Sartre et Autrui

sartre intersubjectivite

Autrui, ce moi qui n’est pas moi (Sartre)

La question de l’intersubjectivité est au coeur de la philosophie Sartrienne. Sartre pose en effet les questions suivantes : autrui est-il synonyme de liberté ? Est-il consubstantiel au monde ? Puis-je exister sans autrui ? Quels peuvent être la nature des rapports à l’autre ?

Sartre, le corps et la honte :

Chez Sartre, l’intersubjectivité passe par la médiation du corps :

La nature de mon corps me renvoie à l’existence d’autrui et à mon être-pour-autrui. Je découvre avec lui, un autre mode d’existence aussi fondamental que l’être-pour-soi et que je nommerai être-pour-autrui” (L’Etre et le Néant).

Et c’est le sentiment de la honte qui fait surgir autrui dans le monde. La honte est conscience de honte. Sartre donne l’exemple du voyeur espionnant par le trou de serrure. Tout entier dans son action, le sujet ne réalise pas son geste, il ne conscientise pas. Or, d’un coup, sans comprendre pourquoi, il devient conscience honteuse car il imagine quelqu’un qui le voit. Autrui le force à se voir tel qu’il est :

La honte est honte devant quelqu’un … Autrui est le médiateur indispensable entre moi et moi-même : j’ai honte de moi tel que j’apparais à autrui” (L’Etre et le Néant).

Autrui et le regard :

Le premier scandale que constitue l’existence d’autrui pour la conscience est qu’on rencontre autrui, donc qu’on ne le constitue pas (alors que c’est le cas des tous les autres étants du monde).  Deuxième scandale : autrui me fige, il est celui qui me regarde, qui me rend objet :

J’ai un dehors, j’ai une nature; ma chute originelle, c’est l’existence de l’autre” (L’Etre et le Néant).

Dans Huis Clos, la relation Garcin/Ines illustre cette thèse : Garcin explique à Ines qu’il est la foule, le regard de toute l’humanité sur elle.

Face à ce regard objectivant, le conflit est la seule issue (le solipsisme étant à bannir selon Sartre, qui prend acte de la pluralité des consciences).

Le corps d’autrui

Avant de parler de la nature de ce conflit, revenons au corps, au corps du sujet. Selon le penseur existentialiste, la conscience existe son corps, la facticité que la conscience subit. Mais le corps existe aussi pour autrui sur le mode de la chair (“Leib” chez Husserl). La chair désigne ce corps vécu, contrairement au corps physique (sans conscience, comme celui d’un cadavre) : “Autrui se dévoile à moi comme le sujet pour lequel je suis un objet

Relations à autrui

Deux modes de relations à autrui sont possibles : soit je cherche à utiliser autrui comme sujet pour fonder mon être, soit je cherche à détruire autrui comme liberté.

Dans le premier cas, je m’adresse à autrui en tant qu’il est un sujet : je cherche à le séduire sans sa transcendance, à obtenir de lui qu’il me veuille librement comme limitation de sa propre liberté; je cherche à me faire aimer de lui; s’il m’aime, il va me fonder comme une sorte d’absolu.

Dans le second cas, autrui est sujet : je cherche à le saisir, à l’emprisonner dans sa facticité, dans son corps.

Dans les deux cas, je cherche à me désaliéner, à recouvrer ma pleine liberté. Autrui doit être vaincu.

1/ Autrui comme sujet

Dans l’amour, par exemple, on cherche à être l’élu : par là, on est plus de trop dans l’existence, on est justifié. Mais pour cela, l’amour doit être réciproque. Mais une fois que je suis aimé, autrui m’éprouve à nouveau comme subjectivité. L’amour est donc une passion inutile sur le plan ontologique car c’est nécessairement un échec. L’amour renvoie à la volonté du Pour-soi d’être En-soi.

Le masochisme est une autre forme de tentative de sujétion d’autrui. Le masochisme désigne la volonté de s’en remettre à autrui pour me faire exister. Mais là aussi, c’est un échec inéluctable car si je peux devenir objet pour autrui, je ne peux jamais l’être pour moi-même.

Dans l’amour et le masochisme, Sartre voit de l’absurde car rien ne saurait cacher à la conscience sa liberté, sa solitude et son injustifiabilité.

2/ Autrui comme objet

Dans le second cas, l’homme cherche à s’approprier autrui et sa liberté, d’en faire une transcendance transcendée, un objet.

L’indifférence, notamment renvoie à l’attitude de celui qui agit comme s’il était seul au monde, une sorte de solipsisme de fait. La conscience traite alors autrui comme n’existant qu’à peine, comme des moyens. Mais là aussi, l’absence du regard d’autrui renvoie de manière encore plus radicale la conscience à sa solitude, donc à son angoisse. L’indifférent est au dernier stade de l’objectivation puisqu’il est vu sans avoir conscience qu’il est vu. Il s’offre donc à autrui sans avoir de prise, de revanche sur lui.

Le désir sexuel est la deuxième attitude pour tenter d’objectiver autrui. Le désir est une conduite d’envoûtement qui cherche à fixer le corps d’autrui, à le posséder comme un objet. Seulement le désir est un échec car son fin et son terme, le plaisir, renvoie chacun à sa subjectivité.

Les consciences et le conflit :

Ainsi, Sartre défend que l’intersubjectivité prend la forme du conflit. L’essence des rapports, dit-il, n’est pas la coopération, c’est le conflit. La conscience cherche à instrumentaliser autrui pour le fonder dans son être – en faire un être en-soi pour échapper à sa liberté – ou bien à neutraliser sa liberté pour qu’autrui devienne inoffensif.

L’égalité des consciences est une illusion.

 

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9 Comments

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  6. says: YoloSwagOMG

    ”Garcin explique à Ines qu’il est la foule, le regard de toute l’humanité sur elle. ”
    C’est Ines qui regard Garcin

  7. says: Théétète

    Quelle est la différence entre les deux modes du rapport à autrui chez Sartre et les deux figures du maître et du serviteur chez Hegel ? Quand j’en fais un sujet je suis le serviteur, je le fais être en renonçant à ma liberté, et quand j’en fais un objet, je suis le maître, je m’en sers comme moyen matériel

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