Vers de nouvelles formes d’indépendance (Frédéric Gros / Annie Kahn)

L’indépendance est chère à conquérir au XXIème siècle. Frédéric Gros et Annie Kahn, à leur façon, apportent leur contribution à la réflexion, qu’il s’agisse de l’obéissance notamment citoyenne ou bien d’une dépendance à une sphère de vie.

Désobéir, de Frédéric Gros

Pour désobéir, il faut avant tout comprendre pourquoi l’on a tendance à obéir, et ce depuis des siècles. En interrogeant notre système de valeurs, qui a accepté que le monstrueux, les nouvelles formes de Mal émergent ; le philosophe met la lumière sur chaque concept-clef : soumission, rébellion, subordination, résistance, conformisme, transgression, consentement, désobéissance (civile), dissidence… Chaque chapitre tourne autour de ces mots, un bien nécessaire pour enfin poser sur notre situation un regard objectif.

Les habitués de la pensée arendtienne l’auront compris, l’ouvragetouche de près les thématiques qui lui étaient chères. Il est ainsi fourni en citations d’Hannah Arendt, tant sur l’autorité que sur la banalité du mal, sur la révolution ou sur la désobéissance civile. Pour autant, Frédéric Gros fait appel à toute la galaxie philosophique pour étayer son propos, ce qui le rend à la fois riche et complexe (dans un sens tout à fait positif), mais ô combien plaisant.

Un véritable appel à la désobéissance, oui … mais responsable et humaine. L’auteur ne cherche pas à révolutionner le monde qui nous entoure par principe. Il invite davantage à une réflexion, à la pensée. Eviter l’interruption du jugement et penser nos actes, surtout lorsqu’ils sont soumis à des injonctions…

De l’absurdité d’être accro au boulot, Annie Kahn

Contrairement aux apparences, l’ouvrage d’Annie Kahn n’est pas un réquisitoire contre le travail ou une violente attaque contre l’entreprise capitaliste. Il est une excellente synthèse des recherches en sciences de gestion (mais aussi en économie, en sciences dures, en psychologie et en sociologie) autour de la vie en entreprise – voire même de la vie tout court –.

En effet, en faisant appel aux théories sur la diversité par exemple, c’est tout un versant de la philosophie politique qui se mobilise – en arrière-plan, bien sûr –. La place de la famille et de la vie privée, la manière dont le travail essaie d’empiéter sur ces sphères, l’enjeu technologique sont d’autres thématiques abordées qui ont un fort écho en philosophie. Et surtout, en appelant à se conformer à ses idéaux, la journaliste pousse son lecteur à, d’abord, les définir. Puis à se questionner sur son effective capacité à se conformer, à entrer en résonance avec lui-même. Tout un programme.

Derrière une démarche plutôt pratique, qui donne des clefs pour que la vie professionnelle soit la plus aisée possible, l’ouvrage pose des principes philosophiques forts sur l’investissement personnel qu’impose le boulot. Le monde de l’entreprise crée une nouvelle forme d’être avec, des relations plus innovantes avec ses collègues mais surtout avec soi.

Gagner son indépendance

La dépendance est l’un de ces sujets dont les sphères politique et médiatique se sont saisis, en tant que problématique sociétale. Bien au-delà, la dépendance est apparentée à l’essence même de l’Homme : il est dépendant de son corps, de son environnement, des autres. Tout est alors une question de dosage, puisqu’une dépendance trop forte réduirait à néant l’humanité présente en l’Homme.

Cette indépendance, à gagner, à conquérir, est le point commun de ces deux ouvrages. Annie Kahn nous aide à nous autonomiser, à vivre différemment le travail et la vie en entreprise, quand Frédéric Gros met à plat la place du citoyen dans la vie politique, ainsi que la notion même d’autorité. Jusqu’où, jusqu’à quand obéir pour rester soi et indépendant ?, pourrait-on résumer.

La dépendance peut être choisie, délibérée voire même voulue. L’on peut penser à l’intime, qui crée un besoin réciproque de chacune des personnes envers l’autre. Mais elle est aussi, souvent, inconsciente, inscrite dans les mœurs ou les habitudes. C’est bien pour cela que penser demeure la seule clef pour rester indépendant, du moins autant que possible.

Guillaume Plaisance

Bibliographie :

De l’absurdité d’être accro au boulot – Annie Kahn – JCLattès – 11 octobre 2017

Désobéir– Frédéric Gros– Albin Michel – 1erSeptembre 2017

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