Nous connaissons la télé-réalité depuis maintenant plus de quinze ans. Avant de devenir une réelle source de divertissement auprès des adolescents, celle-ci faisait et fait toujours face à beaucoup de critiques. The Truman Show, film de Peter Weir sorti en 1998 met en scène Truman Burbank, le héros à son insu, d’une émission de télé-réalité. Ce dernier rêve de voyager mais cela lui est impossible car le monde qui l’entoure est un plateau de tournage. Ceux qu’il croit être ses amis et sa famille sont en réalité des acteurs. Ce film constitue une critique de la société et de la télé-réalité. On peut dire qu’Andrew Niccol, le scénariste de The Truman Show a été un précurseur de la télé-réalité que l’on connaît aujourd’hui. Le monde dans lequel le héros vit semble utopique mais ne l’est pas réellement, il se rapproche plus d’une dystopie car c’est une mise en scène. On peut se demander si la critique de la société faite dans ce film est toujours valable aujourd’hui. La liberté est un thème récurrent dans le film, nous verrons que celle-ci dépend de facteurs qui peuvent paraître complexes mais qui, au fond, sont liées à l’illusion, à la vérité et au bonheur. Dans le film, le regard de l’autre est un atout pour comprendre la société du spectacle et de consommation, similaire à la société contemporaine.
Nous comprenons que Truman se croit libre mais prend peu à peu conscience qu’il y a un au-delà au monde dans lequel il vit. Autrement dit, il se questionne sur les limites que présente son quotidien. En effet, le film est une version de l’allégorie de la caverne de Platon, on peut identifier le monde sensible de Platon au plateau-télé dans lequel évolue Truman et le monde intelligible au “vrai” monde, en dehors du plateau-télé. Les acteurs qui entourent Truman sont alors considérés comme des ombres. Néanmoins, Truman, du moins au début du film, ignore complètement l’existence d’un monde intelligible, il n’a donc aucun moyen pour prendre conscience que sa vie est créée autour d’un mensonge. Si l’on suit l’idée de Platon, à cause de l’ignorance il n’y a pas de liberté dans le monde sensible. L’Homme est alors condamné à faire partie du monde sensible, c’est-à-dire faire partie du monde qui falsifie la réalité. De plus, le monde sensible n’est pour Platon, qu’un monde d’illusions totalement opposé à la réalité.
À travers des thèmes comme la vérité et le bonheur, est faite une critique de la société. Effectivement, tout le monde ment à Truman, ce qui, selon les personnages, contribue au bonheur de leur héros. En reprenant l’idée de Spinoza selon laquelle la liberté humaine n’est qu’une illusion, on peut affirmer que Truman ne connaît pas les causes qui le déterminent à agir, pourtant, tout est déjà écrit, c’est-à-dire que lui ne sait pas pourquoi il agit mais tout le monde autour de lui le sait. Dans son monde, Truman n’est donc pas libre et ce fait est accentué par le désir des ombres qui l’entourent: faire durer le spectacle le plus longtemps possible. Cependant le héros est en quête de vérité et fait preuve de détermination tout au long du film pour y accéder.
À la suite d’une multitude d’évènements qui interrogent Truman, il cherche à passer de son monde illusoire au monde réel. L’Homme naît oublieux des réalités, son entourage peut alors lui faire croire n’importe quoi à travers une mise en scène pouvant paraître idéale, utopique qui ne reflète pas le monde réel. On distingue alors le bonheur selon Christof, le réalisateur de l’émission, et le bonheur du point de vue de Truman. Le réalisateur se considère comme étant un “créateur de bonheur” car il divertit les téléspectateurs qui subissent en quelque sorte un abrutissement à cause de la diffusion quotidienne d’une prétendue utopie. Peut-être que Christof n’est pas heureux, qu’il n’est pas satisfait de son existence pour vouloir “créer du bonheur”. Pour Truman, le bonheur correspond aux voyages, à l’exploration, ce qui lui est impossible de faire et ce dont il se rend compte au fil du temps. L’illusion n’est-elle pas préférable à la vérité ? Ce n’est pas ce que pense Descartes, selon lui “ il vaut mieux être moins gai et avoir plus de connaissance”, cependant cela est remis en question dans le film. Bien que nous ne connaissons pas la vie de Truman après sa sortie du plateau, deux hypothèses sont possibles: soit il est dans l’incapacité de survivre dans le “vrai” monde, par habitude à sa vie entourée d’acteurs, il se voit contraint de revenir à son illusion première tout comme le prisonnier de l’allégorie de la caverne. Soit Truman est plus épanoui et plus heureux dans ce monde qu’il découvre et souhaite y poursuivre sa vie.
On remarque donc que la vérité s’oppose au mensonge et à l’illusion et qu’elle est préférable à l’illusion car le pouvoir réconfortant qu’elle peut avoir n’est pas durable.
Le spectacle et le regard de l’autre sont des thèmes présents tout au long du film et ont une influence assez négative sur la société. La vérité peut-elle être impactée par la société dans laquelle on vit ? Peut-elle être illusoire ou bien propre à chacun ? Ce sont les autres qui, par leur regard, nous chosifient. Comme dirait Sartre “l’Enfer c’est les autres” mais que cela signifie-t-il ? Sans les autres nous ne sommes rien, sans le regard de l’autre nous ne sommes rien. On pourrait dire que pour se connaître soi-même, on a besoin des autres. On retrouve cette analogie à la fin du film lors de l’interaction entre Christof et Truman lorsque ce dernier découvre la mise en scène: “Je te connais mieux que tu te connais toi-même.” c’est la phrase que dit Christof à son personnage avant que celui-ci ne s’en aille. Le jugement de l’autre nous est en réalité bénéfique pour avoir conscience de soi, de ce que nous sommes. À la fin du film, Truman est donc sujet, il est un être pour soi, il est déterminé par la conscience. Tous les habitants de Seahaven sont utilisés comme des objets et subissent un abrutissement venant de la consommation et de la production de l’émission dans laquelle ils évoluent. Les téléspectateurs font également partie des objets car ce sont eux qui le regardent, ils contribuent donc à la survie du programme télévisé, autrement dit à sa production. À l’inverse des téléspectateurs et des acteurs, Truman est traité comme un sujet mais est en réalité un objet, il prend conscience de cela au fur et à mesure mais ne subit pas d’abrutissement car il n’est pas conscient de son statut d’objet. Truman acquiert la conscience réflexive. Il pense être sujet, il se détache progressivement de son statut d’objet et prend conscience de son existence en s’éloignant de son “faux monde”. Il découvre finalement qu’il n’est qu’un objet, un objet parmi tant d’autres.
Nous pouvons faire une analogie entre cette société prétendue idéale et La Société du spectacle de Guy Debord, qui est une critique consumériste de la société. Il affirme que ce système d’aliénation capitaliste (terme marxiste) peut perdurer grâce à l’accumulation de spectacle. L’aliénation, selon Marx, c’est lorsqu’un un sujet se transforme en un autre, voire en quelque chose d’hostile à lui-même. Le spectacle est “le résultat et le projet du mode de production existant qui est le cœur de l’irréalisme de la société réelle sous toutes ses formes” (information, propagande, publicité et consommation directe de divertissement). L’aliénation justifie une nouvelle fois que l’abrutissement chez les Hommes demeure à cause de la répétition quotidienne de leur prétendu métier qui est le résultat de l’exécution d’un plan conçu par un autre: dans le film, conçu par Christof. Guy Debord développe le concept de société du spectacle “intégré” dans lequel le spectacle remplace la vie réelle et qui exige que pour exister nous devons nous-même devenir spectacle. On devient un objet de spectacle. Nous baignons tellement dans le spectacle que nous devenons producteurs celui-ci. De fait, dans une société aliénée, l’Homme est dépossédé de lui-même, déshumanisé, il n’a donc pas de liberté. Un être aliéné ne peut pas non plus être heureux car une certaine liberté est nécessaire à l’obtention du bonheur. C’est ainsi qu’est faite la critique de la société de consommation dans The Truman Show.
Guy Debord a en quelque sorte anticipé la société actuelle, qui est une société de consommation dans laquelle le divertissement peut passer par la télé-réalité, qui est l’héritière “non-fictive” du film de Peter Weir. À travers ses œuvres littéraires et cinématographiques, Debord a effectué des critiques prémonitoires de la société contemporaine. Aujourd’hui, les consommateurs de télé-réalité sont complètement abrutis par ce type de divertissement et, tout comme dans le film, contribuent à la survie de ce genre de programmes. D’après Pascal, le divertissement est un moyen d’éviter l’ennui, qui fait ressasser à l’Homme sa condition misérable. On retrouve finalement des points communs entre The Truman Show et le roman 1984 de George Orwell dans lequel les citoyens sont soumis à un régime totalitaire, privés de liberté et constamment surveillés. Big Brother est incarné par Christof qui se croit tout puissant, qui manipule tout le monde et qui est omniprésent grâce à l’aide des caméras. Cela peut une nouvelle fois nous rappeler notre société actuelle avec l’omniprésence des écrans dans notre quotidien notamment avec les réseaux sociaux et les diverses applications sur lesquelles nous passons des dizaines d’heures par jour.
D’autre part, deux professeurs de philosophie et de psychiatrie ont découvert l’existence d’un trouble qu’ils ont nommé le syndrome de Truman, chez certaines personnes qui sont persuadées que leur vie est observée par des caméras cachées, tout comme dans le film. Bien que ce trouble ne soit pas officiellement répertorié dans les ouvrages répertoriant les troubles mentaux, il provient du désir de vouloir être une vedette. Les personnes atteintes de ce type de délire ont probablement subi un traumatisme suite au visionnage du Truman Show, ce qui est inquiétant au vu du grand nombre d’émissions de télé-réalité qui existe aujourd’hui.
On peut donc en conclure que l’accès au vrai est associé à la liberté. Cependant, l’accès à la vérité et au bonheur est impossible dans ce type de société de consommation car “le bonheur et la liberté s’opposent à l’aliénation, dans la mesure où l’aliénation désigne le fait de ne pas être ce que nous sommes, d’être autre que ce que l’on est” et que la conscience de soi est le point de départ de la réflexion sur le bonheur. The Truman Show a anticipé la société contemporaine en illustrant certaines notions littéraires et philosophiques. En reprenant ces notions, le film a très bien illustré la société du XXIème siècle. Le désir du pouvoir absolu est également illustré à travers le personnage de Christof qui est un être omnipotent, transcendant qui manipule toute la société. Son prénom est une représentation du Christ (CHRISTof) qui souligne son statut autoproclamé d’être transcendant à l’origine de la création de Truman et son entourage, en l’occurrence du Truman Show, donc de sa vie.
Par Lili Godinaud