La Phénoménologie de l’Esprit (Hegel)

La Phénoménologie de l’Esprit, ou l’aventure de la conscience

La Phénoménologie de l’Esprit de Hegel, publiée en 1807, est fondée sur une intuition philosophique précieuse : la conscience n’est pas une institution achevée, elle se construit, se transforme pour devenir autre qu’elle-même. A partir de cette intuition, Hegel retrace l’épopée de la conscience au travers de ses différents stades, l’évolution de la conscience, depuis la conscience sensible jusqu’à l’esprit absolu. La Phénoménologie de l’Esprit est ainsi l’histoire de la conscience dans le monde vécu. La philosophie de Hegel est une phénoménologie dans la mesure où il s’intéresse au monde tel qu’il apparaît pour une conscience, depuis la conscience naïve jusque la raison. Cette science des phénomènes vise à dégager l’essence des choses du monde.

Dans un geste vertigineux, Hegel, qui commence à écrire cet essai à vingt-sept ans, tente de décrire et de définir toutes les dimensions de l’expérience humaine : la connaissance, la perception, la conscience et la subjectivité, l’interaction sociale, la culture, l’histoire, la morale et la religion. A travers La Phénoménologie, il formera un système philosophique clos, qui ambitionne de couvrir l’ensemble de l’existence humaine, de répondre à toutes les questions sur l’homme, le monde et Dieu.

La difficulté de ce livre réside dans sa langue, ardue, puisque Hegel a dû créer une nouvelle terminologie pour échapper à la sémantique idéaliste utilisée par Kant.

La méthode développée par Hegel sera celle de la dialectique, qui consiste à penser les contradictions et à les dépasser via une nouvelle phase, celle de la synthèse. Cette méthode dialectique sera décisive dans l’histoire de la philosophie et influencera Husserl, Sartre et surtout Marx, qui pensera l’histoire économique et sociale à l’aune de la dialectique hégélienne.

La Phénoménologie de l’Esprit est structurée en deux moments :

– l’approche a-historique : les aventures de la conscience et le passage à la conscience de soi (chapitres 1 à 5)

– l’approche historique : la réalisation de la raison, au travers l’esprit, la religion et le savoir absolu (chapitres 6 à 8 ). Pour plus de détails, voir l’article sur l’histoire chez Hegel.

Phénoménologie de l’Esprit, chapitres 1 à 3: La Conscience

Hegel tente de cerner la nature et les conditions de la connaissance humaine dans ces trois premiers chapitres. Il affirme que l’esprit ne semble pas comprendre les objets du monde, en accord avec Kant, pour qui la connaissance n’est pas la connaissance des “choses en soi”.

Alors que Kant a une vision individualiste de la connaissance, Hegel pose une composante collective pour la connaissance. En fait, selon Hegel, une tension existe entre l’acte individuel de connaître et l’universalité des concepts liée à cet acte. L’acte individuel désigne un premier moment, celui de la certitude sensible, désigne la tentative de l’esprit pour saisir la nature d’une chose. Cette impulsion se heurte à l’exigence de concepts universels, autrement dit que des personnes différentes puissent comprendre ces concepts. Cette exigence conduit au deuxième mode de conscience, la perception. Avec la perception, la conscience, dans sa recherche de la certitude, fait appel à des catégories de pensée et une langue communes.

La conscience est toujours tiré dans deux directions différentes. Nos sens nous renseignent sur le monde, et les catégories donnent un sens au monde. L’inadéquation entre les sens et les catégories crée un sentiment d’incertitude, de frustration qui conduit au scepticisme, c’est-à-dire à la suspension du jugement. La conscience se place donc dans un processus d’apprentissage, qui est le troisième et le plus élevé mode de la conscience.

Phénoménologie de l’Esprit, chapitre 4: La Conscience de Soi

Hegel déplace son analyse de la conscience en général vers la conscience de soi. Dans la lignée des idéalistes, Hegel postule que la conscience des objets implique nécessairement une certaine conscience de soi, autrement une séparation entre le sujet et l’objet perçu. Mais Hegel va plus loin et affirme que les sujets sont aussi des objets pour d’autres sujets. La conscience de soi est donc la prise de conscience d’un autre de la conscience de soi. Pour le dire autrement, on devient conscient de soi-même à travers les yeux d’un autre. C’est la fameuse lutte pour la reconnaissance. Altérité et pure conscience de soi s’opposent dans une “lutte à mort” pour la reconnaissance.

Voir l’article sur la dialectique du maître et de l’esclave

Phénoménologie de l’Esprit, chapitres 5 à 8 : Esprit et Savoir Absolu

A la fin du chapitre 4, Hegel décrit la «conscience malheureuse», résultat de la négation du monde et de la conscience religieuse, elle-même produit de la peur de la mort. La religion, selon Hegel, est souvent vue comme refuge à l’échec de la reconnaissance du sujet par autrui : en se tournant vers un être transcendant (Dieu), on peut prendre le confort dans un être qui existe uniquement en soi, plutôt que dans une lutte pour la reconnaissance entre les êtres. Ce virage vers un être transcendant résulte de la tentative initiale de la conscience de saisir la nature de l’objet.

Comme Kant, Hegel pense que la raison conduit la conscience pour adapter à des phénomènes particuliers des catégories universelles. Toutefois, ce processus n’est pas lisse et comporte toujours un élément d’incertitude et d’imprécision, puisque les objets existent dans une gamme de de variations telles qu’il est difficile de les faire correspondre à des catégories universelles. Ainsi, dans la mesure où la conscience est orientée vers les catégories stables de la pensée, il est aussi conscient d’un ensemble de normes régissant la façon dont les phénomènes se conformer à ces catégories. Ces normes, ou lois de la pensée, ne résident ni dans les objets, ni dans l’esprit, mais dans une troisième dimension, dans le “tout social organisé”. Pour chacun, la conscience de soi appartient à la conscience de soi collective. Les lois de la pensée, de la morale et les conventions appartiennent à la vie sociale. Cet ensemble de lois régissant la conscience collective, Hegel le nomme « Esprit ». . L’Esprit est le lieu de l’ordre éthique, des lois et des coutumes. Les individus interprètent et agissent selon les lois et coutumes de manière individuelle, mais ils le font dans le respect de cet esprit communautaire. La vie éthique a deux manifestations. Tout d’abord, elle est le fondement des actions des individus. Deuxièmement, elle s’extériorise dans ce qu’on appelle la culture et la civilisation. Ces deux moments de l’esprit éthique, ou vie éthique, sont en tension l’un avec l’autre. Les Lumières, par exemple, s’exprime par l’individualisme, mais dans sa forme la plus extrême, l’individualisme se traduit par le despotisme et le terrorisme politique.

La prochaine étape dans le développement de la conscience est la religion. La religion est essentiellement un esprit collectif conscient de lui-même, et comme tel il reflète l’expression d’une culture donnée de la vie éthique et l’équilibre entre individuel et collectif. Hegel décrit différentes phases dans le développement de la religion, dont les reflets sont : l’art, le mythe et le drame. Mais la religion n’est pas le stade suprême de la conscience. Cette sphère est réservée pour le Savoir absolu. C’est dans le savoir absolu que l’esprit devient conscient de ses limites et cherche à corriger ses contradictions et ses insuffisances pour passer à un niveau supérieur de compréhension. Le Savoir Absolu est l’engagement conscient et critique avec la réalité. Il est le point de vue de la science et le point de départ de l’investigation philosophique.

Conclusion sur la Phénoménologie de l’Esprit :

A l’issue de cette épopée, Hegel a forgé une science de la conscience, lui permettant de passer du stade de l’enfance (la conscience sensible) à l’âge adulte (la conscience de soi). La conscience parvient au savoir absolu lorsqu’elle sait qu’elle sait, lorsqu’elle pense son temps et son monde et qu’elle agit sur eux au lieu de les subir. Au fond, chez Hegel, la conscience est complète lorsqu’elle atteint le stade philosophique.

Citations extraites de la phénoménologie de l’esprit :

  • Puisqu’il est nécessaire que chacune des deux consciences de soi, qui s’oppose l’une à l’autre, s’efforce de se manifester et de s’affirmer, devant l’autre et pour l’autre, comme un être-pour-soi absolu, par là même celle qui a préféré la vie à la liberté et qui se révèle impuissante à faire, par elle même et pour assurer son indépendance, abstraction de sa réalité sensible présente, entre ainsi dans le rapport de servitude
  • Chacun tend à la mort de l’autre
  • Car si la connaissance est l’instrument pour s’emparer de l’essence absolue, il vient de suite à l’esprit que l’application d’un instrument à une chose ne la laisse pas comme elle est pour soi, mais introduit en elle une transformation et une altération.

Voir aussi les citations de Hegel.

Plan de la Phénoménologie de l’Esprit :

Préface et Introduction

CONSCIENCE

I. La certitude sensible

II. La Perception

III. Le Phénomène. Force et Entendement

CONSCIENCE DE SOI

IV. LA VÉRITÉ DE LA CERTITUDE DE SOI-MÊME

I. La conscience de soi, en soi.

II. La vie

III. Le moi et le désir

A. DOMINATION ET SERVITUDE

I. La conscience de soi doublée

II. La lutte des consciences de soi opposées

III. Maître et esclave

a) La domination

b) La peur

C) La culture

B. STOÏCISME, SCEPTICISME ET CONSCIENCE MALHEUREUSE

Introduction : la pensée

I. Le stoïcisme

II. Le scepticisme

III La conscience malheureuse

a) La conscience changeante

b) La figure de l’immuable

c) Unification de la réalité effective et de la conscience de soi.

1) La pure conscience : l’âme sentante, la ferveur.

2) L’essence singulière et la réalité effective, l’opération de la conscience pieuse. (p184)

3) La conscience de soi parvenant à la raison : la mortification de soi.

RAISON

V. CERTITUDE ET VÉRITÉ DE LA RAISON

I. L’Idéalisme

II. Les catégories

III. La connaissance selon l’idéalisme subjectif.

A. LA RAISON OBSERVANTE

a) Observation de la nature

II. Observation de l’organique

III. L’observation de la nature comme d’un tout organique.

b) L’observation de la conscience de soi (lois logiques et psychologiques)

c) Observation du rapport de la conscience de soi avec sa réalité effective immédiate

d) Conclusion

B. L’ACTUALISATION DE LA CONSCIENCE DE SOI PAR SOI-MÊME

I. Le règne de l’éthique

II. L’essence de la moralité

a) le plaisir et la nécessité

I. Le plaisir

II La nécessité

III. La contradiction dans la conscience de soi

b) La loi du coeur et le délire de présomption

I. Loi du coeur et la réalité effective

II Introduction du coeur dans la réalité effective

III. La révolte ou le délire de présomption.

c) La vertu et le cours du monde

I. Le lien de la conscience de soi à l’universel

II. Le cours du monde comme réalité effective de l’universel

III. L’individualité comme réalité

C. L’INDIVIDUALITÉ QUI SE SAIT ELLE-MÊME RÉELLE EN SOI ET POUR SOI-MÊME

a) Le règne animal de l’esprit et la tromperie (les spécialistes)

I. Le concept de l’individualité réelle

II. La chose même et l’individualité

III. La tromperie mutuelle

b) La raison législatrice

c) La raison examinant les lois

 

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10 Comments

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  10. says: jean BORDES

    HEGEL est abstrait et complexe mais,c’est un immense penseur,et Jean Hyppolite nous le rend
    Parfaitement clair ce qui est inestimable

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