Aristote : La politique, de l’idéal vers le réel
Contrairement à la plupart des philosophes, l’expérience politique d’Aristote est indéniable : tuteur d’Alexandre le Grand, ami du Roi de Macédoine et grand voyageur, Aristote a nourri sa réflexion politique en côtoyant le pouvoir tout autant qu’en fréquentant Platon et ses théories politiques. La Politique, son œuvre de philosophie politique majeure, résulte de ces diverses expériences, lesquelles assoient la légitimité de cette oeuvre.
La Politique vise à définir la science politique et son objet via une description de la nature des régimes politiques. L’approche d’Aristote diffère de celle de Platon, qui préfère bâtir un système politique idéal et théorique, alors qu’Aristote lui préfère une approche réaliste et descriptive, qui préfigure les approches sociologiques, voire phénoménologiques du XXème siècle. Voir notre article de philosophie comparée sur Platon et Aristote
Résumé de la Politique d’Aristote :
Toutes les associations sont formées dans le but de parvenir au Bien, pose Aristote en préambule. La cité grecque, ou polis, est l’association la plus commune dans le monde grec, contenant toutes les autres associations, telles que les familles et les associations professionnelles. En tant que tel, la Cité doit viser le plus grand bien. Ceci induit donc une vision téléologique de la politique. Aristote conclut que « l’homme est un animal politique » : nous ne pouvons atteindre la vie bonne qu’en vivant dans une polis. En présentant les relations économiques au sein de la Cité, Aristote défend la propriété privée, condamne le capitalisme excessif et l’esclavage.
Aristote identifie la citoyenneté avec l’exercice d’une fonction publique.Dans le cas d’une révolution, où la citoyenneté et la Constitution changent, le citoyen ne peut être tenu responsable de ses actions avant la révolution. Ce principe inspirera toutes les lois d’amnistie un peu partout dans le monde.
Aristote et les 6 formes de régimes politiques :
Aristote identifie six types de constitution, trois jugées justes (monarchie/aristocratie/démocratie) et trois considérées comme injustes (tyrannie/oligarchie/anarchie). Le critère d’une constitution est celui du Bien commun : un régime est juste quand il profite à tous :
La Monarchie : une constitution est une monarchie sur le pouvoir est exercé par une personne et que les lois visent le bien public. Mais si ce monarque exerce le pouvoir dans son intérêt, la monarchie devient une tyrannie.
L’aristocratie : une constitution est une aristocratie quand le pouvoir est contrôlé par une élite visant le bien de tous, mais dégénère en oligarchie si les dirigeants sont mauvais.
La démocratie : la démocratie est le régime du peuple mais ce régime peut verser dans l’anarchie lorsque les démagogues prennent le pouvoir.
La Justice dans La Politique
Aristote propose un principe de justice distributive, afin que les prestations soient réparties aux citoyens différents de façon différente, en fonction de la contribution apportée par chacun au bien-être de la Cité.
Dans les livres IV à VI, Aristote se détourne de ses spéculations théoriques pour examiner, tel un politoloque, les institutions politiques telles qu’elles existent dans le monde grec. Il observe que les besoins des Cités varient considérablement en fonction de leur richesse, de leur population, de leur politique de classes. La plus grande tension constatée par Aristote est l’inégalité économique entre riches et pauvres, génératrice de division dans les Cités. C’est pourquoi Aristote prône l’établissement d’une classe moyenne forte, seule à même de maintenir un équilibre et de protéger la Cité contre la corruption et l’oppression. En ceci, l’intuition politique Aristote est tout à fait moderne et inspirera notamment Rawls dans sa Théorie de la Justice.
Aristote et la séparation des pouvoirs
Les trois branches du gouvernement civique sont le législatif (fondé sur la délibération en assemblée), l’exécutif et le judiciaire : le législatif crée les lois que l’exécutif met en œuvre puis que le judicaire fait respecter. Selon Aristote, l’accès aux fonctions publiques n’a pas à être égalitaire, mais il faut se garder d’exclure un groupe du pouvoir, car l’exclusion du pouvoir est le germe de la sédition, autrement dit de la corruption du régime.
Dans les livres VII et VIII, Aristote dessine son Etat idéal : cette Constitution aurait pour rôle d’assurer le bonheur de tous et de chacun, en favorisant la vie théorétique (vie contemplative, tournée vers la sagesse et la recherche de la vérité). Car même si Aristote accorde à l’action politique une certaine dignité, il reste que la vie intellectuelle doit primer car la politique n’est qu’un moyen qui doit servir la contemplation. La Cité idéale doit être assez grande pour vivre en auto-suffisance, mais assez petite pour assurer le lien social entre les citoyens. Bien sûr, cette conception de l’Etat parfait repose sur deux présupposés :
– un régime direct (non représentatif)
– l’esclavage, lequel permet aux citoyens d’exercer leur charge publique. L’esclavage est ainsi la condition de la liberté du citoyen. Ce point servira d’angle d’attaque à Hegel dans la Philosophie du droit pour dénoncer la soi-disant “belle liberté grecque”, en réalité fondée sur l’esclavage.
Conclusion sur La Politique d’Aristote :
Aristote, en représentant de la tradition rationaliste en politique, fonde sa théorie politique sur des postulats naturalistes (l’homme doit vivre en communauté) et défend une conception de la citoyenneté très élaborée, faisant de l’engagement civique la clé de voûte d’une bonne constitution. Son approche non-normative des constitutions est une innovation. En résumé, peu importe la forme du régime, seule compte sa nature et son principe. C’est une leçon que retiendra Montesquieu dans De l’Esprit des Lois.
Bonjour,
J’ai 2 exemplaires de La (ou Les) Politique(s), d’Aristote. J’aimerai savoir si vous avez un avis sur la meilleure traduction parmi ces deux-là. L’une est de Marcel Prélot (La Politique), aux éditions Gonthier, PUF (bibliothèque Médiations), de 1964. L’autre est des Pierre Pellegrin (Les Politiques), chez GF Flammarion, de 1990.
Merci
Assurément l’édition PUF, la Presse Universitaire Française ou Budé propose de loin les meilleurs traductions du fait de la qualité indéniable de ses traducteurs.
Super explication.. je commence à être passionné des idées politiques anciennes.
Bonjour,
J’observe une contradiction…
Aristote condamne (le capitalisme excessif) et l’esclavage mais son Etat idéal repose sur l’esclavage, condition de liberté du citoyen.
Qu’en est-il de la pensée d’Arsitote sur l’esclavage donc ?
Les commentaires ont plusieurs années, mais attention à ne pas tout confondre. Bien entendu que les Budés (la collection PUF des Belles Lettres) est une référence en France (au même titre que la Teubner en Allemagne, ou bien le Loeb pour nos collègues anglophones). Pour autant, une traduction reste une version personnelle de l’auteur, composée à partir de différents manuscrits, avec différents niveaux d’interprétation. Toujours chez les Belles Lettres, vous trouverez diverses collections avec chacun son public : les Budés bien sûr, mais également La roue à livres (sans le texte bilingue) ou encore Editio Minor avec tous les écrits d’un auteur en un volume. Enfin, d’autres maisons d’édition prennent de plus en plus de place au niveau universitaire, à l’exemple de Gallimard ou encore Flammarion. Certaines références universitaires actuelles ne sont pas nécessairement les Budés : c’est par exemple le cas des Guerres de César (Editio Minor, LBL), Plutarque chez Gallimard, ou encore … Aristote chez Flammarion, traduit par Pellegrin, qui est la référence absolue en la matière.
Un long message pour quelque chose d’assez simple, mais pour autant visiblement pas évident. Evidemment que les Budés sont des classiques qui – à priori – restent d’excellents outils de travail. Pour autant, il s’agit de creuser un peu pour déterminer les versions les plus adaptées à un individu ou une problématique donnée.