« La conscience est une évolution dernière et tardive du système organique ».
Les philosophes ont crée un dualisme au cœur même de l’individu. La logique a posé une dichotomie entre apparence et essence, corps et esprit. Ils ont défini le sujet et l’ont réduit à la seule Raison et au rôle unique de l’animal rationnel parce que cherchant de l’unicité là où il n’y a que pluralité ; du rationnel là où ne règne que le chaos. Revenir au devenir ne peut alors que signifier recouvrer la pluralité des instincts, une pluralité du Moi, une diversité des rôles que le sujet incarne. En contraignant l’homme à n’adopter que le seul rôle de la rationalité, on le prive de tous les autres rôles et des instincts qui constituent son être essentiellement pluriel. On le stérilise, on le castre, on en fait un être qui nie la vie : A l’inverse, le type affirmatif est celui
« qui commande la plus grande différenciation du Moi, et non sa plus grande simplification ».
Selon Nietzsche, c’est uniquement la grammaire qui a crée l’illusion d’un moi unique par le « Je pense ». C’est la grammaire qui nous fait croire en l’unicité du Je. Il est donc nécessaire de retrouver la pluralité du Moi pour affirmer la diversité de ce qui est et de ce que je suis. Et l’illusion de la grammaire est doublée d’une seconde erreur selon laquelle les états psychiques n’auraient qu’une seule cause : la conscience. En effet, la conscience se croit substance et reste persuadée qu’elle est l’unique origine des pensées qu’elle produit. Mais, alors qu’elle croit donner des ordres, elle ne fait, selon Nietzsche que les enregistrer et les exécuter :
« La conscience a l’illusion de régner, de décider, mais elle ne gouverne pas. Elle est l’instrument qui exécute des choix et des décisions déjà acquises en profondeur ».
Le logicien, le savant et avec eux le mythe du Moi rationnel manifestent une volonté de puissance trop en déclin pour parvenir à affirmer la complexité de la vie. Et Socrate de confirmer ce phénomène. Dès lors Nietzche fait le constat suivant : le mythe du Moi rationnel ne peut déboucher que sur un second mythe : celui de l’existence d’un autre monde, un monde au dessus de celui physique, sensible ; un monde métaphysique. Désormais, l’univers souffre de schizophrénie. Et la métaphysique finit par transformer le monde de l’ « ici-bas » en simple parabole.
« Ils ne veulent pas comprendre que l’homme est le résultat d’un devenir, que la faculté de connaître l’est aussi ».
La logique, le mythe du Moi rationnel se présentent comme capacité à démasquer ce qui se cacherait en-deçà, au-delà du multiple sensible, à savoir l’existence présupposée d’un monde métaphysique, intelligible, le monde de l’Etre. Parce que l’Etre est compris comme un « autrement « , il ne peut être qu’un « ailleurs ».Cette ontologie dualiste débouche donc nécessairement sur une topique. Désormais, le monde sensible n’est plus seul, il est surplombé par un au-delà intelligible et le vrai est compris comme participant de ce monde, de ce monde idéal qui surplombe la vie.
Ainsi, les valeurs qui constituent ce monde procèdent nécessairement d’une sphère ontologiquement noble :
« Ces choses de plus hautes valeurs ne peuvent avoir qu’une autre origine. Elles ne sauraient dériver de ce phénomène éphémère, trompeur, illusoire et vif, de ce tourbillon de vanités et d’appétits ».
La métaphysique procédera alors par antinomies (le vrai/ le faux, le bien/le mal…) et le monde sensible d’être totalement déprécié au profit d’un monde intelligible, un monde des Idées. Et conséquence logique de cela, on assigne le vrai au permanent et au rationnel.
Selon Nietzsche, la métaphysique apparait alors comme la traduction symptomatique d’une angoisse existentielle qui, ne pouvant s’avouer comme telle, se cache derrière le masque de la vérité. La métaphysique apparait comme une échappatoire pour celui qui ne peut supporter un monde de chaos et devenir. L’existence ne se justifie plus par elle-même mais seulement de manière dérivative, c’est-à-dire par son rattachement à une origine sacrée, divine. Et la vie ne doit sa légitimité qu’à un au-delà dont elle ne serait que la pâle copie. Mais on ne trouve dans la métaphysique que ce qu’elle y met et Nietzche la voit comme une construction chimérique qui ne sert qu’à déprécier le réel, nier la vie. Parce que :
« La mort, le changement, l’âge, tout aussi bien que la procréation et la croyance sont pour eux des objections, et même des réfutations », les philosophes « tuent et empaillent (…) mettent en danger de mort ce qu’ils adorent ».
Cette lecture schizophrénique du monde finit par contaminer l’homme lui-même qui va condamner le corps au profit d’une sacralisation de la conscience.
Sandrine Guignard