présente comme des révélations au peuple. Cf le film « Le dictateur » de C. Chaplin.

Transition :

Les règles de l’art de gouverner découlent toujours du phénomène suivant : tout pouvoir s’efforce de se maintenir, l’Etat ne cherche que sa propre conservation contre tout danger extérieur. La politique doit rester en prise directe avec les réalités du monde qu’elle gouverne. La question relative à l’art de gouverner se pose avec Machiavel. Il ne se pose pas la question de la légitimité du pouvoir politique mais celle du comment maintenir une stabilité politique.

Machiavel : Le Prince ou l’art de gouverner

La question de Machiavel : celle de l’art de gouverner : pour se maintenir au pouvoir, le Prince doit-il se faire aimer ou se faire craindre ?

Le but du Prince : se conserver. Selon Machiavel, les hommes sont égoïstes, il en va de même pour le Prince. En premier, il promet, puis il fait face aux réalités. Le but du Prince : la sécurité, la stabilité pour se maintenir au pouvoir. Et pour cela, il doit se faire craindre.

L’art de gouverner : se faire aimer ou se faire craindre ?

Pour être aimé, il faut non pas être lié par de l’affect mais par des intérêts communs avec ses sujets. Mais un risque menace : une relation fondée sur l’intérêt est par définition instable car les intérêts peuvent changer et alors le lien entre le Prince et ses sujets se fragilise et peut se détruire. Dans une telle relation, le Prince est dépendant et donc fragilisé.

Il faut donc davantage se faire craindre car ainsi le prince crée une situation dans laquelle il est le seul maître du début à la fin. Ne se fondant que sur lui, son autoconservation est assurée. Mais cette crainte ne doit pas aller jusqu’à la terreur et la haine sinon il y a risque d’alliance subversives, risque de rassemblement des sujets qui voudraient éliminer le prince.

La crainte est donc nécessaire dans l’art de gouverner et le pouvoir n’est sûr que s’il est reconnu par les sujets et que le prince incarne l’image du pouvoir : « Pour bien connaitre la nature des peuples il faut être prince, et pour celle des princes, être populaire ».

Le prince doit donc être modéré, il doit rassembler, unifier et s’il utilise parfois des moyens cruels, l’usage qu’il fait de la cruauté doit toujours être inscrit dans une finalité qui vient la justifier comme un mal nécessaire pour un bien politique.

Transition :

L’art de gouverner implique le sens de la stratégie et cette stratégie reste au service de la volonté de l’Etat de se maintenir comme pouvoir : l’Etat ne chercherait-il pas que sa propre autoconservation ? L’abus de pouvoir de l’Etat, la mise sous tutelle de l’individu par le pouvoir étatique peut permettre une interrogation quant à la légitimité même de l’Etat. L’autorité politique peut en effet être lue comme paternaliste, tendant à infantiliser l’individu qui voit son individualité castrée. Cette remise en question du pouvoir étatique quant à sa légitimité se trouve interrogée par la pensée anarchiste. On note deux branches de la pensée anarchiste : celle collectiviste, avec Bakounine, celle individualiste avec Stirner.

« Ni Dieu ni maître »

L’anarchisme individualiste.

« Anarchisme » : absence d’ordre : ne signifie pas le désordre mais ce qui ne répond à aucun ordre : ce qui ne répond que de soi par soi et pour soi et qui se sait être responsable de ses actes. De fait, la pensée anarchiste ne peut reconnaitre la légitimité du pouvoir étatique car l’Etat signifie une prise en charge autoritaire et instrumentalisée de la liberté du sujet : un assujettissement pour le profit de quelques-uns qui s’octroient des droits sur tous. Bakounine : « Etat veut dire domination, et toute domination suppose l’assujettissement des masses et par conséquent leur exploitation au profit d’une minorité gouvernante quelconque ».

« Voyons maintenant si cette théologie politique, de même que la théologie religieuse, ne cachent pas sous de très belles et poétiques apparences, des réalités très communes et très sales ».

« Toute théorie conséquente et sincère de l’Etat est essentiellement fondée sur le principe de l’autorité, c’est-à-dire sur cette idée éminemment théologique, métaphysique, politique, que les masses, toujours incapables de se gouverner, devront subir en tout temps le joug bienfaisant d’une sagesse et d’une justice qui, d’une manière ou d’une autre, leur seront imposées d’en haut ».

Selon la pensée anarchiste collectiviste, l’homme a une tendance naturelle à se rapprocher des autres hommes. Il est un être rationnel qui s’unit aux autres hommes suivant les affects et les centres d’intérêt.  Et il est suffisamment adulte et responsable pour savoir ce qu’il a à faire sans qu’une autorité ne vienne le lui dire. Il n’a donc pas besoin de l’Etat. L’Etat ne fait que se servir lui-même…

Transition :

Mais la volonté de se libérer de toute tutelle peut se prolonger jusqu’à l’affirmation radicale et définitive de l’individualité irréductible du sujet qui reconnait son identité comme stricte propriété, par essence unique et inaliénable. Prenant en compte la nature essentiellement égotiste de l’homme, et donc, par nature, incompatible avec toute idée de collectivité, de sociabilité, la négation de l’Etat peut logiquement aboutir à la non reconnaissance de tout ce qui fonde la société et peut même présenter la société contre-nature. L’Etat, la société, sont-ils l’aboutissement de la nature rationnelle de l’homme ou le produit d’une dénaturation de la fondamentale liberté naturelle de celui-ci ? Réalisation ou domestication ?

Anarchisme individualiste : Stirner : « L’unique et sa propriété »

« Ne reconnaitre aucun devoir, c’est-à-dire ne pas me lier et ne pas me regarder comme lié. Si je n’ai pas de devoir, je ne connais pas non plus de loi… » (Stirner)

« La volonté individuelle et l’Etat sont des puissances ennemies, entre lesquelles  aucune « paix éternelle » n’est possible. Tant que l’Etat se maintient, il proclame que la liberté individuelle, son éternel adversaire, est déraisonnable, mauvaise… Et la volonté individuelle se laisse convaincre, ce qui prouve qu’elle l’est en effet : elle n’a pas encore pris possession d’elle-même, ni pris conscience de sa valeur, aussi est-elle encore incomplète, malléable ».

L’abolition de l’Etat dans ce qui le fonde procède d’un retour à l’individualité, au risque du soi. Mais ce risque présente aussi une autre lecture de l’homme, à savoir celle qui le comprend comme essentiellement unique et qui doit portée cette unicité par-delà le Bien et le Mal.

Conclusion :

L’Etat en peut pas être un degré de civilisation : par-delà ou grâce à l’absence de l’Etat, les sociétés primitives répondent de structures sociales développées, hiérarchisées, de rites élaborés…Parallèlement, certains Etats (celui d’Hitler…) ont engendré une « rationalisation industrielle » du mal. En ce sens, l’Etat ne peut plus être lu comme l’aboutissement le plus accompli de la Raison. L’Etat apparait comme un instrument politique à double tranchant ; il sécurise en même temps qu’il soumet, il rationalise la pluralité des identités en même temps qu’il limite la diversité des individualités. Sa difficulté consiste à trouver la juste mesure quant à l’exercice du pouvoir qu’il incarne. Cet équilibre est précaire et demande de l’attention de la part du citoyen qui doit demeurer vigilant quant aux dérives possibles et à l’abus de pouvoir. Equilibre précaire : aux mains d’un seul homme ou d’un pouvoir totalitaire, l’Etat peut devenir ce qui déshumanise…Nous partirons de la définition classique de l’Etat : entendu comme Etat-nation, tel qu’il s’est construit depuis le XIXème siècle, c’est-à-dire l’adéquation d’une nation, d’un territoire, et d’une organisation politique déterminée.

Les autres conceptions de l’Etat

Des souverainistes aux fédéralistes, faisons un tour d’horizon des conceptions de l’Etat, et de l’Etat au sein de l’Europe.

L’Etat-nation : structure politique indépassable de la modernité politique

  • Approche naturaliste (Hegel,La philosophie de l’Histoire) : l’Etat est l’étape ultime de l’histoire, la fin de l’histoire. L’incarnation de la raison universelle, le stade dernier de l’évolution des sociétés. L’Etat seul peut incarner l’Universel, le dépassement des intérêts particuliers. Le vingtième siècle semble, à priori, lui donner raison vu la démultiplication du nombre d’Etats dans le monde (chute du bloc communiste, partition de l’ex-Yougoslavie, la décolonisation, …).
  • Approche contractualiste (Hobbes, Le Leviathan) : l’Etat résulte du pacte passé entre les membres d’une société et le Léviathan : en échange de la sécurité, il accepte d’abandonner leur liberté naturelle. Chez Hobbes, la souveraineté de l’Etat est absolue, indivisible : dans cette perspective, le remplacement de l’Etat correspond au retour à l’état de nature, sauvage et violent. Remplacement comme régression (réponse : possible car il s’agit d’un contrat, par nature révocable, mais pas nécessaire).
  • Le Souverainisme : seul l’Etat est garant de la cohésion d’un territoire et de celle de l’identité (principe hégélien : pour se poser, il faut s’opposer. Ainsi, les frontières sont, constituent un critère de reconnaissance). La collectivité, pour s’affirmer comme nation, doit se reconnaître dans une entité politique qui lui correspond. Tout dépassement de l’Etat entraîne une dissolution des identités, un vide moral, une perte de repères.

Les philosophes et la critique radicale de l’Etat

Pour les autres courants de pensée, l’Etat est, comme Nietzsche l’affirmait, le “plus froid des monstres froids”, l’institution à abattre :

  • Communisme (Marx, Engels) : l’Etat est l’instrument de la classe bourgeoise, la structure qui masque la domination du capital sur le prolétariat. Philosophie de l’histoire : historicisme : Dépérissement de l’Etat est lié au destin de l’histoire.
  • Anarchisme (Bakounine) : autogestion des individus, toute structure transcendante est forcément synonyme d’oppression, de violence.
  • Libertarianisme (Rothbard) : Etat est une association de malfaiteurs qui extorquent illégitimement les propriétés individuelles. Seule l’organisation par les individus, sans autorité supérieure, créent une société optimale. Règne de l’économie, engloutissement du politique dans l’économie.
  • Fédéralisme : ls Etats doivent se dissoudre dans des entités plus grandes, voire une seule et même entité. Il s’agit de l’horizon d’un gouvernement mondial (tradition instaurée par l’abbé de Saint-Pierre). David Held (dans l’ouvrage Democracy and the global order) défend la thèse d’un Etat mondial, fondé sur une conscience cosmopolite. Chacun est inclut dans la communauté mondiale comme citoyen. Les institutions sont supra-nationales : Parlement mondial, cour pénale internationale permanente, conseil de sécurité disposant d’un pouvoir exécutif.

Une troisième voie pour l’Etat

Une troisième voie, entre disparition de l’Etat et son renforcement, a été défini par Habermas. Cette position médiane essaie de concilier, dans une approche volontariste, la nécessité de l’existence de l’Etat-nation et son dépassement.
Dans Après l’Etat-nation, Habermas défend l’idée selon laquelle la mondialisation économique, c’est-à-dire la trans-nationalité des flux économiques, rend les frontières poreuses (mais sur la question des frontières, on peut également penser à l’internationalisation des risques écologiques : Tchernobyl, les marées noires, la grippe aviaire, …) réduit la capacité d’action des Etat-nations, remet en cause leur souveraineté, de telle sorte qu’ils ne peuvent plus assurer les fonctions de protection, de redistribution des ressources, bref les fonctions de régulation intérieure qu’ils remplissaient autrefois.
Autrement dit, l’Etat-nation, comme société capable d’agir sur elle-même, qui s’auto-gère de manière endogène, n’existe plus que partiellement.
C’est pourquoi, il faut, selon Habermas, réinjecter du politique, ne pas laisser tout le champ social être régulé par l’élément économique : bref, il faut réassujettir l’économie au politique, domestiquer l’économie, renverser le primat de l’argent sur le pouvoir politique ;
Mais pour cela, les Etat-nations ne sont pas assez puissants pour résister seuls à la pression de la mondialisation. Les Etat-nations doivent transférer des compétences à un niveau supranational.
L’Europe préfigure ainsi cette figure de l’Etat postnational, seul capable d’assurer à la fois la justice sociale et l’efficacité marchande. Cependant, dans l’horizon postnational, il faut que les institutions politiques se fondent sur une légitimité : comment concevoir une légitimité démocratique des décisions prises au-delà de l’organisation étatique : création d’espaces publics transnationaux.

Conclusion

Ainsi, paradoxalement, c’est le dépassement de l’Etat-nation par la construction d’entités politiques plus vastes qui permet la conservation des Etat-nations car d’un côté, l’Etat-nation n’est pas assez fort pour se porter à la hauteur de l’économie mondialisée et endiguer seul les effets pervers des marchés, mais d’un autre côté, l’Etat-nation est insubstituable dans son rôle de maintien, de catalyseur de l’identité collective.

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