Un des débats les plus récurrents en démocratie est celui de la compétence des citoyens.
La question est la suivante : les citoyens sont-ils assez éclairés pour participer aux décisions politiques ?
Les populistes répondent oui : aucune décision ne doit être prise par les experts. Cette tradition remonte à Aristote (La Politique) Rousseau (Du contrat social bi) et aux penseurs de la démocratie directe en général. Cet argument, d’un point de vue théorique est séduisant et est souvent repris par les politiques démagogiques. Dans les faits c’est absurde et impraticable. Par exemple, les suisses ont fait du référendum loufoque leur spécialité. Aux Etats-Unis, depuis la crise bancaire, même les républicains ont repris cette idée : “Main Street‘ (l’homme de la rue) doit être sauvé de Wall Street.
Cette thèse de l’omnicompétence est une illusion, certaines questions, trop techniques, ne pouvant être tranchées que par des spécialistes formés pour de telles questions. Les exemples ne manquent pas : sur les OGM, les antennes-relais, les normes techniques sur les jouets, qui peut affirmer sérieusement que l’homme de la rue détient la vérité ?
Face aux populistes, les élistes défendent la thèse technocratique de l’incapacité des masses à participer au pouvoir et aux décisions ayant trait aux affaires publiques, en raison de la supériorité des jugements des experts. Ce courant de pensée s’est exprimé depuis Platon (La République) qui défendait une aristocratie du savoir, à travers la théorie du philosophe-roi jusqu’à Walter Lippman (Public Opinion), Pierre Bourdieu (Sur la télévision : voir le billet sur le sujet), ou encore Martin Heidegger (L’être et le Temps) qui faisait du “on” le symbole de la “démocratie d’en bas“. Ces positions, toujours un peu méprisantes à l’égard du peuple, estiment que le pouvoir doit être exercé par les “sachants”, une élite fermée. Ce courant de pensée a laissé libre cours à la critique de la bureaucratie, dont le paradigme est aujourd’hui la Commission européenne.
Une démocratie critique
Entre le scepticisme des bureaucrates et le cynisme des populistes, une voie médiane existe. Car l’irrationalité et l’ignorance du public ne sont ni définitives, ni irrémédiables. Les individus ne sont ni omnicompétents, ni naturellement aptes à juger en toutes choses. Le discernement et la lucidité ne sont pas des propriétés innées, mais acquises tout au long de la vie du citoyen, ils constituent des habitus intellectuels.
C’est ici qu’interviennent les médias et l’école, à qui il revient de construire le sens du jugement critique.