I. Qu’est ce que la religion ?
Religion et société
Du latin religio, son étymologie est à dissocier. Elle a trait à la pratique religieuse, au culte. Elle vient du verbe relegere, qui signifie recueillir, rassembler ou religare qui signifie lier, attacher. La religion est une réalité sociale. Elle a pour fonction de rallier toutes les individualités, de constituer le lien qui unit les membres d’une même communauté ou d’une collectivité fondée sur des croyances et des rites. Pour un sociologue comme Emile Durkheim, rites et mythes expriment la conscience qu’un groupe a d’être une réalité “débordant les individus de toutes parts” et le sacré est la forme que prend la conscience collective, comme dans le totem (mot des indiens Algonquin), être mythique, animal et végétal, associé à un clan et qui fait l’objet d’un culte rituel.
Mais la religion ne relie les hommes entre eux qu’en les reliant à une réalité d’un autre ordre, supérieure, surnaturelle, intelligible pour l’esprit humain. Cela a pour effet de forger la croyance de l’être humain de faire partie intégrante d’un tout qui le dépasse. Cette autre réalité est celle de la divinité, sentie primitivement comme une force immanente à la nature ; puis représentée comme un panthéon d’image personnelles formant un monde des dieux anthropomorphisés à l’image des sociétés humaines naissantes et enfin, comme le Dieu spirituel transcendant des monothéismes. Or ce qui est divin est sacré et le sacré est ainsi l’essence du fait du religieux.
Le sacré
Le sacré vient du latin sacer : ce qui est “séparé”. Toute religion sépare les phénomènes du réel et les éléments qui la compose comme l’espace social, le temps, les êtres, les choses, en deux réalités distinctes : ce qui est consacré, inviolable, réservé aux initiés comme le temple ( en latin fanum) et tout le reste par opposition, qui est profane ( pro fanum : devant le temple). Le sacré est ambivalent, car il marque également les interdits jetés par le culte sur ce qui ne peut être touché sans souillure. Le mot polynésien tabou évoque un objet d’une prohibition dont la transgression entraine un châtiment surnaturel. La vénération d’une puissance divine et le respect des interdits qu’elle impose sont liés à la religion.
Le sacré est donc à la fois fascination et effroi, vénération et crainte : le Dieu d’amour peut aussi être terrible et susciter la terreur. Le sens du sacré, c’est le sentiment absolu de la dépendance de l’homme par rapport à une puissance qui le dépasse infiniment et qui seule donne sens à son existence.
Mythes et rites
Selon Cicéron, religio viendrait du verbe latin relegere ( recueillir) qui s’oppose à neglegere, comme le soin et le respect s’opposent à la négligence. Un rite est l’ensemble des règles codifiées qui caractérisent un culte religieux, et dont les traits fondamentaux sont l’ordre et la répétition. Répétions des phrases des gestes, de gestes dans les cérémonies, mais aussi répétition des évènements que raconte le mythe, des évènements qui ont eu lieu dans le temps des origines et dont dépendent, dans les sociétés traditionnelles, l’ordre du monde et l’ordre humain.
Les cultes assurent la communication de l’homme avec le divin, voire sa participation au principe divin et exigent des prêtres investis du sens du sacré, et des cérémonies rituelles. L’une des formes fondamentales du rapport au sacré est le sacrifice ( en latin sacrum facere, faire sacré). Comme l’ont remarqué de nombreux théoriciens, la violence contre une créature innocente, mélange de souillure et de pureté est à l’origine des religions, comme si la société exorcisait sa propre violence en la mettant hors d’elle, à distance : en tant que sacrée.
Mais comme en témoigne le récit biblique, le bouc émissaire, envoyé dans le désert, porteur des péchés des hommes, ou le bélier du sacrifice d’Abraham a remplacé les victimes humaines, puis la spiritualisation des religions a condamné toute pratique du sacrifice autre que ces sacrifices personnels auxquels on consent pour se rapprocher de Dieu. A la différence des religions de la Nature, où les hommes communiquent avec des forces occultes garantissant l’ordre cosmique, les religions de l’Esprit croient à la révélation dans l’histoire d’une réalité spirituelle, étrangère à la nature, qui se manifeste aussi à l’esprit de l’homme. Le rite alors commémore un évènement par lequel l’histoire humaine prend son sens : le Noël chrétien, la Pâque juive ou l’Aïd musulman ; le récit liturgique, lu et chanté dans des cérémonies religieuses, est la parole par laquelle l’Esprit se révèle aux hommes.
La croyance et la foi
Croire et savoir
Si pour nous modernes, une religion relève avant tout de la croyance, c’est que l’expérience intérieure y a pris une place essentielle et que nous avons appris à séparer radicalement savoir objectif et croyance. L’argumentation rationnelle peut nous prémunir contre toutes les croyances irrationnelles comme la superstition ou la magie, qui relève, qui relève d’un déficit, d’un défaut de raisonnement. L’incantation ou la pratique magique, par exemple, prétendant agir sur la nature par des moyens occultes, en faisant l’économie du déterminisme naturel ; c’est croire sans savoir, au delà de ce que l’on peut savoir. La foi religieuse n’est pas la croyance en la magie dans laquelle l’homme prétend dominer Dieu par ses prestiges. C’est pourquoi beaucoup de religions considèrent la magie ou la divination comme sacrilèges.
La foi
Loin de soumettre les forces divines à sa volonté, l’homme religieux se fait humble devant Dieu. La prière est soumission et ne demande que le courage de supporter la volonté divine. La foi est la confiance absolue que l’homme met en Dieu, au delà de toute justification rationnelle ou morale. C’est pourquoi Pascal écrit : “Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point”.
Dans la Bible, Abraham est prêt au sacrifice moralement absurde de son fils. Un sacrifice scandaleux par lequel Dieu le met à l’épreuve : il lui a promis de bénir toute sa descendance et lui demande de sacrifier son unique fils, son espérance. Contre toute raison, dans l’angoisse, Abraham croit en la promesse. Il est celui qui témoigne de la foi. Il ne se sert pas de Dieu pour avoir un fils, mais veut un fils pour servir Dieu.
La religion morale
La religion peut donc être conçue en ce sens comme un accomplissement moral supérieur, d’une sainteté. Déjà pour Kant, “la religion est la connaissance de tous nos devoirs comme commandements divins”. La loi morale prime sur tout absolument. C’est relativement à elle que les grandes figures religieuses acquiert une valeur. Le Christ est un modèle moral et les croyances religieuses expriment par des symboles l’idée que se fait la raison de l’idéal moral qu’elle doit atteindre.
La religion naturelle que l’on trouve chez des philosophes du XVIIIème siècle comme Hume ou Rousseau, prétend à une connaissance du divin indépendante de toute révélation, par la seule lumière naturelle de la raison et de la conscience. Elle est ce qui subsiste du religieux quand la raison a critiqué l’obscurantisme et l’intolérance des religions révélées. Mais elle ne renvoie en fait à aucune expérience immédiate réelle. Or toutes les grandes religions ne renvoient à aucune expérience immédiate réelle. Or, toutes les grandes religions sont issues d’une révélation : elles ont leurs prophètes et leurs textes sacrés.
L’homme réduit à ses seules forces ne peut construire cette relation avec Dieu qu’est la religion. Pourtant, les formes de la vie sociale et l’individualisme contemporains donnent parfois l’impression de ne pas faire de la religion que l’une des multiples affirmations de l’individualité : multiplication des courants religieux, caractère non contraignant des pratiques et des croyances ( on croit au paradis mais pas à l’enfer). Mais s’agit-il encore de religion ?
La critique de la religion
La détresse et l’impuissance de l’homme
Les philosophes ont d’abord reproché à la religion, la crainte superstitieuse et la faiblesse dans lesquelles elle risque de maintenir les hommes. Libérer les hommes de la criante des dieux est l’un des buts de la morale épicurienne. Pour Epicure, en effet, les dieux sont des êtres matériels, bienheureux qui ne se préoccupent pas de la vie des simples mortels. Il n’y a pas de Providence, pas de destin, donc rien à redouter d’eux. Le véritable mal est la crainte des dieux elle-même et la connaissance philosophique peut nous en libérer. Spinoza met à jour la racine de l’illusion religieuse, l’anthropocentrisme et la croyance aux causes finales : l’homme a tendance à croire que tout existe en vue de lui-même et que Dieu, à l’image de l’homme, agit en vue de fins. Il se dispense dans la connaissance scientifique des véritables causes en se refugiant dans “la volonté de Dieu, cet asile d’ignorance” comme l’écrit Spinoza dans l’Appendice au livre I de l’Ethique.
Enfin, Freud voit en Dieu le substitut imaginaire du père protecteur de notre enfance, aidant l’homme incapable d’affronter la réalité de sa condition à surmonter sa détresse infantile. Quant aux rites, ils ressemblent à ces compulsions de répétition dont souffrent certains névrosés, ce qui amène Freud à concevoir la religion comme ”la névrose obsessionnelle” de l’humanité.
Le philosophe allemand Feuerbach voit en Dieu l’esprit de l’homme, son essence morale objectivée, mise à distance de lui-même sous la forme séparées d’un être transcendant. Pour réaliser sa propre essence dans l’Etat, l’homme doit supprimer l’aliénation religieuse. La critique de Marx va plus loin. La religion est une forme de l’idéologie, et donc le reflet déformé des conditions d’existence sociales des hommes et l’instrument de conservation des rapports de domination. L’homme opprimé exprime dans la religion sa volonté d’un monde meilleur, mais, en le projetant dans un au-delà imaginaire, il s’interdit de transformer réellement ses conditions matérielles d’existence.
La critique de Nietzsche est plus radicale encore. La croyance des faibles, des vaincus de la vie en des “arrières-mondes” relève du ”ressentiment” d’hommes malades dont les instincts vitaux se sont retournés contre eux-mêmes et contre les forts. Cette dévaluation de la vie s’achève dans le nihilisme des sociétés moderne où les hommes ne croient plus en rien : c’est “la mort de Dieu” ; le stade ultime du nihilisme qu’il faut dépasser. L’homme libéré des entrave de la religion, qui veut la vie, c’est le “surhomme”, l’homme de la volonté de puissance et des forces créatrices, affirmatives.
Le désenchantement du monde ?
Le sociologue Max Weber a appelé “désenchantement du monde” le recul de la religion dans nos sociétés contemporaines. Mais il faut distinguer l’athéisme et la critique de la religion comme positions intellectuelles de l’irreligion ordinaire de nos sociétés qui est, comme Alain l’a remarqué, une acceptation commode du règne de l’intérêt et de la force, une abdication de toute pensée. En fait la religion n’a pas disparu de nos sociétés, même celles qui ont prétendu l’éradiquer ; pas plus que le besoin de sacré, qu’on trouve dans l’art comme forme moderne de la transcendance ou dans des représentations ou des valeurs qui sont momentanément érigées en absolu : le progrès, l’histoire, la nation.
Le besoin de religieux témoigne de l’effort des hommes pour savoir le sens de leur existence et les valeurs qui la justifient. On peut penser que ”l’Homme-Dieu” est désormais la source de toutes les valeurs, on peut aussi penser qu’il est impossible de renoncer à donner un sens religieux à l’existence humaine. “Il est difficile d’imaginer comment l’esprit humain pourrait fonctionner sans la conviction qu’il y a quelque chose d’irréductiblement réel dans le monde ; et il est impossible d’imaginer comment la conscience pourrait apparaître sans conférer une signification aux impulsions et aux expériences de l’homme” dit l’historien des religions Mircéa Eliade dans La Nostalgie des origines.
En résumé
L’unité du religieux s’exprime dans la notion de sacré qui recouvre des réalités extrêmement différentes, mais repose toujours sur l’idée que l’espace social ordinaire ne saurait rendre compte à lui seul du sens de l’existence de l’homme et du monde. Dans le religion, l’homme se sent relié à une réalité d’un autre ordre, objet de vénération et de crainte à la fois. la pensée rationnelle peut chercher à expliquer et à dénoncer l’origine de l’illusion religieuse. Mais il n’est pas sûr qu’elle parvienne totalement à comprendre ni à satisfaire en l’homme le besoin du sacré, la quête du sens de son existence.
Définitions de la religion par les Philosophes :
– Hegel :
« La religion représente l’esprit absolu non seulement pour l’intuition et la représentation, mais aussi pour la pensée et la connaissance. Sa destination capitale est d’élever l’individu à la pensée de Dieu, de provoquer son union avec lui et de l’assurer de cette unité. La religion est la vérité, telle qu’elle est pour tous les hommes. L’essence de la véritable religion est l’amour. » (Analyse de la Phénoménologie de l’Esprit)
[ad#ad-5]– Gandhi :
« Si un homme atteint le cœur de sa propre religion, il atteint également le cœur des autres religions. »
– Marx :
« La religion est le soupir de la créature accablée, le cœur d’un monde sans cœur, comme elle est l’esprit d’une époque sans esprit. Elle est l’opium du peuple. »
[ad#ad-5]« La religion est la théorie générale de ce monde, sa somme encyclopédique, sa logique sous forme populaire, son point d’honneur spiritualiste, son enthousiasme, sa sanction morale, son complément solennel, sa consolation et sa justification universelles. Elle est la réalisation fantastique de l’être humain parce que l’être humain ne possède pas de vraie réalité. »
– Tolstoï :
« La vraie religion, c’est, concordant avec la raison et le savoir de l’homme, le rapport établi par lui envers la vie infinie qui l’entoure, qui lie sa vie avec cet infini et le guide dans ses actes. »
– Baudelaire :
“Quand bien même Dieu n’existerait pas, la religion serait encore sainte et divine” (citations de Baudelaire)
– Lamartine :
“Dieu n’est qu’un mot rêvé pour expliquer le monde”
cool comme travail
Marx :
« La religion est le soupir de la créature accablée, le cœur d’un monde sans cœur, comme elle est l’esprit d’une époque sans esprit. Elle est l’opium du peuple. »
Avec le développement de la technologies et des sciences, il y aurait peut être matière à penser à une nouvelle cosmologie religieuse que le philosphe n’avait pas lorsqu’il était éclairé à la chandelle.
Peut-être je ne sais pas