Qu’est-ce que la démocratie d’opinion? Définition et critiques

démocratie d'opinion royal

Qu’est-ce que la Démocratie d’opinion : une définition complexe

Bien sûr, en cette période électorale, la question n’a rien d’innocente, plusieurs candidats étant taxés de sacrer la “démocratie d’opinion“, notamment Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy. Nous ne discuterons pas ici la véracité de ce reproche.

Pourtant, peu parviennent à donner un sens à cette expression. Cependant essayons de prendre ensemble du recul. Un auteur contemporain allemand, Jürgen Habermas a répondu à la question de la démocratie d’opinion. Dans un ouvrage, L’espace public, il nous donne quelques clés pour définir les contours de cette désormais fameuse “démocratie d’opinion” en passant en revue toutes les évolutions de la démocratie depuis le 18ème siècle.

Emprise des sondages

Le Parlement, c’est-à-dire l’Assemblée et le Sénat, soutient Habermas, a subi une évolution majeure. D’organes du public, ils se sont autonomisés au point de ne plus servir les intérêts des citoyens. L’introduction du marketing, de la communication et des relations publiques en politique témoigne du glissement du citoyen au consommateur, puisqu’il consiste à établir des techniques de séduction et d’influence du comportement de l’électeur. Les campagnes ne sont alors plus des luttes d’opinion, mais des luttes d’influence et de manipulation. Les partis se sont transformés en vendeur de programmes et ne s’appuie, non sur l’opinion publique, mais sur l’opinion non-publique (= privée), recueillie grâce aux méthodes d’échantillonnage, élaborées par le marketing politique, qui est un artefact grossier de l’opinion publique. Toujours est-il que l’emprise des médias et des sondages correspond à ce que nombre d’auteurs nomment la « démocratie d’opinion ».

Cette notion désigne la tendance de la démocratie à se faire directe et individualisée. La publicité (au sens de Kant) moderne, au contraire, fonde le caractère représentatif des démocraties, c’est-à-dire fonde le débat. La démocratie d’opinion, considéré par ses partisans comme une forme de plus-value démocratique, est en réalité la forme dégénérée de la démocratie car elle entend comme légitime que chaque membre du corps politique soit omniprésent dans l’espace public : tout le monde doit tout savoir pour avoir un avis sur tout. L’information, dans le modèle de la démocratie d’opinion, entend être totale, les individus capables de s’exprimer sur tous les sujets, le pouvoir exposé en permanence dans l’espace public. Les défenseurs de la démocratie d’opinion font des sondages le principal levier d’action du politique. Ainsi, Monique Dagnaud, ex-membre du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA), affirme que « les sondages interviennent comme garde-fou, comme instrument de bord dans le pilotage gouvernemental » .

Politique et opinion publique

La démocratie d’opinion s’ajuste sur les sondages, lesquels ne sont qu’une représentation faussée de l’opinion publique, une pure somme des opinions privées. Et quand bien même seraient-ils fidèles à la réalité de l’opinion publique, il reste à se demander si l’action politique peut s’indexer, de manière immédiate, sur elle. Est-il possible et souhaitable que l’action politique s’ajuste sur l’opinion publique ? Derrida répond doublement non :

« Celle-ci [la représentation politique] ne lui [l’opinion publique] ne sera jamais adéquate, elle respire, délibère et décide à d’autres rythmes. On peut aussi redouter la tyrannie des mouvements d’opinion. La vitesse, ‘’au jour le jour’’, même dans la ‘’longue durée’’, affecte parfois la rigueur de la discussion, le temps de la ‘’prise de conscience’’, avec des retards paradoxaux de l’opinion sur les instances représentatives » .

Ainsi, la démocratie d’opinion, consacrant le principe de transparence, s’oppose à la démocratie représentative, fondée sur le principe de publicité. Dans un brillant article sur la démocratie d’opinion, Olivier Mongin, dans un article publié par la revue Esprit concluait à sa double nocivité : « en raison de l’illusion qu’elle laisse planer d’une société qui se connaîtrait mieux elle-même d’une part, et en raison de la mise à mort de l’action politique qu’elle provoque d’autre part » . Avec la démocratie d’opinion, le public perd sa fonction critique pour adopter un comportement acclamatif, a-politique, il n’est, à vrai dire, plus un public, mais une masse passive. Habermas dit de l’opinion publique qu’elle est devenue

« l’instance ‘réceptrice’ de la publicité de démonstration et de manipulation, vantant des biens de consommation, des programmes politiques, des institutions » .

Démocratie d’opinion et dépolitisation

L’opinion publique s’est ainsi dépolitisée pour devenir consumériste et attentiste. Le regroupement des personnes privées en public n’a plus pour fonction de participer au pouvoir, mais d’acclamer les organisations, privées ou publiques, qui se substituent à lui. Il n’assure plus la médiation entre la société et l’Etat, puisque ce rôle est assigné aux partis et aux associations. La communication n’est plus horizontale, c’est-à-dire entre membres du public, qui permettait la discussion, mais uniquement verticale et non-réciproque, allant du pouvoir vers le public, ce qui entraîne la manipulation. Le public s’est donc vassalisé, lié au pouvoir, au lieu de s’y opposer.

En résumé, la démocratie d’opinion désigne un modèle de régime dans lequel la transparence doit être totale, mais elle a pour contrepoids l’exposition permanente du public des citoyens, avec les risques de manipulation qu’il en résulte. La démocratie d’opinion est le contraire de la démocratie délibérative.


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6 Comments

  1. says: Anonymous

    Les nuances de la pensée d’Habermas sur la démocratie d’opinion me paraissent secondaire à côté du seul fait qui fait problème : La France est beaucoup trop centralisée et donne beaucoup trop de responsabilités à un gouvernement et à son chef qui va y perdre la santé en accumulant les mécontentements qui vont en faire un petit dictateur, remplacé bientôt par une agréable séductrice qui se heurtera au même problème dans la durée.Et son côté dictateur n’a pas l’air plus tendre !La vérité est dans la décentralisation régionale du pouvoir politique! Et la possibilité de discussions à taille locale avant les prises de positions qui respectent le temps de la maturation .Imaginez la variété et la richesse des réponses au problème de la création artistique sur internet dans la mosaïque régionale !Ne laissons pas faire les députés, vassaux régionaux du pouvoir central des gens parfois très dévoués qui expriment eux aussi leur révolte de temps à autre sans trop savoir pourquoi. Que les Régions s’emparent enfin vraiment du pouvoir de décision sur tous les sujets pour introduire une politique réaliste et généreuse à taille humaine ! On en a assez des”super héros” parisiens qui restent loin de nous malgré la télé!martin

  2. says: Anonymous

    Réponse à Martin : le démocratisme ou la démocratie d’opinion (comme le défend l’auteur) prétend décentraliser, donner la parole à tout le monde au nom de la compétence des citoyens. Mais comme le disait Tocqueville, il faut maintenir les corps intermédiaires, ne pas abandonner la sphère privée à l’Etat.La démocratie représentative est l’ennemie de la démocratie d’opinion.Le démocratisme est toujours démagogique.

  3. says: Anonymous

    Pourquoi systématiquement opposer démocratie représentative, démocratie d'opinion et démocratie délibérative ? avec la démocratie participative, ce ne sont que des facettes complémentaires et non opposées de la démocratie tout court.Etre libre de penser, d'avoir son opinion, de la partager, d'en délibérer et de la soumettre au vote pour dégager la plus forte représentation, tout ça doit former un tout.De toutes manières les démocraties participative, délibérative et représentative n'ont de sens et de valeur que lorsqu'elles font appel au plus grand nombre.

  4. says: Jean-Claude Capt

    Aujourd’hui et nettement plus que par le passé, c’est l’économie qui fait la loi ! Et les sociétés sont fonctionnellement et désormais adaptées à ses besoins, et ses projets à elle. C’est-à-dire que les sociétés humaines modernes, sont d’abord et avant tout, influencées par leurs propres structures économiques les plus prépondérantes. Le reste est devenu du domaine du songe-creux.
    La seule chose que je redoute c’est le retour d’une monarchie. Une philosophie proposée comme une “recette dogmatique fonctionnelle” c’est toujours quelque chose qui “oublie” d’évoluer avec la société ? Le droit de vote devrait être donné qu’a celles et ceux qui en feraient la demande écrite, avec l’obligation de voter, même pour s’abstenir.

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