Secret et Politique : La politique du secret ou le secret du politique ?
Le secret ruine-t-il la démocratie ? La question des services secrets
Chaque élection, chaque affaire politique (pensons à l’affaire Karachi récemment, ou à Mazarine il y 20 ans) renvoie systématiquement à la place du secret dans l’espace public, auquel on oppose toujours la transparence, devenue la vertu politique absolue. Pour répondre à la question « le secret doit-il avoir part en démocratie ? », revenons sur la position de l’agent secret, dont l’existence se révèle être un symbole de l’ambiguïté démocratique.
Alain Dewerpe, dans une considérable étude intitulée Espion. Une anthropologie historique du secret d’Etat contemporain, défend l’idée selon laquelle la figure de l’espion est paradigmatique de l’ambiguïté de la démocratie, concentrant en lui cette tension du secret et de la publicité. Condamné unilatéralement pour des motifs politiques et moraux au dix-huit et dix-neuvième siècle avant d’être partiellement réhabilité au vingtième siècle, l’espion semble recéler des indices précieux nous permettant de faire de lui un enjeu majeur de la démocratie. En effet, tant à l’intérieur d’un Etat qu’en mission à l’étranger, l’agent secret est l’agent de la révélation mais également le protecteur des secrets : il recherche clandestinement des informations secrètes dans le but de les divulguer. Il découvre tant pour cacher que pour révéler.
Espionnage et Diplomatie : L’espion et la politique extérieure
Cependant, si la tâche de l’espion est la même dans l’ordre interne et dans l’ordre externe des Etats, il ressort que les deux logiques sont à distinguer. De fait, dans les rapports entre Etats, la question qui occupe la démocratie peut se formuler de la manière suivante : d’une part en temps de paix, faut-il appliquer une diplomatie manifeste, claire pour les autres Etats et condamner la diplomatie secrète, et d’autre part en temps de guerre, faut-il proscrire le recours à l’espionnage comme relevant de pratiques « anormales » ? En temps de paix, il est évident que le refus de la diplomatie secrète n’a pas aboli le secret entre Etats, mais l’a simplement déplacé aux services spéciaux. C’est aux espions qu’ont été déléguées les fonctions occultes de la diplomatie. En ce sens, si les figures du diplomate et de l’espion s’opposent, le premier étant officiel, le second occulte, elles apparaissent complémentaires dans la politique extérieure des Etats, organisant ce que Dewerpe appelle le « secret d’Etat international ». En temps de guerre, et de manière plus certaine encore, l’espion gère cette guerre du savoir et de l’information qui sera la clé de la victoire. Il a pour double rôle de percer à jour les secrets de l’adversaire tout en protégeant ceux de son pays. Ainsi, le secret, et l’espion, comme celui le protège et le divulgue, est la « matrice des guerres contemporaines ». La mise en exergue de l’espion et du secret dans les rapports entre Etats ne conduit pas mécaniquement à accepter la guerre comme le destin inéluctable de ces mêmes rapports : Kant, dans son traité visant à acheminer les Etats vers la paix perpétuelle, reconnaissait la nécessité d’un article secret en vue de la paix. Il est ainsi clair les rapports entre Etats sont imprégnés de secret, lesquels justifient le recours à l’espionnage. Peut-être peut-on faire le souhait que celui-ci cesse au sein du système international, cependant il faudrait alors envisager que ce dernier soit uniquement composé de démocraties pacifistes. Si Rousseau envisageait la démocratie comme convenant uniquement à un peuple de dieux, il faudrait également envisager un même type de peuple pour que puisse cesser le secret entre Etats.
Espionnage et politique intérieure :
Il faut analyser le rôle de l’espion dans le rapport, interne, de l’Etat à ses citoyens. La persistance de l’agent secret est souvent dénoncée comme un stigmate de l’Ancien régime, dans lequel le prince l’utilisait pour se protéger de ses propres sujets, bref le stigmate de sa méfiance. Néanmoins, doit-on forcément l’envisager, certes, comme un système de surveillance de l’opinion publique, mais surtout comme un système de contrôle et de répression ? Les tenants d’une publicité intégrale ne font-ils pas l’amalgame entre le recueillement d’informations, autrement dit d’un savoir, et l’action répressive ? Le maintien de l’ordre, au nom de la sécurité nationale ne peut-elle pas exiger une surveillance secrète ? Bref, l’exigence d’efficacité est-elle toujours en adéquation avec celle de la publicité ? Tant que la surveillance se fait dans la légalité (contrairement par exemple, aux écoutes téléphoniques de l’Elysée sous la présidence Mitterrand), ne peut-elle pas se justifier par une lutte contre les ennemis du régime démocratique ? Si l’espion symbolise ici cette peur du viol de l’intimité, l’espionnage doit, en faisant la différence entre l’homme et le citoyen, se cantonner à l’existence politique des citoyens, et non à leur intimité.
Mais l’attitude du citoyen à l’égard du secret, et donc de l’espion, est ambiguë. En effet, loin d’être seulement victime du secret comme objet de l’espionnage, le citoyen est également, paradoxalement, demandeur de secrets. Et ceci pour deux raisons : la première tient à ce que le citoyen, en tant qu’homme, a des secrets et reconnaît en cela des droits collectifs au secret : il ne peut demander que les autres n’aient pas de secrets et demander que les siens soient respectés. Le seconde car le citoyen trouve confortable et protecteur de charger une partie de la société de la gestion des secrets : le citoyen délègue le secret. Le régime représentatif implique non seulement la délégation de la volonté, mais aussi celle du secret. Un accord tacite est par conséquent passé entre gouvernants et gouvernés :
« La représentation […] ouvre ainsi à une délégation de l’usage du secret et ce dernier n’est jamais si efficient que parce qu’il est, aussi et de façon radicalement contradictoire, le produit d’une demande de secret et d’une volonté d’être trompé »
Le régime représentatif est le régime du secret tout autant qu’il est celui de la publicité. Cette délégation et cette demande de secret conduit à la formation d’un marché du secret parallèle à celui de la publicité. De même, la publicité d’un secret, c’est-à-dire son abolition, qu’elle soit le fait des espions eux-mêmes, par la voie des médias ou encore par le système de déclassification de documents, révèle que « la frontière entre l’occulte et le manifeste se situe à la croisée d’un processus ininterrompu de mise en réserve et de dévoilement, de construction et d’abolition du secret, de circulation incessante d’un espace à l’autre ».
Le secret et le scandale : l’espion, une figure démocratique
La publicité du secret, qui se fait toujours en démocratie sur la forme du scandale, oscille entre une logique de légitimation et celle de dénonciation et témoigne de sa persistance dans la politique contemporaine. Voici donc une définition du « secret démocratique » : contrairement au secret absolutiste, qui est absolu et définitif, le secret contemporain s’inscrit dans un espace ouvert, il est devenu relatif, susceptible d’être dévoilé. Il n’est plus un nefandum, une chose à jamais tue, que le langage ne saurait formuler, bref l’indicible. Le secret démocratique est cette instance précaire, temporaire (« Le secret d’aujourd’hui est le le livre ou le film de demain), un produit de l’acculturation du secret à la démocratie, que le public peut toujours découvrir. Il n’existe même que parce qu’il peut être dit, formulé, énoncé et dénoncé : « le secret n’a de sens que pour être dit, communiqué ». L’espion, au sein d’une économie générale contemporaine du secret, s’opposant à une vision morale voire moralisante du secret, tient ainsi le rôle de gardien de la frontière entre l’occulte et le manifeste. Formant un continuum, l’opacité et la publicité sont les « faces d’une même médaille », celle de la démocratie contemporaine, car, comme le dit Dewerpe, cette dernière
« ne se donne pas pour fin, en une sorte de désir univoque et absolu, […] l’abolition du secret, mais bien plutôt [travaille] à reconstruire une frontière nouvelle du secret et du manifeste : c’est sur cette frontière originale que veille l’espion du XXè siècle, celui qui cherche à abolir le secret et qui donne à voir en révélant, mais aussi celui qui se cache dans ce dévoilement, joue de cette réserve, met à part et se met à part, figure ambivalente de qui abolit le secret et le conserve, de qui l’attaque et le protège ».
L’espion, à lui seul, aide ainsi à comprendre le rôle et la fonction du secret en démocratie, en tant que régime mixte, dont l’ambiguïté se construit sur la dialectique du secret et de la publicité.
C’est normale d”anseigner aux hommes commen? et pour quoi? etudier la politique par le biais de cette discipline appeler “Philosophie Politique” s’enracinat dans l’etude de la politique dans sa globalité tout en indiquant pas à pas comment doit se concretiser la connaissance politique. Mais la phisophie elle meme n’est-elle pas politisé??
Je trouve cette analyse intéressante à bien des égards. D’abord, je retiens qu’un secret qui reste secret pour toujours n’a aucun sens. Le secret devient intéressant dès lors que le silence est effectivement brisé. Je retiens aussi que la possession d’une information en temps de paix comme de guerre, est réclamée par la population devant laquelle les gouvernants recherche de façon inlassable et sans rupture la légitimité.
Alors, je le reprends “le secret d’aujourd’hui est le livre ou le film de demain”.
Merci bien.