Sartre et la mauvaise foi :
La mauvaise foi tient une place importante dans la philosophie de Sartre, car elle est l’envers de la liberté, comme le mensonge est l’envers de la vérité.
Dans l’Etre et le Néant, Sartre liste les différentes conduites de mauvaise foi (coquette, garçon de café, …) utilisées par l’homme pour se masquer à lui-même sa liberté, qu’il assume mal. La mauvaise foi consiste à faire semblant de croire que l’on n’est pas libre, c’est se faire plein d’être, se réifier.
Extrait de Sartre sur la mauvaise foi :
« Considérons ce garçon de café. Il a le geste vif et appuyé, un peu trop précis, un peu trop rapide, il vient vers les consommateurs d’un pas un peu trop vif, il s’incline avec un peu trop d’empressement, sa voix, ses yeux expriment un intérêt un peu trop plein de sollicitude pour la commande du client, enfin le voilà qui revient, en essayant d’imiter dans sa démarche la rigueur inflexible d’on ne sait quel automate tout en portant son plateau avec une sorte de témérité de funambule, en le mettant dans un équilibre perpétuellement instable et perpétuellement rompu, qu’il rétablit perpétuellement d’un mouvement léger du bras et de la main. Toute sa conduite nous semble un jeu. Il s’applique à enchaîner ses mouvements comme s’ils étaient des mécanismes se commandant les uns les autres, sa mimique et sa voix même semblent des mécanismes ; il se donne la prestesse et la rapidité impitoyable des choses. Il joue, il s’amuse.
Mais à quoi donc joue-t-il ? Il ne faut pas l’observer longtemps pour s’en rendre compte : il joue à être garçon de café […].
Voilà bien des précautions pour emprisonner l’homme dans ce qu’il est. Comme si nous vivions dans la crainte perpétuelle qu’il n’y échappe, qu’il ne déborde et n’élude tout à coup sa condition. Mais c’est que, parallèlement, du dedans le garçon de café ne peut être immédiatement garçon de café, au sens où cet encrier est encrier, où le verre est verre. […]
Pourtant il ne fait pas de doute que je suis en un sens garçon de café – sinon ne pourrais-je m’appeler aussi bien diplomate ou journaliste ? Mais si je le suis, ce ne peut être sur le mode de l’être-en-soi. Je suis sur le mode d’être ce que je ne suis pas. Il ne s’agit pas seulement des conditions sociales, d’ailleurs ; je ne suis jamais aucune de mes attitudes, aucune de mes conduites. Le beau parleur est celui qui joue à parler, parce qu’il ne peut être parlant : l’élève attentif qui veut être attentif, l’œil rivé sur le maître, les oreilles grandes ouvertes, s’épuise à ce point à jouer l’attentif qu’il finit par ne plus rien écouter. Je ne puis dire ni que je suis ici ni que je n’y suis pas, au sens où l’on dit « cette boîte d’allumettes est sur la table » : ce serait confondre mon « être-dans-le-monde » avec un « être-au-milieu-du-monde ». Ni que je suis debout, ni que je suis assis : ce serait confondre mon corps avec la totalité idiosyncrasique dont il n’est qu’une des structures. De toute part j’échappe à l’être et pourtant je suis. »
Analyse du texte de Sartre sur la mauvaise foi :
L’introduction du mécanique dans sa gestuelle indique que le garçon de café tente d’être en soi (suivant la distinction ontologique de l’en soi, monde des objets, et du pour-soi, règne de l’homme), à se couler dans le monde en tant que chose. La conscience, nous dit Sartre, cherche toujours à coïncider avec elle-même, à se remplir d’être, à se faire “en-soi”, mais elle ne peut au fond se masquer le fait qu’elle n’est jamais ce qu’elle est, car l’homme, en tant qu’être réflexif, change dès qu’il prend conscience de lui-même : se dire naïf n’est plus tout à fait être naïf. Ainsi, le garçon de café s’invente une essence qui le soulagerait de sa liberté, mais ce n’est qu’une illusion qui tombe car la conscience ne disparaît jamais : je sais que je joue à être garçon de café.
La théorie de la mauvaise foi pose une thèse très forte sur l’existence : l’homme est un être plein de néant, mais il veut être l’être. La mauvaise foi renvoie à ce déchirement de la condition humaine, prise entre une liberté angoissante (néant) et une chosification réconfortante mais mystificatrice (être).
Je me permets d’indiquer qu’une récente étude fait le point sur la notion de mauvaise foi tant dans la pensée philosophique que dans la littérature. Il s’agit de l’essai de Maxime Decout, “En toute mauvaise foi” (Minuit, 2015). On y découvre comment la littérature a amplement abordé un sujet qui la concerne plus que les autres formes de pensée puisque son discours, qui prétend faire être ce qui n’est pas et ne pas être ce qui est, est lui-même un discours de mauvaise foi. Convoquant Sartre, Rousseau, Laclos, Blanchot, Gary, Perec, Molière, Dostoïevski, Sarraute, Montaigne, l’essai, vif et drôle, nous montre comment la littérature a su inventer des mauvaises fois que le théoricien de l’existentialisme n’avait pas imaginé. Une sorte de littérature appliquée à l’onto-phénoménologie plutôt que l’inverse. Très stimulant.
Quelle explication alambiquée… Le serveur, il a juste envie de rentrer chez lui, mais il peut pas, il a besoin de l’argent, et des pourboires, donc il joue son rôle. Quelle drôle d’idée de penser qu’il est libre… Il aurait du mieux lire Spinoza.
Je suis de l’avis de Julien Colot. Le pauvre garçon est là pour gagner sa vie et doit faire son travail le mieux qu’il peut comme le ferait le peintre en bâtiment avec son pinceau.
Sartre qui s’asseyait toujours au même endroit “aux Deux Magots” s’imaginait probablement être un homme important comme son entourage s’y employait à l’en convaincre. Le petit employé savait aussi que l’auteur était connu mais il en avait que faire. Il a seulement le besoin crucial de travailler.
Sartre, qui s’asseyait toujours au même endroit “aux Deux Magots” , était aussi de mauvaise foi.
Nous le sommes un peu tous, la vie en société affectant nos comportements en société.
S’il était seul dans le restaurant, le serveur serait moins gandé, plus “ad rem”
Il pourrait faire ce métier attentif à son être en dévoilement la dictature du « on »l’emprisonne dans la facilité du rôle , il EST loufiat comme ON est loufiat