Tinder : la rencontre absente

Tinder

A chaque femme correspond un séducteur. Son bonheur, ce n’est que de le rencontrer (Kierkegaard dans Le Journal du Séducteur)

L’amour moderne prend des formes étranges. Meetic .com ou Match.com, en précurseurs de la rencontre en ligne, avaient dématérialisés la rencontre. Une application venant une fois de plus des Etats-Unis, Tinder, a pris une ampleur certaine  (750 millions de passage en revue par jour) et semble apporter à nouveau un bouleversement de la rencontre.

Que révèle ce succès ? Est-il un épiphénomène ou bien peut-il être analysé comme paradigmatique des rapports à autrui aujourd’hui ? 

Tinder et la cour amoureuse moderne

Avec Tinder, la cour galante pratiquée depuis le Moyen-Age à nos parents, est définitivement ringardisée. Le principe est très simple : l’application vous propose des profils et vous décider, ou non, de le “liker”, uniquement à partir de sa photo. La personne concernée n’est prévenue que si elle même a “liké” votre profil. Vous découvrez alors mutuellement votre “attraction”.

Ce qui frappe au premier abord, c’est le rapprochement avec la consommation. Vous faites défiler les profils (proches de vous géographiquement) comme vous feriez défiler les frigos ou les canapés. Pensé comme un site e-commerce (non sans rappeler Adopte un Mec, lequel a développé avec humour un système de panier dans lequel les femmes font leurs emplettes d’hommes ou de femmes), Tinder présente la rencontre comme un acte marchand, quotidien. Or, la rencontre est précisément ce qui bouleverse un quotidien. Cette banalisation est sans doute le reflet d’une génération qui a cessé de croire en l’amour au profit d’une industrialisation de la rencontre. Tinder c’est le Ikea de la rencontre.

Deuxièmement, la marchandisation du corps. L’unique critère est la photo, donc l’apparence. Certes, votre image est la première chose qu’autrui voit de vous. Mais cette réduction du soi au corps, à une image, est en fait une réduction de l’identité. Là aussi, rencontrer, c’est rencontrer un contexte, une gestuelle, bref une identité complète et complexe et non pas seulement une image mise en scène. La simplification à outrance ne tue-t-elle pas la profondeur d’une rencontre ?

Troisièmement, l’anonymat. Vous sélectionnez les profils qui vous plaisent, sans risque et à couvert, puisque les concernés ne le découvriront qu’en cas de réciprocité. Le hasard annulé sous prétexte de discrétion, la rencontre s’évapore. 

Quatrièmement la vanité. Un utilisateur de Tinder cherche-t-il vraiment la rencontre ? Ne cherche-t-il pas plutôt un reflet favorable auprès des autres, un écho flatteur pour son ego ? Veut-il vraiment passer de la correspondance digitale à la vie réelle ? Rien n’est moins sûr.

Le marivaudage n’a pas disparu (contrairement à ce qu’a pu dire Badiou dans l’Eloge de l’Amour), il s’est transformé avec Tinder. Mais en corrolaire, la vie réelle s’est aseptisée, affaiblie.

Jouer à la rencontre

Ces 4 élements (consommation, marchandisation, anonymat, vanité) expliquent le succès de ce service. Car ce n’est pas Tinder qui crée ce besoin, il ne fait qu’offrir ce dont ont besoin les êtres avides de zapping amoureux. A savoir un ersatz de rencontre, où le contrôle remplace le hasard, la sécurité se substitue à l’aventure, l’immédiateté prend la place de la séduction.

Cependant, Tinder a une vraie vertu, celle de poser les “rencontres” sur le mode ludique. Sur Tinder, on joue à savoir qui nous plaît, à qui l’on va plaire. Et c’est au fond peut-être ceci qu’il faut retenir. Tinder n’est pas un site (ou application) de rencontre, mais de mise en relation, d’invitation à jouer universelle, où la simplicité rime certes avec simplisme. Ils ne cherchent pas à faire des rencontres, ils jouent à rencontrer, ils se jouent de la rencontre, bref ils jouent la rencontre. 

Concluons avec le cynisme romantique de Kierkegaard :

“Il est trop peu d’en aimer une seule… en aimer le plus grand nombre possible, voilà qui est jouir, voilà qui est vivre”

Mise à jour: 8 ans après la publication de cet article, Tinder est désormais l’application leader pour la rencontre en ligne. Les phases de confinement à travers le monde ont accéléré l’inévitable digitalisation des rencontres, continuant à réduire Autrui à une série de photos, de projections sans réelle subtance. Les jeunes adultes, mais aussi les plus de 50 ans ont adopté la mise en scène voulue par cette application. Pour le meilleur et pour le pire.

Article mis à jour le 13/05/2022

 

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6 Comments

  1. says: bilal

    Tinder ou Kinder la pochette-surprise l’emballage est très bien, mais a l’intérieure, on ne se sait pas ce qu’il y a ? C’est tout un rapport qui disparaît avec nous-même et cette marchandisation est celle également de notre conscience que nous vendons au plus offrant, la conscience du beau qui est récompensé par un Like et ou l’amour devient un loto, vous êtes le bon numéro ouais, vous avez gagner satisfait ou rembourser à vous de choisir mon dieu que c’est laid .

    C’est tout simplement triste combien n’ayant pas l’asymétrie des lignes ne pourront faute de like se faire aimer C’est profondément injuste et inhumain, mais voilà le dépouillement de tout sentiment philosophique, de tout penser, de tout rapport autre que celui de la monétisation de son être est l’essence d’une société qu’on nous offre, car nous autres humains et non-virtuel n’avons jamais rien proposer. Nous sommes responsables de cela et le pire, c’est qu’inconsciemment, nous en héritons pour la plupart de la masse qui le reproduira en asséchant toute réalité et surtout finira par corrompre le sentiment profond de toute entente avec soi, car l’autre, c’est déjà le “nous” qu’on nous offre comme breuvage éternel et paradisiaque, car Tinder, c’est le “paradis ” de ceux qui refuse de voir l’enfer de leur propre nature et de ce fait oublier qu’il porte en lui les germes de sa propre destruction en agissant ainsi.

    Triste époque que nous vivons là, mais résister philosophiquement, c’est de refuser de s’avilir et refuser tout compromis avec ce zoo humain qui fera de nous des bêtes de foires. “Qu’il est beau celui-ci et celui-là dit maman, tu le trouves comment ?” C’est tout bonnement affligeant

  2. says: bilal

    Je rajouterais je suis laid et cette laideur qui me suit est certainement la plus humaine compagne que je partage car elle m’appartient à moi et pour rien au monde je ne la partagerais car conscient qu’elle reflète une nature saine non-négociable et non consommable . Cette conscience du réelle est mon cadeau mon Tinder à moi, car juge et partie, paradis et enfer, nuit et jour, lanterne esthétique qui me distingue et me parle, car oui, cette quatre lettre (laid )ont un sens humain, une vérité, une violence acceptée, un langage, fruit d’une douleur féminine qui n’a pas de visage ou si celle de l’amour d’un matin ou d’une nuit où je peux encore un cœur qui bat sous les draps.

  3. says: bilal

    Une dernière pour la route ? Je dépense donc je suis Descartes de crédit.

  4. says: Maxime R

    Cette citation de Kierkegaard est dans le journal du séducteur, il est dans son stade esthetique. Ensuite il part dans le stade éthique puis religieux …
    (Ou bien … Ou bien)
    Tinder c’est ce perdre dans l’esthetique, le plaisir immediat, dans la satisfaction personnal et egoiste (que je ne juge pas). Il y a un temps pour tout c’est juste ca que je veux rappeler, et construire quelque chose de durable est selon mon experience beaucoup plus intéressant, après on a tous des periodes et des envies différentes, mais ne vous y perdez pas tel Don Juan, il etait très malheureux finalement ….

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